Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 23 juin 2015

Les projets secrets d’Israël et de l’Arabie saoudite


La réponse de Tel-Aviv et de Riyad aux négociations entre les États-Unis et l’Iran se situe dans le prolongement du financement de la guerre contre Gaza en 2008 par l’Arabie saoudite : l’alliance d’un État colonial et d’une monarchie obscurantiste. Alors que le Proche-Orient s’apprête à vivre un changement pour dix ans de ses règles du jeu, Thierry Meyssan dévoile ici le contenu des négociations secrètes entre Tel-Aviv et Riyad.




D'aucun, au Moyen-Orient, a conscience que les accords secrets qui devraient être signés le 30 juin prochain en marge de l’accord multilatéral sur le nucléaire par Washington et Téhéran vont probablement fixer les règles du jeu pour les dix années à venir.

Ces accords interviennent alors que les États-Unis sont devenus le premier producteur mondial de pétrole, devant l’Arabie saoudite et la Russie. Ils n’ont donc plus besoin pour eux-mêmes du pétrole moyen-oriental et ne s’y intéressent que pour maintenir le marché mondial en dollars.

En outre, Washington a débuté un repositionnement de ses troupes, d’Europe occidentale et du Moyen-Orient vers l’Extrême-Orient. Ceci ne signifie pas qu’il abandonne ces régions, mais qu’il souhaite assurer autrement leur sécurité.

Israël

Selon nos informations, depuis 17 mois (c’est-à-dire depuis l’annonce des négociations entre Washington et Téhéran qui durent, elles, depuis 27 mois), Tel-Aviv mène des négociations secrètes avec l’Arabie saoudite. Des délégations à très haut niveau se sont rencontrées cinq fois en Inde, en Italie et en Tchéquie.

La coopération entre Tel-Aviv et Riyad s’inscrit dans le plan états-unien de création d’une « Force arabe commune », sous les auspices de la Ligue arabe, mais sous commandement israélien. Celle-ci est déjà effective au Yémen où des soldats israéliens pilotent des bombardiers saoudiens dans le cadre d’une Coalition arabe dont le quartier général a été installé par les Israéliens au Somaliland, un État non-reconnu situé de l’autre côté du détroit de Bab el-Mandeb [1].

Cependant, Riyad n’entend pas officialiser cette coopération tant que Tel-Aviv refusera l’initiative de paix arabe, présentée à la Ligue arabe en 2002 par le prince Abdullah avant qu’il ne devienne roi [2].

Israël et l’Arabie saoudite sont tombés d’accord sur plusieurs objectifs.

Au plan politique : 
- « Démocratiser » les États du Golfe, c’est-à-dire associer les peuples à la gestion de leurs pays tout en affirmant l’intangibilité de la monarchie et du mode de vie wahhabite ;
- Changer le système politique en Iran (et non plus faire la guerre à l’Iran) ;
- Créer un Kurdistan indépendant de manière à affaiblir l’Iran, la Turquie (pourtant longtemps un allié d’Israël) et l’Irak (mais pas la Syrie, qui est déjà durablement affaiblie).

Au plan économique : 
- Exploiter le champ pétrolier de Rub’al-Khali et organiser une fédération entre l’Arabie saoudite, le Yémen, voire Oman et les Émirats arabes unis ;
- Exploiter les champs pétroliers de l’Ogaden, sous contrôle éthiopien, sécuriser le port d’Aden au Yémen, et construire un pont reliant Djibouti au Yémen.

En d’autres termes, si Tel-Aviv et Riyad font « contre mauvaise fortune bon cœur » et admettent que les deux tiers de l’Irak, la Syrie et la moitié du Liban soient contrôlés par l’Iran, ils entendent :
- S’assurer que l’Iran renoncera à exporter sa révolution ;
- Contrôler le reste de la région en excluant la Turquie qui a succédé à l’Arabie saoudite dans la supervision du terrorisme international et vient de perdre en Syrie.


Palestine

La reconnaissance internationale d’un État palestinien, conformément aux accords d’Oslo et à l’initiative de paix arabe, ne sera qu’une affaire de mois après la signature des accords états-uno-iraniens.

Le gouvernement palestinien d’union nationale, qui n’a jamais fonctionné, a soudainement démissionné. Il parait certain que le Fatah de Mahmoud Abbas sera largement soutenu par son peuple dès lors que l’État palestinien entrera aux Nations unies.

Le Hamas, qui incarnait depuis 2008 la Résistance, s’est soudainement discrédité en officialisant son appartenance aux Frères musulmans (alors que la confrérie a tenté plusieurs coups d’État en Arabie saoudite) et en prenant les armes contre le seul État de la région effectivement pro-Palestiniens, la République arabe syrienne. Aussi, pour se refaire une image, a-t-il décidé de se faire discret et de soutenir désormais plutôt des actions non-violentes.

La reconnaissance de l’État palestinien mettra fin au droit au retour des Palestiniens chassés de leurs terres, mais leur ouvrira un nouveau statut. Les États-Unis et l’Arabie saoudite investiront massivement pour développer l’économie du nouvel État.

D’ores et déjà, plusieurs candidats se pressent pour succéder à Mahmoud Abbas (qui est âgé de 80 ans et dont le mandat a expiré en 2009). Parmi ceux-ci Mohammed Dahlan, l’ancien chef de la sécurité qui aurait organisé l’empoisonnement de Yasser Arafat et avait été contraint de quitter le pays en 2007. Après avoir travaillé pour les Émirats arabes unis, puis obtenu les nationalités monténégrine comme l’ancien Premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra et serbe, il est rentré en février en Palestine avec l’aide de ses anciens adversaires du Hamas. Devenu milliardaire, il achète sans compter combattants et voix. Un candidat plus sérieux pourrait être Marouane Barghouti, qui purge actuellement cinq peines de prison à perpétuité en Israël, et qui pourrait être libéré dans le cadre de l’accord de paix. C’est en effet la seule personnalité palestinienne non-corrompue et ayant échappé aux tueurs du Mossad.

Arabie saoudite

Dans ce contexte, le voyage en Russie du prince Mohamad bin Salman, fils du roi Salman d’Arabie saoudite, a soulevé une vive inquiétude, une campagne de presse laissant entendre qu’il souhaitait négocier une cessation de l’aide russe à la Syrie. Il suivait d’une semaine le déplacement du directeur de l’Organisation de coopération islamique, Iyad bin Amin Madani. Il était accompagné de plusieurs ministres et d’une trentaine d’hommes d’affaire. La délégation saoudienne a participé au Forum économique de Saint-Petersbourg et le prince a été reçu par le président Vladimir Poutine.

Depuis sa création, le royaume wahhabite entretient des relations privilégiées avec les États-Unis et considère l’union soviétique, puis la Russie, comme des adversaires. Il semble que ceci soit en train de changer.

L’importance considérable des accords économiques et de coopération, qui ont été signés, initie une politique nouvelle. L’Arabie saoudite a ainsi acheté 16 centrales nucléaires, accepté de participer au programme russe de recherche spatiale, et également négocié des accords pétroliers dont les détails sont pour le moment non publiés.

Pour lever toute ambiguïté sur ce rapprochement, le président Poutine a tenu à déclarer que la Russie ne modifiait en rien son soutien à la Syrie et qu’elle aiderait à toute solution politique conforme aux vœux du peuple syrien. Dans des interventions précédentes, il avait indiqué que ceci implique le maintien au pouvoir du président el-Assad jusqu’à la fin du septennat pour lequel il a été démocratiquement élu.

Les perdants de la redistribution des cartes

Tout laisse à penser qu’une fois les accords états-uno-iraniens signés [3], les perdants seront :

- Le peuple palestinien qui se verra privé du droit inaliénable au retour pour lequel trois générations se sont battues ;
- La Turquie qui risque de payer chèrement son rêve hégémonique, son soutien aux Frères musulmans et sa défaite en Syrie [4] ;
- La France qui s’est acharnée durant quatre ans pour rétablir ses intérêts coloniaux dans la région et qui se retrouve, en définitive, en simple position de fournisseur d’Israël et de l’Arabie saoudite [5].


Thierry Meyssan


[1] « La Force "arabe" de Défense commune », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 20 avril 2015.
[2] « L’Initiative de paix arabe présentée par le prince Abdullah bin Abdul-Aziz », Réseau Voltaire, 28 mars 2002.
[3] « Que deviendra le Proche-Orient après l’accord entre Washington et Téhéran ? », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 18 mai 2015.
[4] « Vers la fin du système Erdoğan », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 15 juin 2015.
[5] « La prévisible défaite de la France au Moyen-Orient », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 8 juin 2015.




Israël veut sauver le Hamas

Benjamin Netanyahu a beau fustiger le Hamas, « organisation terroriste » issue du même « arbre empoisonné que l'État islamique », et le mouvement islamiste prôner dans sa charte la destruction de l'État hébreu, les deux voisins entretiennent en réalité des relations autrement plus nuancées. Israël et le Hamas ont en effet entamé un rapprochement inédit en vue d'instaurer une trêve à long terme dans la bande de Gaza, meurtrie par la guerre dévastatrice qui a coûté la vie l'été dernier à 2 200 Palestiniens, dont une majorité de civils, et 73 Israéliens, pour la plupart des soldats.

Cet « échange indirect d'idées » a eu lieu grâce à des intermédiaires arabes, européens et turcs pour consolider le cessez-le-feu informel conclu le 26 août dernier par l'intermédiaire de l'Égypte, affirme l'Agence France-Presse (AFP). « Nous sommes prêts à un accord. Le Hamas veut régler les problèmes à Gaza », a affirmé une des sources à l'AFP. « Le Hamas a reçu des émissaires européens à Gaza et à Doha (au Qatar) qui ont transmis des messages de la part d'Israël ». D'après une source palestinienne citée par l'AFP, les discussions ont notamment porté sur un accord d'une durée de cinq à dix ans, une levée du blocus israélien de Gaza ainsi que l'ouverture d'un passage maritime entre l'enclave palestinienne et le reste du monde. Pour l'heure, les intermédiaires ont souligné que les contacts étaient purement formels et qu'il n'y avait pas de proposition sur la table.

Fin de l'union nationale palestinienne

Ils ont toutefois été jugés assez sérieux pour ébranler le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, pourtant seul partenaire palestinien officiellement reconnu par Israël. Et précipiter la désintégration de son gouvernement d'union nationale entre le Fatah et le Hamas. « Une trêve à long terme à Gaza serait la bienvenue, mais elle ne doit pas intervenir aux dépens de l'unité palestinienne », a réagi le porte-parole du président palestinien. En conséquence, le prochain gouvernement palestinien ne devrait pas compter de membres du Hamas, a suggéré dimanche Mahmoud Abbas au chef de la diplomatie française Laurent Fabius.

L'idée d'une union effective inter-palestinienne n'a de toute façon jamais réellement semblé d'actualité. En dépit de la formation d'un gouvernement de technocrates en juin 2014, le Hamas n'a pas laissé le nouvel exécutif exercer ses fonctions à Gaza, qu'il contrôle par la force depuis 2007 (après avoir remporté les élections législatives palestiniennes de 2006, NDLR). Pourtant, le mouvement islamiste palestinien y est bel et bien à l'agonie. Fragilisé par la dernière guerre dévastatrice de Gaza et la reconstruction en panne, le Hamas vit de facto un double embargo économique. Et aurait cruellement besoin d'un geste israélien.

Le Hamas à genoux à Gaza

Outre le blocus, imposé par Tel-Aviv en 2006 après l'enlèvement du soldat franco-israélien Gilad Shalit, Gaza est également asphyxiée par l'Égypte du président Sissi. Farouche opposant des Frères musulmans (dont est issu le Hamas palestinien, NDLR), le nouvel homme fort du Caire a inondé une grande partie des tunnels de contrebande en direction de l'enclave palestinienne. Or, ceux-ci permettaient, au-delà des armes, le passage de produits de première nécessité et matériaux de construction. À genoux, le mouvement islamiste n'a pas versé le salaire des fonctionnaires gazaouis depuis un an.

« Dans six ou sept ans, plus aucune goutte d'eau ne coulera dans la bande », prédit un haut responsable sécuritaire israélien cité par le site spécialisé Al-Monitor. « Ils sont en train de s'assécher. L'aquifère sur lequel ils vivent est devenu salé. Ils ont actuellement quatre à cinq heures d'électricité par jour ». À en croire cette source, l'État hébreu possède exactement ce dont Gaza aurait besoin. « Il existe à 25 kilomètres au nord de Gaza une usine de désalinisation d'eau de mer, une des plus grandes dans le monde », poursuit le haut responsable. « Nous pourrions, d'un claquement de doigts, résoudre le problème d'eau dans la bande de Gaza. Nous pourrions reconstruire leur système électrique. »

Menaces de l'État islamique

Au-delà de la crise sociale, c'est avant tout la dégradation sécuritaire à Gaza qui inquiète Israël. Depuis 2009 et la fin de l'opération israélienne Plomb durci, le Hamas est vivement critiqué par des groupuscules djihadistes pour avoir mis en place une « police anti-roquettes » chargée de limiter les tirs contre l'État hébreu (sauf en période de guerre, NDLR). Concurrencé sur le terrain de la lutte armée, le mouvement islamiste a été la cible ces dernières semaines d'un nouveau groupe : les Partisans de l'État islamique. Se réclamant de l'EI mais n'ayant pas obtenu pour l'heure l'allégeance de l'organisation, le groupuscule a multiplié les attaques contre les intérêts du Hamas à Gaza tout comme les tirs de roquettes contre Israël.

Comme le souligne le général israélien Sami Turgeman au quotidien israélien Yedioth Aharonot , « il n'y a pas d'alternative au Hamas pour diriger la bande de Gaza. [...] Nous avons intérêt à ce que quelqu'un soit responsable de la situation à Gaza parce que sans ça, ce serait le chaos et la situation sécuritaire y sera bien plus problématique ». Commandant de la région militaire sud en charge de la frontière avec Gaza, le haut gradé estime qu'« Israël et le Hamas ont des intérêts communs, comme la paix et le calme pour encourager la croissance et la prospérité, même dans la situation présente ».

Financement du Qatar

Déjà formulé à plusieurs reprises par des responsables militaires et sécuritaires israéliens, le tabou d'un dialogue avec l'ennemi islamiste a cette fois été brisé par le président israélien en personne. Tranchant avec les déclarations incendiaires de son Premier ministre, Reuven Rivlin, bien qu’à la tête d'un poste honorifique, n'a pas exclu un dialogue avec le groupe considéré comme terroriste par Israël, l'Union européenne et les États-Unis. « Je n’ai aucune aversion à l’idée de tenir des négociations avec quiconque est prêt à négocier avec moi. La question est plus ce qu’ils veulent négocier. S’ils veulent négocier mon existence même, alors je ne négocierai pas avec eux. »

L'idée a pour l'heure été rejetée par le nouveau directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères. « Il ne fait aucun doute pour moi que le Hamas appartient à l'univers djihadiste », a réagi Dore Gold, un proche de Netanyahu, quelques jours avant sa prise de fonction officielle. « Ce n'est pas un candidat appelé à devenir un partenaire politique ». Si l'hypothèse d'une réconciliation entre les deux ennemis relève de la gageure, Israël semble néanmoins déterminé à ne pas laisser couler son meilleur ennemi. Pour preuve, l'État hébreu aurait donné son aval à la visite à Gaza de Mohammad al-Emadi, responsable qatari, pour financer la reconstruction de l'enclave palestinienne à hauteur de « dizaines de millions de dollars », révèle la radio publique américaine NPR.

« Personne d'autre n'est prêt à aider, hormis le Qatar », explique à NPR Yossi Kuperwasser, ancien haut gradé des renseignements militaires israéliens pour mieux justifier la décision de Tel-Aviv. « Nous pensons que de meilleures conditions à Gaza diminueraient les motivations du Hamas et de la population de se lancer dans une nouvelle guerre ». L'ancien responsable israélien l'admet : « La vie est remplie de contradictions et de choses étranges. »

Armin Arefi