dimanche 17 avril 2016
Attentats de Paris: comment la France et la Belgique coopèrent?
Equipe commune d’enquêteurs, magistrat de liaison, échange de renseignements… comment la France et la Belgique, base arrière de la cellule jihadiste qui a tué 130 personnes le 13 novembre à Paris, coopèrent dans l’enquête?
Créée dans les jours qui ont suivi les attentats, une équipe commune d’enquête rassemble l’ensemble des magistrats et policiers saisis de l’enquête dans les deux pays. Concrètement, elle permet à des enquêteurs français de se déplacer en Belgique pour assister à certains actes diligentés par leurs homologues. Ils sont notamment présents lors des auditions de Salah Abdeslam, seul survivant des commandos parisiens, interrogé à au moins deux reprises depuis son interpellation à Bruxelles, le 18 mars.
« Ils ne participent pas aux interrogatoires, ils sont là en tant qu’observateurs », explique Carine Couquelet, avocate d’Hamza Hattou qui a ramené Abdeslam à Bruxelles le lendemain des attaques.
Bientôt un magistrat de liaison
Des Français assistent aussi à des perquisitions, comme le 15 mars dans un appartement bruxellois qui a servi de planque à Salah Abdeslam. La perquisition avait dégénéré et quatre enquêteurs, dont une Française, avaient été blessés au cours d’une fusillade. L’équipe commune permet ainsi aux Français d’avoir accès rapidement aux écoutes téléphoniques, images de vidéosurveillance, ou tout autre scellé saisi par leurs homologues Belges. Des équipes franco-belges travaillent sur quatre autres dossiers terroristes: l’attentat au Musée juif de Bruxelles, l’attaque ratée dans le Thalys, la filière jihadiste démantelée de Verviers en Belgique, et le projet d’attentat déjoué en France après l’arrestation de Reda Kriket.
Le procureur de Paris, François Molins, s’entretient « plusieurs fois par jour » avec le procureur fédéral belge Frédéric Van Leeuw, assure le député socialiste Sébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission d’enquête parlementaire française sur le 13 novembre. Mais la coopération entre Paris et Bruxelles reste pointée du doigt. Pour faire taire les critiques, les deux gouvernements ont annoncé en février la nomination prochaine d’un magistrat de liaison détaché à l’ambassade de France à Bruxelles. Ce « trait d’union » aura pour mission de « fluidifier l’entraide » et de familiariser les magistrats avec le système judiciaire du pays voisin alors que des différences notables existent, notamment en termes de garde à vue ou de perquisition, ce qui complique le travail des enquêteurs.
Trois scénarios envisagés
Il dépend de la bonne volonté de chaque Etat. « Cela circule plutôt bien. Mais la culture n’est pas à l’ouverture totale », relève Michaël Dantinne, criminologue à l’université de Liège. « Pour être efficace, il faudrait une plateforme d’échanges au sein des services européens et on en est très loin. » Des spécialistes pointent aussi l’organisation complexe de la collecte de renseignements côté belge: l’existence de 192 forces locales de police et, pour Bruxelles, de 19 communes autonomes, dont Molenbeek, Forest et Schaerbeek au coeur de l’enquête, ne favorise pas le partage des informations.
De nombreux suspects interpellés en Belgique, aux premiers rangs desquels Salah Abdeslam et Mohamed Abrini, soupçonné d’avoir eu au moins un rôle de logisticien dans les tueries de Paris, intéressent la France. Mais, les attentats du 22 mars à Bruxelles ont compliqué la donne: Abrini a reconnu être « le troisième homme » de l’aéroport de Zaventem et les enquêteurs belges s’interrogent sur le rôle qu’aurait pu jouer Salah Abdeslam s’il n’avait pas été arrêté quatre jours plus tôt.
« On travaille pour savoir qui va récupérer qui », relève une source proche du dossier.
Trois scénarios sont envisagés. D’abord une remise différée comme cela devrait être le cas pour Salah Abdeslam, qui devrait être transféré définitivement en France une fois que les Belges l’auront entendu. Pour les autres suspects, des remises temporaires peuvent être envisagées. « On va les limiter au maximum car des allers-retours entre pays posent des problèmes de sécurité », explique une source proche de l’enquête. Troisième hypothèse, les Belges peuvent également proposer aux juges français de se déplacer chez eux pour les interroger.