Sept jours après que l’Airbus 321 de la compagnie russe Metrojet s’est écrasé dans le Sinaï, Moscou et Le Caire, comme on pouvait s’y attendre, mettent en garde contre toute « spéculation » et recommandent prudemment d’attendre l’analyse des « boîtes noires » de l’appareil. Pour autant, l’hypothèse de l’accident – défaillance mécanique ou dépressurisation – est d’ores et déjà écartée par les spécialistes et les mesures de précaution prises par les grandes compagnies aériennes indiquent assez clairement qu’elles retiennent celle de l’attentat, corroborée par les premières informations recueillies et qu’il est malheureusement plus que probable que Daech est fondé à en revendiquer hautement la paternité.
Rien ne laisse supposer que la branche locale de l’organisation islamiste dispose à ce jour de missiles et de techniciens capables d’abattre un avion volant à 9.000 mètres d’altitude, et moins encore qu’elle pourrait prendre à distance le contrôle de l’appareil. Trois scénarios sont donc envisageables. Premier scénario : un fanatique embarqué à bord fait exploser un engin. Deuxième scénario : la bombe, placée en soute ou dans la cabine et préalablement réglée, saute à l’heure prévue. Troisième scénario : Daech est capable, depuis le sol, de déclencher l’explosion de la bombe.
Ces trois scénarios ont en commun de postuler une ou des complicités dans l’enceinte de l’aéroport de Charm el-Cheikh. Le troisième, le plus inquiétant, suppose en outre que le danger peut venir de la terre. Toujours est-il qu’après Air France et la Lufthansa, l’administration britannique et l’administration des États-Unis ne se sont pas contentées de rayer de leur rôle l’escale de Charm el-Cheikh mais renoncent également au survol du Sinaï.
Dans un premier temps, l’opération constitue de toute évidence un succès pour l’État islamique. Représaille sanglante de l’intervention russe, elle porte également un coup mortel à l’une des principales et si rares ressources de l’Égypte – le tourisme – et, par la même occasion, au régime du maréchal Sissi. Elle contribue à alourdir encore la chape de terreur qui pèse sur le monde, ce qui est l’un des buts du gang des barbares.
À plus long terme, les leçons de l’attentat sont moins simple et moins tranchées. L’un de ses premiers effets a été de détourner l’essentiel des raids de l’aviation russe des organisations salafistes sur les zones tenues par Daech, et notamment sur Palmyre et sur Raqqa. L’État islamique avait sans doute prévu ce contrecoup et se flatte que la Russie s’enlisera dans la guerre de Syrie comme naguère dans le bourbier afghan. La situation ne lui est pas aussi favorable que dans ce dernier cas, et il suffirait d’ailleurs que les États-Unis de l’après-Obama exigent de leurs alliés turcs et saoudiens qu’ils cessent leur double jeu pour changer la donne. Quant à Vladimir Poutine, il n’est ni assez borné pour tomber dans le piège d’un engagement isolé au sol, ni assez timoré pour céder au chantage terroriste. Il n’est pas recommandé de réveiller l’ours qui dort.
Dominique Jamet