Le Président russe tient aujourd'hui sa quatrième conférence de presse internationale. C'est l'occasion d'un bilan en forme de satisfecit pour Vladimir Poutine: 2016 restera comme l'année où il a réussi à tourner à son avantage au moins cinq situations particulièrement risquées.
En Syrie, la victoire à Alep a réalisé la percée stratégique que la Russie recherche dans la région depuis septembre 2014. Quinze mois après l'annonce de l'intervention militaire depuis la tribune de l'ONU, la Russie a atteint ses principaux objectifs. Elle a ressuscité le régime al-Assad, son allié depuis 1970. Désormais, les négociations sur l'avenir politique du pays se feront selon le scénario russe. Dans la région, l'alliance entre la Russie et l'Iran est le pôle dominant: la Turquie s'est ralliée aux positions de Moscou et les monarchies sunnites du Golfe sont sur la défensive. Enfin, les forces armées russes ont considérablement accru leur empreinte au sol et en mer. En 2017, le président russe a réussi le pari risqué de la première expédition militaire loin des frontières de l'URSS.
Dans les enceintes internationales, la Russie a montré dans les faits les limites du système international qu'elle critique depuis une décennie. Les mécanismes de sécurité collective de l'ONU sortent discrédités de la guerre en Syrie. En utilisant son veto au Conseil de Sécurité, la Russie a paralysé les initiatives des Occidentaux. Il en va de même en Europe: l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), chargée de veiller à la sécurité du continent, a patiné. En 2016, l'annexion de la Crimée et le "conflit gelé" en Ukraine se sont installés durablement dans le paysage géopolitique. La Russie a ainsi réussi à passer du statut de pestiféré isolé à celui de maître du tempo.
En Europe, la Russie se présente comme le seul pays à agir efficacement contre le terrorisme islamiste. Le président russe est devenu un point de ralliement pour de nombreux partis et leaders en Europe. Les leaders "anti-système" revendiquent ouvertement leur proximité avec Vladimir Poutine en Europe centrale: hormis la Pologne, les partis populistes au pouvoir (Hongrie, Slovaquie, Bulgarie) ou aux portes de celui-ci (Autriche) sont favorables à un rapprochement avec la Russie. Etre pro-russe est un gage d'autorité personnelle et de patriotisme eurosceptique. En 2016, la Russie réussi à fissurer l'unité européenne contre elle.
En France, le président russe a réussi à attirer à lui une partie de l'opinion publique auparavant choquée par sa brutalité. Il rallie désormais les partisans d'une présidence forte. Les résolutions non contraignantes de l'Assemblée nationale et du Sénat soulignent que de nombreux parlementaires sont en train d'évoluer. Deux candidats majeurs, François Fillon et Marine Le Pen, font ouvertement campagne pour un rapprochement avec la Russie et promeuvent des thèmes russes notamment la défense de la chrétienté contre le "totalitarisme islamique".
En Russie, le président russe a pris un nouvel élan. Le succès en demi-teinte des élections à la Douma en septembre a constitué un électrochoc. En réaction, Vladimir Poutine a renouvelé son entourage, a refondu les services de sécurité et lancé un signal menaçant aux oligarques en faisant arrêter le ministre de l'économie.
"Personne, à part nous", n'a cru que Donald Trump pouvait être élu président
Vladimir Poutine a affiché vendredi sa confiance en l'avenir au terme d'une année où tout lui a souri, des États-Unis, avec la victoire qu'il avait prévu de Donald Trump, à la Syrie, où il veut mettre un terme à la guerre et installer la Russie durablement.
Interrogé lors de sa traditionnelle conférence de presse de fin d'année, le chef de l'État russe est revenu sur une année qui a consacré sa politique militaire en Syrie et ses paris politiques en Europe et aux États-Unis où l'influence russe n'a jamais été aussi forte depuis la chute de l'Union soviétique il y a très exactement 25 ans.
« Personne, à part nous », les Russes, n'a cru que Donald Trump pouvait être élu président, a lancé M. Poutine, tout en fustigeant les démocrates de Barack Obama et d'Hillary Clinton pour leur manque de « dignité » dans la défaite. La Russie, et Vladimir Poutine personnellement, ont été accusés par Washington d'avoir perturbé l'élection présidentielle à l'aide de piratages informatiques censés avoir favorisé la victoire de M. Trump, partisan d'une « normalisation » des relations avec Moscou.
« Il faut savoir perdre avec dignité »
« Le Parti démocrate n'a pas seulement perdu l'élection présidentielle, mais aussi le Sénat, où les républicains ont la majorité, et le Congrès, où les républicains ont la majorité. Est-ce à cause de quelque chose que nous, que moi, avons fait ? » a ironisé le président russe. « Ils perdent sur tous les fronts, mais mettent leurs échecs sur le compte des autres, de facteurs externes. À mon avis, cela sape leur dignité. Il faut savoir perdre avec dignité », a estimé M. Poutine.
Décontracté, sûr de lui, le chef de l'État s'est permis un trait d'humour sur le statut de « maître du monde » que lui donnent certains commentateurs. À un journaliste américain qui l'interrogeait sur d'éventuelles élections présidentielles anticipées, Vladimir Poutine lui a répondu avec le sourire : « Dans quel pays ? »
Course aux armements
Vladimir Poutine a également accusé l'administration américaine d'avoir mis leurs deux pays sur la voie d'une nouvelle course aux armements en se retirant du traité ABM sur la limitation des armes stratégiques en 2002. « Lorsqu'une des parties se retire unilatéralement du traité et affirme qu'elle créera un parapluie antinucléaire pour soi-même, alors la deuxième partie doit soit créer le même parapluie soit créer des systèmes efficaces pour surpasser ce système de défense antimissile, ce que nous faisons avec succès », a indiqué M. Poutine. « Ce n'est pas nous qui avons lancé [ce processus]. Nous avons été forcés à répondre à ce défi », a-t-il ajouté.
La veille, il avait ordonné le renforcement de la force de frappe nucléaire du pays, notamment afin de la rendre capable de percer tout bouclier antimissile. Dans la foulée, Donald Trump avait suivi en appelant à renforcer et accroître la capacité des États-Unis en matière d'armement nucléaire. M. Poutine a assuré vendredi ne voir « rien d'inhabituel » et « rien de nouveau » dans cette prise de position. L'homme fort du Kremlin a de répété qu'il considérait que la Russie était aujourd'hui « plus puissante que n'importe quel agresseur potentiel ».
Seul maître en Syrie
Ces annonces pleines de détermination viennent au lendemain de l'annonce par l'armée syrienne de la reprise de la totalité de la ville d'Alep, la plus grande victoire pour le président Bachar el-Assad depuis le début de la guerre en 2011, un succès qui n'aurait pas été possible sans le soutien militaire décisif de la Russie. Vladimir Poutine, qui s'est rendu maître du jeu en Syrie au point d'avoir réussi à écarter presque totalement Washington du processus de règlement du conflit, a jugé vendredi que la reprise d'Alep était « un pas très important » vers la paix.
Pour l'année à venir, le président a fixé un cap : la fin de la guerre et des négociations de paix entre Damas et l'opposition sous le parrainage de la Russie, de la Turquie et de l'Iran. « Il faut tout faire pour que les combats cessent sur tout le territoire syrien. En tout cas, c'est ce que nous cherchons à obtenir », a-t-il affirmé, estimant en outre que l'armée russe avait mené à Alep « la plus grande opération humanitaire internationale contemporaine » en évacuant les civils des quartiers rebelles.
Signe que la Russie est désormais implantée pour longtemps en Syrie, M. Poutine a ordonné vendredi d'agrandir les installations portuaires militaires russes à Tartous, dans le nord-ouest du pays, censées devenir une base navale permanente.
Cyrille Bret