L’enquête sur l’assaut de la voiture de police incendiée le 18 mai à Paris repose sur le témoignage contesté d’un policier. Et sur la couleur d’un sous-vêtement...
Un dossier judiciaire politiquement miné. L’affaire de l’attaque de la patrouille de police quai de Valmy apparaît plombée les prises de position idéologiques.
Cinq jeunes gens, âgés de 18 à 32 ans, connus pour leur engagement à l’extrême gauche, sont mis en examen, notamment pour tentative d’homicide contre deux policiers dont la voiture a été incendiée le 18 mai dernier à Paris, en marge d’un rassemblement de policiers contre la « haine antiflics ». Alors que la chambre de l’instruction doit statuer aujourd’hui sur trois remises en liberté contestées par le parquet de Paris, voici ce que recèle le dossier d’instruction.
12 h 30 : l’agression en direct
A 12 h 30, une caméra de vidéosurveillance quai de Valmy pivote à 360° et filme un groupe de 200 manifestants environ en train de remonter le canal Saint-Martin, avant d’encercler et de secouer une voiture de patrouille. « On a bien cru que nos collègues allaient y passer », témoigne un policier, spectateur impuissant de la scène depuis la salle de commandement de la préfecture de police. Du fait de l’éloignement, les images, bien qu’en couleur et de bonne qualité, ne permettent pas de distinguer clairement les actes des protagonistes. Dans la foulée, une seconde attaque, plus violente, est filmée par des vidéastes amateurs au plus près. Vues des millions de fois sur Internet, ces images se révèlent plus utiles aux enquêteurs qui se concentrent sur des détails vestimentaires et la physionomie d’une quinzaine d’agresseurs masqués.
A 14 heures, une heure et demie seulement après l’attaque, la Direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) fournit à la police judiciaire les noms de quatre suspects. Deux frères, Angel, 18 ans, et Antonin, 21 ans, tous deux étudiants, sont arrêtés à leur domicile parisien, à 17 h 25 et à 19 h 35. Bryan, 20 ans, est interpellé dans la soirée. Enfin, le lendemain, Leandro, 32 ans, un ex-postier en formation d’éducateur, est brutalement réveillé à 6 h 45.
Un policier dans la foule
Ce jeudi, à 13 h 20, un « témoin anonyme », qui se révélera un policier de la DRPP, livre un récit circonstancié. Pièce centrale, pour ne pas dire unique, de l’accusation pour mettre un nom sur les agresseurs, elle est sous le feu de la défense (lire ci-dessous). Ce policier dit avoir clairement vu des manifestants, notamment les deux frères, Angel et Antonin, se « grimer » en noir à l’angle du quai de Valmy et de la rue Beaurepaire. Au passage de la voiture de police, il entend ces hurlements : « On les bute ! On les bute ! », mais aussi « Arrêtez, ne faites pas les cons ! ». Le fonctionnaire se dit certain que Bryan et Leandro figurent parmi le groupe d’assaillants sans pour autant évoquer de geste de violences de leur part. « Je ne l’ai pas vu agir », précise-t-il pour l’un. « Il a remonté son col », ajoute-t-il pour l’autre. Une image montre d’ailleurs Leandro, à distance sur le trottoir. En revanche, le témoin charge les deux frères. Le premier, Angel, qu’il situe au contact direct de la voiture (les enquêteurs pensent qu’il est l’un des assaillants du policier au volant). Quant à Antonin, il serait celui qui brise la vitre arrière avec un plot métallique. Au dire de l’accusation, il est rattrapé par un détail vestimentaire comme l’a révélé « l’Express » : la couleur de son caleçon…
Un caleçon rose ou pourpre
Là encore, c’est le fameux témoin sous X qui en parle, non dans sa première déposition mais dans la seconde. Il aurait remarqué un « caleçon rose », dépassant de son pantalon alors qu’il agresse lui aussi l’agent au volant. Or, toujours selon l’accusation, lorsque Antonin est arrêté, il porte un caleçon de même couleur. « C’est une insulte à la vérité que de prétendre ça ! », dénonce son avocate, Me Irène Terrel, qui assure que la couleur du sous-vêtement de son client est différente. Une photo prise en garde à vue montre Antonin en sous-vêtement de marque Eminence, nettement plus pourpre que rose. Son avocate n’exclut pas de le présenter aujourd’hui à l’audience…
Des suspects quasi mutiques
En garde à vue, les mis en cause désignés par le policier témoin n° 1 se montrent mutiques pour la plupart. Conformément aux usages de l’extrême gauche, ils refusent de parler sur l’essentiel, de donner le code de leur iPhone 6 (ce qui interdit toute investigation technique) et, pour l’un d’eux, de laisser prélever son empreinte génétique. La plupart contestent faire partie des groupes « antifas ». Comment expliquer, dès lors, la présence d’autocollants de cette mouvance chez l’un d’eux ? Celui- ci répond : il collectionne aussi les vignettes de football. La plupart reconnaissent avoir participé à la manifestation de République mais tous contestent fermement avoir agressé les policiers. « Je suis très choqué, lâche Angel. J’étais plus loin en train de parler avec une amie ». Il n’a pas convaincu les juges, seul du groupe des quatre encore incarcéré.
Un étrange Américain
Un cinquième homme est écroué en attendant que le juge des libertés et de la détention statue sur son sort aujourd’hui. Ce sont les images de vidéosurveillance qui conduisent à son arrestation, le 26 mai, en marge d’une manifestation, à Paris. « Il a une silhouette fine, bien particulière », note une source proche de l’enquête. Sans domicile fixe, arrivé en France début mai, « l’Américain » aurait projeté un plot métallique sur le pare-brise avant. En garde à vue, il a usé de son droit au silence. Devant le juge d’instruction, il a nié toute action violente en reconnaissant sa présence à la manifestation.
Et maintenant ?
La journée d’aujourd’hui s’annonce décisive pour ces militants. La chambre de l’instruction devra se contenter de ces seuls éléments, faute de preuve irréfutable de police technique et scientifique (aucune empreinte n’a été relevée).
Le syndicat de police Alliance, qui souhaite se constituer partie civile, estime que ces détentions préventives seraient nécessaires pour « préserver les investigations à venir, de manière à ce que les protagonistes ne puissent pas se concerter ». La défense y verrait, au contraire, une aberration sur le plan des libertés publiques. Tous les protagonistes s’accordent sur un point : avant d’aboutir l’enquête prendra du temps. D’ailleurs, ni celui qui agresse le conducteur de la voiture de police à coups de flexible, ni celui qui lance le fumigène à l’intérieur du véhicule ne sont identifiés.
Un témoin à charge pas si anonyme
Sans une bourde de procédure, le lièvre n’aurait pas été levé. Le « témoin anonyme » qui désigne quatre agresseurs du quai de Valmy est… un policier de la Direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP), spécialiste de l’extrême gauche, en mission, incognito, parmi les manifestants.
Son procès-verbal, daté du lendemain de l’attaque, le 19 mai, à 13 h 20, ne mentionne ni son identité ni sa fonction. Mais son nom et son affectation figurent sur un second document versé par erreur à la procédure au lieu d’être entreposé dans un coffre. En le découvrant, Me Antoine Comte, l’avocat d’un des mis en examen a bondi. « Rien, absolument rien, n’est transparent dans ce dossier ! » affirme le pénaliste. Il a déposé le 27 mai une requête devant le président de la chambre de l’instruction visant à faire annuler cette pièce centrale du dossier.
Le témoignage sous X a été imaginé pour protéger un témoin dont la vie ou l’intégrité physique est menacée. A l’évidence, cette condition est ici remplie : un policier du renseignement se dévoilant dans ce genre d’affaire est exposé, la rage de l’agression contre la patrouille suffit à le démontrer. Mais les enquêteurs ne peuvent pas y avoir recours si « au regard […] de la personnalité du témoin, la connaissance de l’identité de la personne est indispensable à l’exercice des droits de la défense ». Une notion subjective. En l’occurrence, le fait que cette déclaration à charge émane d’un policier spécialisé, et non d’un passant, n’a rien d’anodin. Le fonctionnaire connaît ses « clients » (et peut donc se montrer précis sur la reconnaissance) mais sa position fait que sa vision n’est pas neutre. « Voici un policier qui témoigne sans faire mention de sa qualité et donc de son lien de subordination avec la partie poursuivante dans une affaire où, qui plus est, ses collègues sont victimes ! » s’insurge Me Irène Terrel, autre avocate de la défense qui, elle aussi, a déposé un recours.
La justice aurait-elle pu recueillir la déposition du fonctionnaire en le désignant sous son numéro de matricule ? « Cette habilitation n’est possible qu’en matière de lutte antiterroriste et de cybercriminalité », fait valoir un haut magistrat. « Il n’y avait aucun moyen de procéder autrement », argue une source proche de l’enquête. En faisant le choix d’un témoignage sous X, le parquet de Paris et la préfecture de police ont privilégié la sécurité physique du fonctionnaire sur la sécurité juridique de la procédure.
ERIC PELLETIER