Laurent Delahousse consacre un excellent portrait à l'ancien chef de l'État : de la légende officielle aux histoires moins connues.
On a beau connaître Jacques Chirac depuis la fin des années 1960, on a toujours plaisir à revenir sur ses aventures. Chirac, c'est comme le personnage d'un bon vieux roman. On s'y attache. On aime ses défauts. Et on lui attribue avec le temps de plus en plus de qualités. Laurent Delahousse, conteur hors pair, rouvre le livre de cinquante années de politique française. Avec gourmandise. Il arrive même, chose difficile, après des heures et des heures de pellicules consacrées à l'ancien président, à y apporter des choses nouvelles. « Pour l'essentiel, l'homme est ce qu'il cache », disait Malraux. Et l'ex-chef de l'État cache beaucoup. Delahousse cherche à débusquer le vrai Chirac. Certes, il échoue à répondre de manière explicite à la thèse de son titre (L'Homme qui ne voulait pas être président). Mais son brillant récit, où les idées politiques ne sont pas abordées, recèle de bonnes intuitions et des témoignages forts (les dernières interventions de Jérôme Monod, le fidèle, et Charles Pasqua).
Chirac, l'homme qui « obtempère toujours »
Voilà peut-être un trait de Jacques Chirac que l'on connaît peu. On le croyait rebelle, il n'est qu'un « rebellocrate » cher à Philippe Muray. « Il obtempère toujours », explique merveilleusement Jean-Luc Barré, l'historien qui a participé aux mémoires de Chirac. C'est le cas quand, adolescent, il achète une pipe, prend le bateau au Havre et devient matelot. Son père siffle la fin de la récré et le voilà revenu à bon port, parti pour une carrière qui l'ennuie (Sciences Po, ENA). C'est également le cas quand, jeune homme, s'aventurant quelques semaines aux États-Unis, il tombe amoureux d'une jeune fille. On se fiance, on parle mariage. Sauf que Chirac est déjà lié à Bernadette. Il revient du côté des Chodron de Courcelles. C'est enfin le cas quand, Premier ministre, il se prend d'amour pour une journaliste du Figaro . Mais marié, il ne peut divorcer. Raison d'État. Marie-France Garaud et Charles Pasqua achèvent de le convaincre de rester avec femme et enfants (lire l'excellent Jacques et Jacqueline de Laureline Dupont et Pauline de Saint-Rémy). Cette thèse pourrait s'appliquer, ce que ne fait pas le documentaire, au domaine des idées politiques. « Facho Chirac » parle comme Bonaparte et « Chichi » gouverne comme Guy Mollet. « Il y a toujours un moment où l'ordre l'attend. Comme s'il en avait besoin […] il rentre dans le rang », conclut Jean-Luc Barré.
Quand Mitterrand aide Chirac à gagner en 1995
Ils se sont affrontés dans l'une des campagnes les plus brutales. En 1988, François Mitterrand dénonce les clans. Sa cible : Jacques Chirac. Le débat présidentiel est d'une rare violence. « Vous avez tout à fait raison, monsieur le Premier ministre », l'exécute le président. Il est réélu largement. En 1994, une cérémonie est organisée à l'Hôtel de Ville pour les 50 ans de la libération de Paris. Empêtré dans de mauvais sondages face à « son ami de trente ans » Édouard Balladur, Chirac est en difficulté.
François Mitterrand va l'aider. Il brise le protocole pour demander au maire de Paris (Chirac, donc) de lui signer un livre d'or. Mais c'est une excuse. Seul à seul, le chef de l'État lui donne un conseil : « N'annoncez pas votre candidature trop tard. C'est votre tour. Je ferai tout pour vous aider », confie François Mitterrand dans des propos rapportés par un photographe présent. On connaît la suite : en plus du conseil, Mitterrand lui livrera une arme exceptionnelle, Jacques Pilhan, et le vaincu de 1988 remportera l'Élysée. Un juste retour des choses : en 1981, Jacques Chirac n'avait-il pas donné une consigne de voter aux fédérations RPR en faveur du candidat PS pour faire battre Giscard ?
Une fin de règne difficile
C'est le fil conducteur du documentaire. La fin de règne compliquée d'un fauve politique devenu un vieux lion fatigué. En 2005, alors qu'il effectue un discours, la mécanique si bien huilée s'enraye. Il fait bonne figure, mais coupe court à la cérémonie. « Je ne sais pas ce que c'est. Je lis, mais je ne comprends plus ce que je lis », dit-il à Bernadette. Hospitalisé, on lui décèle un AVC. Rien ne sera plus pareil. Son quinquennat terminé. « On a noté une certaine lassitude, une certaine distance », confie Bruno Le Maire. Il devient « l'homme invisible » selon le New York Times, lors des émeutes de banlieue. Il quitte l'Élysée en 2007 et voit son agenda se réduire, ses camarades politiques l'oublient, son esprit l'abandonne.
Toutefois, il retrouve le sourire quand son vieil ami François Pinault l'invite à Saint-Tropez. Il adore titiller VGE au Conseil constitutionnel en lui rappelant que LUI a été réélu. Il aime dire du mal « du petit » (Sarkozy), que « maman » (Bernadette) défend. Il s'amuse, après coup, de son tonitruant « Je peux dire que je voterai François Hollande ! » en 2011, irritant toute la Sarkozie et sa femme. Une relation de couple, d'ailleurs, qui perdure depuis plus de soixante ans. C'est une Bernadette touchante et sarcastique qui intervient (un documentaire sur l'ex-première dame est programmé à 23 heures). « C'est un mari très exceptionnel. La preuve, c'est qu'il y en a beaucoup qui auraient bien voulu l'avoir et qui ont tout fait d'ailleurs pour essayer de le faire déraper. Mais ça n'a pas marché […] Et j'ai fini par gagner. »
Pendant deux heures, ce Dimanche 20 h 55, nous montre un Chirac plus doué pour la conquête du pouvoir que pour son exercice. Un fauve qui chasse, tue, mais le fait mécaniquement, par amour du geste. Un beau parleur qui séduit, monte l'escalier, mais ne reste pas. Et si sa meilleure définition était cette phrase de Maurice Barrès : « Tout obtenir afin de pouvoir tout mépriser » ?
"Jacques Chirac, l'homme qui ne voulait pas être président", ce dimanche soir à 20 h 55 sur France 2.
FLORENT BARRACO