Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mercredi 1 juillet 2015

Regrouper en prison les détenus islamistes ? Une mesure irréfléchie et dangereuse





Dans la foulée de janvier où nous étions tous frères et nous appelions tous Charlie, notre pétaradant Premier ministre lançait au monde sa géniale idée : regrouper en prison les détenus islamistes. Une idée si formidable qu’on s’étonnait même de ne pas l’avoir eue avant.

Enfin, disons que d’autres l’avaient eue. Ils avaient même parqué leurs barbus sur un bout de terrain désolé au sud-est de Cuba appelé Guantánamo Bay. Enfermés et enchaînés, serrés dans leur combinaison orange sans autre forme de procès, histoire sans doute de leur apprendre les vertus de la torture et les bonnes manières du monde libre, les bonshommes y ont passé des années. Islamistes ou pas. Terroristes ou pas.

Monsieur Valls n’est pas si méchant. Il voulait juste mettre les fanatiques – ou présumés tels – entre eux pour qu’ils n’aillent pas semer leurs grains de folie dans la tête souvent mal remplie de leurs codétenus : mettons-les donc ensemble, on pourra mieux les surveiller, disait-il. Sauf que…

Sauf que détenus spécifiques dans des quartiers spécifiques, ils ont… des comportements spécifiques. Pour parler simplement, ils se remontent la pendule à coucou, et ça, c’est dangereux. C’est en tout cas ce qu’affirme madame Adeline Hazan, contrôleur général des prisons (ou contrôleure ou contrôleuse, c’est comme on voudra) dans l’avis qu’elle vient de publier au Journal officiel du 30 juin. Avis rendu au terme d’une enquête réalisée dans quatre établissements pénitentiaires – Fresnes, Réau, Osny et Bois-d’Arcy -, lieux où le Premier ministre envisage d’implanter cette « prise en charge de la radicalisation ». Le modèle de référence étant justement l’expérience de Fresnes où, depuis octobre 2014, 22 détenus sont regroupés dans un quartier isolé de la maison d’arrêt.

Au terme de cette enquête, le rapporteur général des prisons pointe le « caractère potentiellement dangereux de cette mesure ». Il semble, en effet, comme dans tant d’autres domaines, que celle-ci soit moins le fruit de la réflexion de nos politiques que de leur précipitation. Conclusion de Mme Hazan : « Le regroupement des détenus radicalisés présente des risques qui ne paraissent pas avoir été pris en compte, notamment la cohabitation de personnes détenues présentant des niveaux d’ancrage très disparates dans le processus de radicalisation. »

Traduction : quand on mélange les loups et les agneaux, il ne reste plus à la fin qu’une meute sauvage…

De plus, souligne le rapport, cette politique ne correspond à « aucun régime légal » et, de ce fait, « ne peut faire l’objet d’aucune des voies de recours habituelles ». On ne sait exactement qui est qui, ni qui fait quoi : « les difficultés d’identification des personnes visées ne sont pas résolues », cela parce que « la grille d’évaluation de la “dangerosité” n’est plus adaptée à l’évolution du phénomène ». Dès lors, les décisions sont laissées à la discrétion de l’administration pénitentiaire. Autrement dit, là encore, c’est la porte ouverte à l’arbitraire, ce qui est aussi un excellent moyen de fabriquer des loups prosélytes.

Équation impossible… d’autant, souligne le rapport, que depuis janvier les comportements ont changé : « une consigne de dissimulation semble avoir été donnée pour cesser d’arborer des signes ostensibles de fondamentalisme ».

C’est donc en amont qu’il faut intervenir ! Et puisqu’« on est en guerre », comme nous le serinent nos ministres sur tous les tons, eh bien, agissons en conséquence !

Marie Delarue