Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 27 février 2016

Pour les chefs de la DGSE et de la DGSI, la « réponse sécuritaire seule » ne suffit pas pour lutter contre le terrorisme


Selon Bernard Bajolet, le patron de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), et Patrick Calvar, celui de la Direction générale de la sécurité intérieure, il n’y a pas « l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette » entre leurs deux services. En tout cas, ils l’ont démontré dans les analyses qu’ils ont livrées aux sénateurs de la commission des Affaires étrangères et des Forces armées, lors de leur audition commune, le 17 février.

L’une d’entre-elles est que l’Europe fera « sans nul doute face à d’autres attentats » comme ceux du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis et que la « France reste en première ligne » face à la menace jihadiste.

À ce propos, une confidence faite par Patrick Calvar, en fin d’audition, fait froid dans le dos. Confirmant l’interpellation, à Salzbourg (Autriche) de deux proches des auteurs des attentats de Paris, le patron de la DGSI a affirmé disposer « d’informations faisant état de la présence de commandos sur le sol européen, dont nous ignorons la localisation et l’objectif. »

En outre, l’État islamique n’est pas la seule organisation à vouloir s’en prendre à la France…. Il y a aussi, a rappelé le paron de la DGSI, al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA). Selon lui, cette menace « pèse aussi sur d’autres pays » et elle est « de nature à déstabiliser notre société. » Aussi, a-t-il assuré, « nous surveillons aussi des groupes extrémistes à l’opposé du spectre, qui n’attendent que de nouveaux actes terroristes pour engager une confrontation violente. »

Une autre analyse commune à MM. Bajolet et Calvar est que la réponse sécuritaire ne peut, à elle seule, régler le problème du terrorisme.

« Je suis convaincu, à titre personnel, que la réponse sécuritaire n’est que partielle et ne résoudra pas le phénomène. Pourquoi une fille de 15 ans quitte-t-elle notre territoire pour la Syrie alors que rien ne la destine à ce destin macabre ? Pourquoi un garçon du même âge issu d’un milieu kurde, non islamisé, tente-t-il d’assassiner un enseignant juif à Marseille ? C’est une question pour notre société », a en effet estimé le directeur de la DGSI.

« Une partie – certes infime – de la jeunesse est secouée par une crise profonde. La revendication filmée des attentats produite par Daesh, terrible, insoutenable, montre des individus déshumanisés, revenus à l’état d’animaux. Si nous les interceptons, qu’allons-nous en faire ? Faut-il les maintenir en prison à vie? », s’est encore interrogé M. Calvar. « Il y a là un problème psychiatrique, et un enjeu de protection pour la société », a-t-il ajouté.

En outre, le chef de la DGSI a posé une question venant en écho aux débats récents sur la prolongation de l’état d’urgence ou encore sur l’aspect de la protection de la vie privée : « Jusqu’à quel point nous sommes prêts à aliéner des libertés pour notre sécurité? », a-t-il demandé.

Comme son homologue à la DGSI, Bernard Bajolet a aussi souligné que « la réponse sécuritaire seule ne suffit pas. » Et de s’en expliquer : « Certes, nos services travaillent de façon mutualisée, nos forces armées, renseignées aussi par la DRM [Direction du renseignement militaire, ndlr], contribuent à l’attrition du groupe État islamique et des autres organisations terroristes en Syrie, en Irak et au Sahel, mais nous avons besoin d’une réponse politique. »

En effet, a-t-il continué, « Daesh s’appuie sur la marginalisation de la communauté sunnite en Irak, où un certain nombre de milices chiites ne sont plus contrôlées par le gouvernement. En Syrie, la minorité alaouite monopolise le pouvoir depuis 1963. L’État islamique met cette marginalisation à profit pour asseoir son emprise sur les Sunnites. Au-delà des questions de personnes, il faut rendre le gouvernement syrien plus inclusif. Enfin, en Libye, aussi, la clé est politique. »

Par ailleurs, M. Bajolet a insisté sur le nécessaire renseignement humain. Et cela, alors que les derniers textes de loi renforcent les capacités techniques des différents services, avec, par exemple, ces fameuses « boîtes noires » qui, installées chez les opérateurs télécom, collecteront les données de connexion de leurs clients afin de déterminer, le cas échéant, des comportements suspects ou bien des réseaux.

« On dit que nos services s’appuient trop sur le renseignement technique. Il est vrai que nos moyens dans ce domaine ont été renforcés depuis 2008 par les gouvernements successifs, en dépit du contexte budgétaire; mais nous investissons aussi dans le renseignement humain. Discret, ne figurant dans aucune statistique, le renseignement humain fait néanmoins partie des priorités de mon service; là aussi, nous travaillons en lien avec la DGSI et les autres services français ou étrangers amis pour le recrutement de certaines sources », a affirmé M. Bajolet.

Le renseignement humain consiste à recruter des sources au sein des organisations hostiles. « C’est très compliqué et très long mais nous progressons. Nos agents sont particulièrement exposés. La DGSE est présente partout où les diplomates et les militaires ne peuvent pas aller. Certains agents l’ont payé de leur vie. La prévention de la menace étrangère a un coût : ces risques sont assumés », a fait valoir le directeur de la « Piscine ».