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lundi 5 septembre 2016

Pascal Jaussi CEO de S3 sauvagement agressé


Pascal Jaussi est hospitalisé dans un état critique après avoir été battu et brûlé. Sa start-up de Payerne est active dans le domaine hautement stratégique des lanceurs spatiaux de satellites.

Depuis son agression le 26 août, Pascal Jaussi (ici en 2014) est toujours hospitalisé dans un état sévère. Le Patron de S3 se savait menacé pour questions de stratégie industrielle.
Image: Jean-Paul Guinnard


Fondateur et CEO de la firme Swiss Space Systems (S3), à Payerne, Pascal Jaussi a été retrouvé dans un état critique il y a dix jours, dans une forêt d’Aumont (FR). L’entrepreneur a été victime d’une agression particulièrement violente. Battu, puis arrosé d’un produit inflammable, il a été retrouvé grièvement brûlé à côté de sa voiture en feu. Il a été héliporté au CHUV le corps brûlé sur 25% de sa surface. Le torse, un bras, le visage et le cou sont touchés.

Durant son agression, Pascal Jaussi a également été victime d’une strangulation. Ses jours ne sont pas en danger, mais son état est jugé sévère. Père de famille, ingénieur et pilote de formation, l’entrepreneur de tout juste 40 ans est sous morphine depuis une semaine et devra sans doute subir une ou plusieurs greffes. La nouvelle n’a pas fuité plus tôt en raison de son état et de l’enquête. Que s’est-il passé et pourquoi?

Selon nos sources, Pascal Jaussi aurait vu l’un de ses agresseurs le vendredi matin, devant le siège de sa société. Il l’aurait revu l’après-midi avec un comparse. Il aurait tenté de les suivre au volant de sa voiture. L’entrepreneur est alors arrêté par les deux hommes qui le menacent avec des armes. Un des individus monte dans sa voiture et le force à rester au volant en lui ligaturant le cou depuis la banquette arrière. Le malheureux manque de perdre connaissance. L’autre individu les suit dans une berline noire.

Aspergé d'essence ou d'alcool

La voiture de Pascal Jaussi prend alors une route qui conduit dans une forêt d’Aumont. Là, il est violemment battu et aspergé d’essence ou d’alcool. A moitié inconscient, il est installé dans sa voiture par ses agresseurs qui craquent une allumette avant de s’enfuir. Les habits en feu, l’entrepreneur s’extirpe de sa voiture et trouve la force d’appeler les secours avec son portable. Il appelle aussi un ami tout proche, qui arrive juste avant les pompiers. Il est sauvé de justesse.

«Un procureur instruit cette affaire et les inspecteurs doivent encore éclaircir plusieurs points», indique la police fribourgeoise. Les infractions retenues pour l’instant portent sur des lésions corporelles graves, l’incendie intentionnel et la contrainte. «Dès l’agression, j’ai été informé des faits. Je continue à l’être. J’ai été scandalisé par les éléments dont j’ai été saisi. J’ai pensé immédiatement à Pascal Jaussi et à sa famille», a commenté à ce sujet le conseiller d’Etat Philippe Leuba, qui connaît bien S3. Qui en a voulu ainsi à la vie de son patron?

«De la folie. Du vrai James Bond!»

Depuis plusieurs mois, Pascal Jaussi se disait menacé pour des «questions industrielles». Il en avait parlé dans son entourage ainsi qu’à la police. Sa société, Swiss Space Systems, cherche à développer des lanceurs de satellites à partir de navettes spatiales. Un domaine hautement concurrentiel et stratégique impliquant des acteurs de nombreux pays, sur plusieurs continents. Derrière le slogan «Space for all», Pascal Jaussi cherche à rendre l’espace accessible au plus grand nombre avec un système de lanceurs de satellites à bas coût réutilisable. «C’est une manière de voir les choses qui détonne dans ce milieu et qui crée des inimitiés», observe un proche de la PME. Le centre de calcul de S3 avait d’ailleurs été victime d’une attaque l’an dernier, quand des inconnus avaient fracturé les locaux installés à Payerne pour inonder les serveurs informatiques avec une lance à incendie. Pascal Jaussi ne s’était pas laissé intimider.

«De par ses activités spatiales et son potentiel, S3 est classée parmi les onze entreprises les plus sensibles de Suisse, les enjeux stratégiques sont énormes, explique un des bailleurs de fonds de S3. Nous sommes effondrés et consternés par ce qui arrive. La pression était forte depuis longtemps: intimidations, lignes de téléphone sur écoute, espionnage. C’est de la folie, du vrai James Bond!»

Dans une interview accordée en avril à La Liberté, Pascal Jaussi faisait part de ses craintes. «Je pense que l’impact stratégique de S3 a été sous-estimé. Démocratiser l’accès à l’espace n’est pas une vision fortement partagée par l’industrie spatiale. Nous ne pensions pas nous attirer autant d’ennemis en nous lançant dans ce projet et nous subissons beaucoup de pressions. J’ai parfois l’impression d’être David contre Goliath. Il s’agit d’un combat quotidien.»

Activités maintenues

S3 est-elle menacée? «Cette agression lâche est très pénible, c’est un coup dur. Mais nous sommes plus déterminés que jamais à poursuivre nos activités», dit un proche de S3. L’entreprise S3 a été ouverte en 2013 à Payerne avec des dizaines de collaborateurs et de grandes ambitions. Ses activités spatiales ont été moins rapides et florissantes que prévu. En revanche, dès cet hiver, elle va commercialiser des vols «zéro G» (vols paraboliques permettant de recréer des conditions d’absence de pesanteur) dans un Airbus A340 qu’elle vient d’acquérir et qui a été présenté au public à Payerne, il y a deux mois.

De nouveaux acteurs qui dérangent

Or, en Europe comme aux Etats-Unis et désormais en Asie, nombre d'entreprises sont liées aux quelques lanceurs traditionnels, qui se partagent le marché depuis des décennies. Pour ces fournisseurs, sous-traitants, partenaires, l'arrivée de nouveaux acteurs venant casser les prix peut constituer une grave menace pour la pérennité du chiffre d'affaires.

Une autre piste pourrait toutefois être explorée par les enquêteurs qui vont tenter de retrouver les agresseurs de Pascal Jaussi: les retards pris par Swiss Space Systems par rapport à quelques annonces et plannings dévoilés début 2015. A l'époque, Swiss Space Systems annonçait son introduction en bourse pour fin 2015. Cette prévision intervenait juste après l'achat de terrains à Payerne pour bâtir un spaceport, un an et demi à peine après avoir développé ses activités aux Canaries pour lancer (dès 2018 affirmait la startup à l'époque) des petits satellites depuis l'archipel.

Or, tout ce calendrier a été chamboulé: si un Airbus A340-300 a bien atterri à Payerne cet été, l'IPO n'a pas encore eu lieu. Et plusieurs investisseurs qui misaient sur un décollage fulgurant de cette startup pour voir leur mise fructifier en sont quittes pour attendre.

Cependant, il semble assez peu probable que le climat général de menace qui pèse depuis quelques mois autour de S3 soit lié à des (futurs) actionnaires impatients. Le sabotage des serveurs avec effraction et utilisation d'une lance à incendie pour noyer les équipements serait totalement contre-productif pour des investisseurs impatients de voir S3 croître et percer sur le marché.

De plus, la crédibilité du projet de Pascal Jaussi reste très forte. Les retards d'introduction en bourse sont courantes pour les startups et ne présagent en rien de difficultés ou de réussites ultérieures. Et parmi les partenaires de Swiss Space Systems, il n'y a pas eu de défections en chaîne ces derniers mois: TAG Heuer a encore réaffirmé son engagement aux côtés de la jeune startup au mois de juillet. De quoi rassurer les souscripteurs. Reste à voir dans quelles directions vont aller les enquêteurs dans leurs investigations...

Christian Aebi