Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 12 juin 2016

L'après Daesh : que deviendront «les lionceaux du califat» ?


Quelque 4000 enfants de djihadistes vivent actuellement dans les zones de conflit. Quel avenir pour ces êtres déjà endoctrinés?





Ils sont des centaines, endoctrinés, traumatisés, potentiellement dangereux: les enfants occidentaux qui auront passé des années au sein du groupe État islamique, s'ils rentrent un jour dans leurs pays d'origine, vont poser un problème auquel il faut se préparer, estiment officiels et experts.

Alors que les forces de l'EI vont de défaite en défaite et perdent du terrain, les défections se multiplient dans les rangs des combattants étrangers qui avaient rejoint le «califat» autoproclamé.

Enfants instrumentalisés

Si certains sont venus avec femmes et enfants, nombreux sont ceux qui se sont mariés et dont les épouses ont eu des enfants: pour la France, les autorités estiment à environ 400 le nombre de mineurs actuellement présents dans la zone.

«Les deux tiers sont partis avec leurs parents, le tiers restant est composé d'enfants nés sur place et qui ont donc moins de quatre ans», a précisé récemment, lors d'une audition à l'Assemblée nationale française, le directeur général de la sécurité intérieure (DGSI), Patrick Calvar.

«Je vous laisse imaginer les problèmes de légalité que posera leur retour avec leurs parents, s'ils reviennent, sans compter les réels problèmes de sécurité, car ces enfants sont entraînés, instrumentalisés par Daech (acronyme arabe de l'EI): une vidéo récente les met en scène en tenue militaire».

Présents dans la propagande

Ceux que l'EI surnomme «les lionceaux du califat» sont très présents dans la propagande de l'organisation: cela va des salles de classe où, dans les programmes estampillés Daech, on apprend le nom des armes et des sourates du Coran guerrières, à des entraînements paramilitaires, des rassemblements au cours desquels on assiste à des décapitations, voire des exécutions lors desquelles les bourreaux, arme au poing, ont une douzaine d'années. «Il va falloir, j'insiste, s'occuper de ces enfants quand ils reviendront», a prévenu le chef de la DGSI.

«S'occuper de ces enfants», c'est le travail de Yves-Hiram Haesevoets. Pour ce chercheur belge en psychologie clinique, spécialiste reconnu des traumatismes des mineurs, le retour des enfants de Daech est préoccupant, mais peut être pris en charge.

«Il y a des précédents: le Rwanda, les boat-people, différentes zones de guerre», dit-il à l'AFP. «Au moment du Rwanda, dans l'hôpital où je travaillais, on a reçu de nombreux enfants post-traumatisés, des enfants de tous âges, parfois eux-mêmes blessés ou ayant été enfants-soldats».

«L'important est de s'organiser pour les accueillir, bien en amont, en constituant des centres communautaires, des réseaux de familles d'accueil», dit-il. «Souvenez-vous des jeunesses hitlériennes: leur propagande avait touché toute une génération. Ils ont été pris en charge, il y a eu la dénazification».

Soumis aux privations

En plus de l'endoctrinement et des horreurs auxquelles ils ont pu assister, ces enfants, comme tous les rescapés de zones de guerre, auront vécu des mois, voire des années, dans des régions soumises aux privations, aux bombardements et aux raids aériens.

Pour le professeur de psychopathologie clinique Fethi Benslama, spécialiste de la radicalisation, tout doit commencer par la parole. Des structures doivent être mises en place pour faire parler ces enfants, quand ils le peuvent, avant de les réintégrer, le plus vite possible, dans un cursus scolaire normal.

«Il faut les accueillir, voir comment ils parlent, ce qu'ils ont vécu», dit à l'AFP ce Tunisien d'origine travaillant à Paris. «Il faut mettre en place des dispositifs pour les écouter, en fonction des âges. Et ensuite les insérer parmi les autres enfants, dans le système scolaire, en ayant une attention à ce qu'ils deviennent, à ce qu'ils manifestent. On n'a pas le choix de faire autrement. Il n'est pas question de leur faire porter quelque chose de la responsabilité de leurs parents».

«Nous avons les moyens» en France, ajoute Fethi Benslama, auteur d'un essai récent, «Un furieux désir de sacrifice» (éditions Seuil).

«Il faut mobiliser les compétences pour recevoir ces enfants quand ils arriveront. On a tardé à créer les centres pour recevoir les jeunes qui reviennent de ces terrains de guerre, il faut se préparer à l'avance pour les enfants. L'important est de ne pas être pris au dépourvu», estime-t-il.

AFP