Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 15 novembre 2016

Rendu responsable de la victoire de Donald Trump, Barack Obama peut-il sauver la face à l'international ?


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Angela Merkel et Barack Obama au G7 japonais de mai 2016


Clap de fin pour la présidence Obama. Comme il est de coutume, le 44e président de l'histoire des États-Unis clôt sa présidence sur une large tournée internationale. L'occasion de saluer, une dernière fois, les alliés de l'Amérique après huit années de pouvoir. Un ultime voyage en Europe, débuté dans la nuit du lundi au mardi 15 novembre, qui va le mener en Grèce et en Allemagne où il rencontrera la chancelière Angela Merkel et les chefs de gouvernement Theresa May, François Hollande et Matteo Renzi.

Paradoxe cruel: le président sortant, qui a dénoncé avec virulence le danger d'une présidence Trump, va devoir endosser -au nom d'une transition apaisée- les habits de celui qui rassure des homologues européens inquiets du devenir de la démocratie américaine et européenne.

Une mission qu'il a entamée quelques heures avant son départ, lors de sa première conférence de presse depuis l'élection du mardi 8 novembre, en estimant que son successeur était avant tout "pragmatique" et devrait préserver les accords internationaux, malgré ce qui a été dit au cours de la campagne.

Ne pas perdre la face

Toujours le même sourire mais les tempes blanchies et le visage émacié par des années de pouvoir, Barack Obama se rend en Allemagne deux mandats après son discours mémorable devant la porte de Brandebourg. Cet après-midi de juillet 2008, le sénateur avait appelé à "faire tomber les murs" devant 200.000 personnes plus qu'enthousiastes.


Huit ans plus tard, Barack Obama voyage en Europe avec le spectre de Donald Trump dans les valises. Une situation délicate et inattendue pour le président américain qui s'est toujours présenté en position de force sur le Vieux continent. Distribuant, notamment, bons et mauvais points à ses homologues européens sur la crise financière, le Brexit ou l'accueil des réfugiés.

Accueilli partout dans le monde comme une rockstar, reconnu pour son charisme, son humour et ses selfies, plébiscité pour une forme de classe et d'élégance dans l'exercice du pouvoir du bon mot, Barack Obama va désormais devoir faire profil bas alors qu'il vient de subir la plus grande claque de sa carrière politique.

Derrière les sourires de façade, la visite du président américain devrait donc prendre une forme nouvelle.

Rassurer le monde...

"Barack Obama voulait présenter Hillary Clinton durant ce voyage et dire aux dirigeants européens que les Etats-Unis resteraient fidèles à leurs engagements vis-à-vis de l'Union européenne", explique le professeur de politique étrangère américaine Simon Serfaty à RFI. Evidemment, la victoire de Donald Trump change totalement la donne.

Barack Obama doit désormais rassurer ses homologues inquiets après les propos iconoclastes du républicain sur l'Union européenne et l'OTAN. Mais également sur la montée du nationalisme au coeur même du Vieux continent. "Ils sont très inquiets car les mêmes forces populistes et nationalistes (...) ont une expression politique très forte au sein de l'Europe", souligne Heather Conley du Center for Strategic and International Studies, qui rappelle les nombreuses échéances électorales à venir.

Ainsi, mardi 15 novembre en Grèce, Barack Obama devrait prononcer un discours sur les défis de la mondialisation qui aura évidemment une résonance particulière. S'appuyant sur le vote du Brexit et la victoire de Trump, il proposera une réflexion sur les raisons pour lesquelles tant de gens "ont le sentiment de ne plus avoir prise" sur la marche de leur pays.

... et se présenter comme le garant de l'unité américaine

Un exercice délicat pour le président américain qui va devoir assumer le camouflet personnel que représente la victoire du milliardaire tout en se présentant comme le garant de la démocratie et de l'unité américaine.

Depuis l'annonce de l'élection de Donald Trump, Barack Obama ne cesse de prôner l'unité de la nation autour du républicain. Lors de son premier discours post-élection, le candidat avait déclaré, "nous travaillerons tous à la réussite de Donald Trump". Même son de cloche le lendemain, lorsqu'il rencontrait le milliardaire à la Maison Blanche, "nous sommes d'abord Américains. Nous voulons tous le meilleur pour ce pays."

A cette occasion, Barack Obama aurait réalisé l'impréparation de Donald Trump au poste de président, selon des sources anonymes au Wall Street Journal. Ainsi, il aurait décidé de passer plus de temps que prévu avec son successeur, afin de le préparer au mieux pour son mandat. Une façon de sortir de la situation par le haut, et de devenir le symbole de l'unité des Etats-Unis?

Les promesses non tenues

Accord sur le nucléaire iranien, réconciliation avec Cuba, relance de l'économie... lorsque Barack Obama quittera la présidence des Etats-Unis en janvier 2017 après huit ans de mandat, il pourra se targuer de quelques réalisations marquantes sur le plan intérieur comme international. Mais, à la lumière de l'élection de Donald Trump, qui sonne comme un revers cinglant pour le président démocrate, son bilan apparaît désormais contrasté et contesté.

Barack Obama a quitté Washington ce lundi pour une tournée d'adieux en Europe qui le mènera en Grèce et en Allemagne où il tentera, dans un étrange exercice d'équilibriste, de rassurer des alliés sous le choc de cette élection. Le HuffPost en profite pour faire le point sur ces grands engagements que le président sortant n'aura pas complètement (ou pas du tout) su tenir à l'issue de son passage à la Maison Blanche.

La fermeture du camp de Guantanamo

C'était l'une de ses promesses de campagne les plus emblématiques: fermer Guantanamo, et ainsi symboliquement tourner la page des années Bush. Pourtant, à la fin des huit années de présidence de Barack Obama, le tristement célèbre centre de détention est bel et bien toujours ouvert.

Dès son arrivée au pouvoir, Obama avait pourtant souhaité marquer le coup et respecter ses engagements en décrétant la fermeture dans un délai d'un an de ce camp ouvert dans le sud de Cuba à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Initialement, la prison était donc censée fermer au plus tard fin janvier 2010.

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Le président Obama signe le décret fermant Guantanamo dans le Bureau ovale, en janvier 2009


Problème, le président n'a pas pu tenir sa promesse, pourtant réaffirmée à plusieurs reprises au cours de ses deux mandats, en raison des blocages répétés du Congrès, à majorité républicaine aussi bien à la Chambre des représentants qu'au Sénat depuis les élections de 2014.

Comme le souligne Le Monde, les conservateurs "craignent que les juridictions fédérales libèrent les prisonniers extrajudiciaires –qui sont détenus à Guantanamo sans charges réelles de la part de la justice américaine– faute de preuves obtenues de façon légale". De plus, ils s'opposent catégoriquement au transfert de prisonniers sur le sol américain, qui aurait pu régler la question.

Il faut quand même noter que le camp a été en grande partie vidé de ses occupants: comme le rapporte le New York Times, 60 prisonniers s'y trouvent actuellement, contre 242 lors de l'investiture d'Obama en janvier 2009. Au total, 711 personnes qui y étaient détenues, majoritairement des Afghans et Saoudiens, en sont sorties, en général pour être transférées vers leur pays d'origine.

Bilan: une promesse impossible à tenir

Il reste très peu de temps à Barack Obama pour tenir cette grande promesse, mais il aura contourné en partie l'opposition du Congrès en vidant largement la prison. Le dossier se retrouve désormais dans les mains de son successeur, Donald Trump, favorable à ce que le camp reste ouvert. Lundi 14 novembre, le président sortant a d'ailleurs reconnu devant les caméras: "Je n'ai pas été capable de fermer ce satané machin en raison des restrictions qu'on nous a imposées. Mais il est vrai aussi que avons grandement réduit la population (carcérale) et il y a désormais moins de 100 personnes".

Le retrait des troupes américaines d'Afghanistan

Sur le plan international, c'est l'autre grande promesse non tenue par Barack Obama. S'il a ordonné comme prévu le départ des troupes américaines présentes en Irak depuis l'intervention américaine de 2003, le président démocrate n'a en revanche jamais finalisé le retrait d'Afghanistan.

En juillet, Barack Obama a acté ce renoncement en annonçant que 8400 soldats resteraient mobilisés dans le pays jusqu'à son départ effectif de la Maison Blanche, début 2017. Affirmant que la situation sur le terrain restait "dangereuse", il a expliqué que "les forces de sécurité afghanes ne sont pas encore aussi fortes qu'elles devraient l'être".



En faisant cette annonce, le président a aussi explicitement évoqué son héritage en affirmant que la décision de maintenir des soldats en Afghanistan, malgré sa promesse, permettrait à son successeur "de s'appuyer sur des fondations solides pour continuer à enregistrer des progrès" dans le pays face à la "menace terroriste" représentée par les Talibans.

Fin 2015, Barack Obama avait déjà annoncé une pause dans le retrait des troupes américaines, prenant acte des difficultés de l'armée afghane devant le retour en force des Talibans. Ces derniers, qui multiplient les offensives, étaient parvenus à prendre (brièvement) la grande ville de Kunduz. Ils ont encore tenté de s'en emparer début octobre.

Bilan: un cadeau empoisonné

C'est un revers pour Barack Obama, qui va laisser un dossier épineux à son successeur avec cette guerre interminable, la 2e plus longue de l'histoire des Etats-Unis. Comme le note RFI, les Américains sont "engagés dans un cercle vicieux" puisque les Talibans refusent de négocier avec les autorités tant que leurs militaires n'auront pas quitté le pays.

Le question des tensions raciales et les violences policières

Cela peut sembler paradoxal. Alors que s'achèvent huit ans de mandat du premier président noir de l'histoire des Etats-Unis, le pays est touché par de vives tensions raciales, avec la recrudescence de bavures policières contre des Afro-Américains non armés mais aussi des meurtres de policiers commis par vengeance.

A son élection en 2008, Barack Obama avait pourtant suscité l'espoir, attirant les votes de 95% des électeurs afro-américains qui s'étaient déplacés massivement dans les bureaux de vote. Le sénateur démocrate avait marqué les esprits par son discours, dans lequel il s'engageait à "poursuivre la longue marche" des abolitionnistes et des militants des droits civiques.

Se prononçant "pour une Amérique plus juste, plus égale, plus libre, plus attentionnée et plus prospère", Barack Obama avait revendiqué ses origines multiculturelles (père noir du Kenya, mère blanche du Kansas) et évoqué les "vieilles blessures raciales" des Etats-Unis. Des "blessures" qu'il est aujourd'hui accusé d'avoir ravivé.

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Un rassemblement de Black Lives Matter à Oklahoma City, en juillet 2016


De la mort de Trayvon Martin en février 2012 au meurtre de huit policiers à Dallas et à Baton Rouge par des anciens combattants noirs en juillet 2016, en passant par les affaires Eric Garner (2014) ou Freddie Gray (2015), la succession des événements ne plaide pas en la faveur de Barack Obama. Ce dernier n'a pu que s'en désoler.

En réaction, la communauté noire s'est mobilisée avec la naissance du mouvement "Black Lives Matter" en Floride, qui a essaimé dans tout le pays depuis 2013. Un mouvement qui reproche au président américain de ne pas l'avoir soutenu mais surtout de ne pas avoir agi concrètement pour empêcher les bavures policières et réduire les inégalités touchant les Noirs.

Bilan: un président qui a déçu

En s'efforçant d'être le "président de tous les Américains" et en s'attachant à défendre les institutions (police, justice), Barack Obama se voit reprocher d'avoir négligé une communauté qui attendait pourtant beaucoup de lui. Reste à savoir si Donald Trump, qui a su surfer sur les tensions, sera à même de les calmer.

Le contrôle des armes à feu

Là aussi, le bilan des huit années de Barack Obama au pouvoir est plus que mitigé. Comme le comptabilisait Slate en juin, le démocrate détient bien malgré lui un triste "record" pour un président américain avec 287 personnes tuées par balles lors des 33 tueries de masse perpétrées durant ses deux mandats.

Barack Obama se désole, à chaque nouveau drame, que les Etats-Unis soient "le seul pays développé au monde où cela se produit", souligne Le Monde. Mais il a semblé bien impuissant à réguler les armes à feu et mettre fin à ces massacres, comme il s'y est pourtant engagé à plusieurs reprises au cours de sa présidence.

La raison? Là encore, le blocage du Congrès dominé par les républicains, farouches défenseurs du deuxième amendement de la Constitution et donc hostiles à toute limitation du port d'armes. Cela s'explique aussi par la puissance du lobby des armes, la National Rifle Association (NRA), en conflit ouvert avec Barack Obama.

En avril 2013, malgré l'émotion suscitée quelques mois plus tôt par le massacre de Sandy Hook (28 morts au total, dont 20 enfants et le tireur), le président a subi l'un de ses revers les plus cuisants avec le rejet par le Sénat (pourtant à majorité démocrate à l'époque) de sa réforme visant à encadrer la détention d'armes. "Un jour de honte pour Washington", avait alors réagi le président.




Cela a décidé Barack Obama à agir par la voie réglementaire, c'est à dire par décrets, notamment pour imposer la vérification des antécédents judiciaires et psychiatriques des acheteurs d'armes. Problème, ces mesures ont été bloquées quelques mois plus tard par un juge fédéral, puis une cour d'appel fédérale.

Bilan: des efforts mais une certaine impuissance

Malgré ses efforts, Barack Obama a échoué à encadrer la détention d'armes à feu, face à l'opposition des républicains et de la NRA. Début janvier, il a affirmé les larmes aux yeux (voir ci-dessus) qu'il y avait "une urgence absolue" à agir et de nouveau opté pour la voie réglementaire. La situation ne risque pas d'évoluer à son départ, Donald Trump étant opposé au contrôle des armes et le Congrès restant aux mains des républicains.

La réforme de l'immigration

Plus de 11 millions d'immigrés clandestins, en majorité hispaniques, vivent aux Etats-Unis. Pour faire face à cette situation, mais aussi plus largement pour redéfinir le système d'immigration américain, Barack Obama s'était engagé dans sa campagne de 2008 à une réforme ambitieuse... qui n'a jamais vu le jour.

Début 2009, le nouveau président réaffirmait qu'il s'agissait de l'une de ses priorités. Comme l'expliquait alors Le Figaro, l'idée était de "lancer un processus de régularisation massive pour donner un statut légal" aux clandestins, "tout en renforçant les contrôles aux frontières et le dispositif de sanctions contre les entreprises" employant des illégaux.

Mais, comme sur d'autres dossiers emblématiques, Barack Obama a dû faire face à la frilosité, voire au blocage du Congrès. Contraint de repousser sa réforme, il ne l'a pas pour autant abandonnée: elle a été remise au goût du jour après sa réélection en 2012, acquise notamment grâce au soutien des Hispaniques.

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Un kit de campagne d'électeurs hispaniques pro-Obama en 2012


Après avoir affirmé qu'il s'agissait du "plus gros échec" de son premier mandat, le président a profité de cette position de force pour se rapprocher d'un compromis. En juin 2013, le Sénat a adopté la proposition de loi défendue par Barack Obama. Mais la Chambre des représentants à majorité républicaine a annoncé qu'elle bloquerait le texte.

En 2014, Barack Obama a finalement décidé d'agir par décret en régularisant provisoirement quelque 5 millions de clandestins, afin de leur éviter d'être expulsés. Mais la Cour suprême lui a infligé un nouveau désaveu en juillet 2016, en bloquant la mesure. Une décision "douloureuse" qui confirme le blocage de la situation.

Bilan: un véritable désaveu

Barack Obama va quitter la Maison Blanche sans avoir réussi à faire mieux sur cette question que son prédécesseur George W. Bush. Le projet de régularisation massive de sans-papiers vivant sur le sol américain reste "en souffrance" depuis août 2001, lorsqu'un texte en ce sens avait été déposé au Sénat, rappelle Le Monde. Il pourrait le rester encore un moment, au vu des prises de position de Donald Trump sur cette question.

Maxime Bourdier