(photo: AFP/Archives/Photo d'illustration)
Répondre à la «propagande jihadiste» en ligne en présentant un contre-argumentaire officiel ou en désactivant des comptes jugés extrémistes pourrait avoir un effet limité. Ces mesures pourraient même occulter la lutte contre les éléments à la base de ce radicalisme, selon des experts.
A mesure que l'Etat islamique (EI) a étendu son emprise sur l'Irak et la Syrie, sa communication moderne sur Internet est apparue comme une arme redoutable.
Des vidéos d'exécutions aux films promotionnels, semblant sortis d'Hollywood, en passant par des facilités d'accès à des recruteurs via les réseaux sociaux, l'organisation sunnite radicale a étendu le champ de bataille sur le Web, comme aucun autre groupe armé auparavant, ont convenu les participants de la conférence «Internet et la radicalisation des jeunes», organisée lundi et mardi par l'UNESCO à Québec.
Pris de vitesse, les Occidentaux ont lancé diverses initiatives depuis deux ans, avec un credo: proposer un contre-discours en ayant recours aux mêmes outils numériques.
«Mettre des mots»
«On fait de la contre-propagande. Le combat politique, c'est d'abord mettre des mots. Le contre-discours mise sur l'esprit critique des jeunes», résume à l'AFP Juliette Méadel, secrétaire d'Etat française chargée de l'aide aux victimes, en marge de la conférence de Québec.
Quelques jours à peine après les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Casher à Paris, le gouvernement français lançait en janvier 2015 le site www.stop-jihadisme.gouv.fr, suivi quelques mois plus tard par des comptes sur Facebook et Twitter.
Une initiative pour «être capable de structurer une argumentation qui percute et qui permette d'éviter que les jeunes qui se laissent embringuer par des sites des jihadistes n'aient aucun argument en réponse», plaide Mme Méadel.
Ce contenu doit toutefois être «authentique», et provenir d'anciens membres ou de sympathisants de l'EI, car «les gouvernements ne savent pas comment s'adresser à quelqu'un qui s'interroge sur des croyances radicales», relève Ross LaJeunesse, responsable des relations internationales de Google.
Le flot ne se tarit pas
Outre les Français, Américains, Britanniques ou encore Canadiens ont mis en oeuvre de telles stratégies, appuyées par une plus grande implication des géants d'Internet. Twitter a par exemple désactivé quelque 235'000 comptes au cours des six premiers mois de l'année.
Or, «se faire suspendre son compte Twitter est vécu comme une forme de légitimation», relève Amarnath Amarasingam, responsable du programme sur l'extrémisme de l'université George Washington.
Le chercheur passe ses journées à disséquer les communications de l'EI sur le réseau de messagerie cryptée Telegram, privilégié par les djihadistes car réputé inviolable. Abonné à 80 groupes de discussion, il dénombre ainsi 50 à 150 messages émis par le groupe radical chaque jour, un flot qui ne se tarit pas.
«On ne peut pas juste s'arrêter sur l'usage des médias» pour chercher à expliquer le succès de la communication du groupe djihadiste auprès des jeunes «et oublier l'invasion de l'Irak en 2003 (par les Etats-Unis), les rivalités entre sunnites et chiites et toutes les autres causes complexes», dit-il.
Répondre aux problèmes des jeunes
Il est inutile et vain de vouloir gagner le terrain de la propagande, car il est mené, côté djihadiste, par «des gamins qui ont grandi en Occident en s'appropriant les outils de communication qu'ils maîtrisent parfaitement», poursuit M. Amarasingam.
A la tête d'une initiative visant à compiler les travaux scientifiques sur le sujet pour l'UNESCO, Séraphin Alava abonde: «Il n'existe pas de preuves d'un lien direct entre la radicalisation des jeunes et la propagande en ligne», affirme ce chercheur de l'université de Toulouse.
Il faut reconnaître que «des jeunes s'imaginent un rôle dans le monde proposé par l'EI» plutôt que de simplement dire qu'ils sont «victimes d'un lavage de cerveau», poursuit Cristina Archetti, chercheuse à l'université d'Oslo.
«Il est irréaliste de penser pouvoir mener la déradicalisation avec des messages sur Internet. Il faut plutôt répondre aux problèmes réels de ces jeunes», insiste Amarnath Amarasingam.
«Si l'on veut tarir la source de radicalisation sur Internet, il faut commencer à agir dans la vie réelle», convient de son côté la secrétaire d'Etat française. Il faut ainsi se concentrer sur «l'éducation, l'accompagnement dès la petite enfance, la politique d'intégration et même d'inclusion, et offrir des perspectives d'emploi».
ATS