Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 11 septembre 2016

Ahmad Massoud, le fils du «lion du Panshir», prêt pour un destin afghan


Ahmad Massoud arrivant à la tombe de son père, 
le commandant Ahmad Chah Massoud, dans la vallée du Panshir, 
le 19 juillet 2016.
© AFP - WAKIL KOHSAR


Le 11 septembre 2001, l’Amérique subissait une vague meurtrière d’attentats fomentés par la nébuleuse al-Qaïda. Deux jours avant, le commandant Massoud, le «Lion du Panshir», avait été assassiné par des tueurs envoyés par les partisans d’Oussama Ben Laden. Aujourd’hui, son fils Ahmad, âgé de 27 ans, tente de reprendre l’héritage.

«Mon père n’aurait jamais laissé des troupes étrangères intervenir en Afghanistan. Mais il avait prévenu l’Amérique du risque terroriste et réclamé son soutien. Ils ont répondu après le 11 Septembre. Trop tard. Quinze ans et des milliards de dollars plus tard, sans vrai leader, voyez le gâchis».



Ahmad était apparu pour la première fois aux yeux du monde en 2001 lors de l’enterrement de son père. Mascotte juchée sur le char tirant le cercueil de son père sur les chemins du Panshir, il avait alors 12 ans.

Aujourd’hui, l’enfant est devenu un adulte. Le regard est le même que celui du responsable moudjahidine. Mais les traits sont plus doux et le visage moins émacié que celui d'Ahmad Chah Massoud. Le portrait de ce dernier, tour à tour pensif, grave ou rieur, continue d'orner chaque mur, chaque échoppe, chaque virage de chaque route dans la vallée du Panshir (nord-est) qu'il a défendue contre les Soviétiques puis les talibans, à la tête de ses moudjahidines et de l'Alliance du Nord. Une vallée où à trois heures au nord de la capitale, la dévotion pour le «lion du Panshir» est sans nuance.

Dans le jardin dessiné par son père, Ahmad le fils raconte le dernier passage du chef dans la maison familiale. Ce dernier vivait secrètement plus au nord avec ses combattants, Curieusement, il ne cessait d'évoquer les «dernières fois», peu avant sa mort: «Il me disait: ‘‘Viens prier une dernière fois avec moi. Nager une dernière fois, jouer une dernière fois...’’ C'était une semaine avant son assassinat.»

A 7 ou 8 ans, se souvient-il, il avait rêvé la mort de son père. «Selon la coutume du Panshir, il ne faut pas raconter un mauvais rêve à un tiers, mais courir le confier à la rivière pour qu'elle l'emporte. Ce que j'ai fait. Malheureusement, ça n'a pas suffit.»

Ahmad Massoud avec l'ancien président afghan Barhanuddin Rabbani, lors de la cérémonie d'enterrement de son père, le 16 septembre 2001. © Reuters - STR New

Après l’opération d’al-Qaïda, la mort du chef est tue par le clan. Les leaders du Panshir et leurs alliés politiques veulent d'abord s'accorder sur la succession. «Il a fallu l'insistance de ma mère pour qu'ils nous laissent le voir. Dans l'hélicoptère qui nous emmenait, tout était différent: j'étais assis parmi les chefs, plus personne ne plaisantait ni ne jouait avec moi», confie Ahmad Massoud. «A l'hôpital, dans une petite pièce à l'écart, ils ont soulevé un linge blanc et j'ai vu mon père. Un choc. Bien qu'élevé dans la guerre, je n'avais jamais vu de mort.»

A 12 ans, l’aîné de cinq sœurs se retrouve seul dépositaire de l'aura héroïque de son père. Le jour des obsèques, tout le Panjshir converge vers la colline de Bazarak où le commandant va être inhumé dans le chaos, entre combattants et villageois endeuillés. Quand Ahmad apparaît, tous se pressent autour de l'héritier. Il a l'air d'un enfant. Mais il marche tête baissée, les mains nouées dans le dos. Comme son père.



Ministre ou enseignant ?

«J'ai compris que je devais soudain devenir une autre personne», dit-il. Mais c'est à 17 ans qu'il mesure vraiment le fardeau de l'héritage, quand il est sommé par son entourage de renoncer à ses rêves d'astronomie: «L'effet d'un seau d'eau glacé.» Il ira à Londres pour étudier les relations internationales au King’s College.

Ahmad Massoud, 27 ans aujourd'hui, a validé son diplôme et devrait revenir dans son pays à l’automne 2016. «J'ai étudié pour rentrer, jure-t-il. Je n'ai pas d'autre nationalité, pas de biens hors d'Afghanistan, ni investissements ni comptes bancaires. La vie de mon père était ici, celle de ma famille, mon avenir aussi.»

Ahmad Massoud, 8 ans, avec son père en août 1997, dans leur maison de la vallée du Panshir. 
© AFP - Emmanuël Dunand


Aujourd’hui, le fils du commandant Massoud pense que «les Américains ont laissé s'installer un mauvais berger aux affaires. Ils ont échoué à mettre en place une structure politique stable.» La critique vise l'actuel président Ashraf Ghani, qui partage le pouvoir, dans le cadre d'un fragile accord négocié sous l'égide des Etats-Unis, avec Abdullah Abdullah, ancien compagnon de route du commandant Massoud. Et d’ajouter : «Mon père n'aurait jamais laissé des troupes étrangères intervenir en Afghanistan. Mais il avait prévenu l'Amérique du risque terroriste et réclamé son soutien. Ils ont répondu après le 11-Septembre (2001). Trop tard. Quinze ans et des milliards de dollars plus tard, sans vrai leader, voyez le gâchis.»

«J’espère qu’un jour nous serons ensemble, unis contre ces diables qui menacent nos vies. Moi aussi, Ahmad Massoud, j’en ai été la victime : ils ont tué mon père. Sans considération du fait qu’il était musulman. Seuls les musulmans modérés et un islam modéré pourront vaincre des organisations comme Daech et al-Qaida», explique-t-il cité par La Croix.

S’investira-t-il en politique, comme député, ministre ou président? «Pourquoi pas, si les gens pensent que je peux bien les servir. Sinon, je serai enseignant», répond-il.

Agnès Rotivel