Dubaï est-il devenu trop mégalo, trop gigantesque, trop cher ? Certaines entreprises et quelques milliers de touristes lui préfèrent le minuscule émirat de Ras Al-Khaïma, à une petite heure de voiture.
Qui connaît Ras Al-Khaïma, en dehors de rares historiens, spécialistes de la péninsule arabique ? Au temps du règne de sultan bin Saqr Al-Qassimi, au XIXe siècle, les Qawassim (ancêtres des Qassimi) faisaient régner la terreur dans le détroit d'Ormuz. Ces pirates tenaient même certains ports de la côte iranienne. Pour sécuriser la route des Indes, les Britanniques anéantirent à deux reprises la petite ville de Ras Al-Khaïma, et le minuscule émirat (1 700 km2) sombra dans la torpeur la plus complète. Ras Al-Khaïma (« la pointe de la tente » en arabe) n'a pratiquement pas bronché quand Téhéran lui a fauché deux petites îles, Grande Tomb et Petite Tomb, en 1971.
Durant son règne interminable, de 1948 à 2010, Saqr bin Mohamed Al-Qassimi s'est contenté de contempler, d'un œil distrait, les vieilles tours de guet tournées vers la mer et les plantations de dattiers. Juché à l'extrême nord des Émirats arabes unis (EAU), RAS était le parent pauvre, oublié. Pas de pétrole comme à Abou Dhabi, encore moins la bosse des affaires et le génie du marketing, comme à Dubaï. Rien que du désert et des montagnes, les monts Ajjar, qui culminent à 24 00 mètres. Des montagnes arides, mais riches en calcaire, en argile et en roches d'excellente qualité.
Sans barbe ni moustache
Et ça tombe bien, Dubaï et Abou Dhabi ne cessent d'imaginer des tours plus vertigineuses les unes que les autres. Ces Manhattan du désert ont besoin de ciment, de beaucoup de ciment et autres matériaux de construction, Ras Al-Khaïma est là pour assouvir leur insatiable soif de construction. Depuis, RAK Ceramics est devenu le plus gros producteur mondial de carrelages en céramique. Et surtout, au prince fainéant, son père, a succédé son fils, Saoud bin Saqr Al-Qassimi, diplômé d'universités américaines, et jaloux du succès de Dubaï. Sur les photos officielles réunissant les souverains des sept émirats constituant les EAU, il est le seul à ne porter ni barbe ni moustache.
La stratégie développée par ce chef d'État glabre est simple : imiter Dubaï, mais en se gardant toutefois de tomber dans la même mégalomanie. Comme l'émirat n'est qu'à une heure de voiture de Burj Khalifa, le plus haut bâtiment du monde, pourquoi ne pas proposer aux industriels, aux chaînes hôtelières, des terrains à prix réduits dans ses zones industrielles et sur ses plages désertes ? Et aux salariés, des loyers à prix raisonnables dans des immeubles dont les étages peuvent encore se compter sur les doigts des deux mains. Ajoutez que la main-d'œuvre (composée essentiellement de populations d'origine asiatique) y est moins chère, et tout aussi soumise qu'à Dubaï.
Un millier d'entreprises dans les zones franches
Et, bien évidemment, comme à Dubaï, il n'y a pas d'impôt sur le revenu, pas d'impôt sur la fortune, pas d'impôt sur les bénéfices et la possibilité de rapatrier 100 % de ses gains. La Ras Al-Khaïma Free Trade Zone Authority annonce plus d'un millier d'entreprises, notamment le Français ARC International, spécialiste des arts de la table. La société suisse Ginox, championne des cuisines professionnelles pour l'hôtellerie, a équipé At.mosphère, le plus haut restaurant du monde, à 442 mètres, au 122e étage de la Burj Khalifa. « 80 % de notre clientèle est à Abou Dhabi et à Dubaï, mais nous avons choisi d'installer notre usine à Ras Al-Khaïma. Malgré sa petite taille, l'émirat a beaucoup investi dans ses infrastructures et nous avons un accès facile aux autres émirats », souligne Hassan Anouti, general manager de Ginox.
Le plus jeune pôle mondial d'affaires des Émirats arabes unis, qui se veut « moderne, dynamique, anticipatif » et qui se voit « devenir un épicentre mondial de développement et d'affaires », attrape parfois lui aussi la grosse tête. À moins d'une heure de l'aéroport international de Dubaï (qui a accueilli 6,7 millions de passagers en mai dernier), RAK a voulu son aéroport à lui. Toujours comme Dubaï, l'émirat imagine des îles artificielles, et se laisse peu à peu tenter par l'édification de bâtiments futuristes, tous qualifiés de « prouesses architecturales ». Enfin, comme à Dubaï, impossible de ne pas louer le génie du souverain, Saoud bin Saqr Al-Qassimi. Il a soixante ans, mais en paraît toujours trente sur ses portraits officiels.
IAN HAMEL