Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 19 mai 2015

Sur les pistes de l’or de la Reichsbank




En janvier 1939, Adolf Hitler prépare activement la guerre. Il est furieux, car il vient de prendre connaissance d'une note confidentielle, datée du 7 janvier, préparée à son intention par le président du directoire de la Reichsbank, Hjalmar Schacht.

Le ton du message est en effet alarmant. Le IIIe Reich, explique Schacht, est au bord de la banqueroute: «Il n'y a plus de réserves ni de devises à la Reichsbank" Les réserves constituées par l'annexion de l'Autriche et par l'appel aux valeurs étrangères et aux pièces d'or autochtones sont épuisées. Les finances de l'Etat sont au bord de l'effondrement», écrit-il. L'Allemagne qui, quelques mois plus tard, va lancer ses troupes à l'assaut de la Pologne, de la Tchécoslovaquie, de la Belgique et de la France a les caisses vides. Hitler sait que l'or est le nerf de la guerre moderne. Il permet d'acheter les matériaux stratégiques nécessaires aux forces armées du Reich.

Dès le début de la guerre, c'est donc de manière systématique que les nazis organisent le pillage. Les victoires éclairs de la Wehrmacht (l'armée allemande) en juin 1940 marquent le début d'une chasse au trésor sans précédent. Dans tous les territoires occupés, les services de la Reichsbank, les SS, les Affaires étrangères et les services économiques de divers autres ministères participent au pillage des lingots, des pièces, des bijoux et des devises. Le bras opérationnel de ce gangstérisme d'Etat, ce sont les commandos mobiles, les Devisenschutzkommandos, «les commandos de protection des devises». Leur pouvoir est illimité: ils fouillent les caisses d'épargne, les banques privées et leurs filiales, collectent l'or des bijoutiers, des joailliers, écument le marché noir, saisissent des biens privés et forcent les coffres de certains clients des banques.



Les résultats sont à la hauteur des espérances des nazis. Pour la seule Belgique, entre novembre et décembre 1940, la curée des commandos de «protection des devises» rapporte l'équivalent de 4 320 millions de francs actuels et de 250 millions de devises. Revers de cette efficacité: rapidement, le territoire belge n'est plus une source attractive. Le salut pour les nazis vient alors des Pays-Bas. Ils mettent la main sur 100 tonnes d'or de la banque nationale complétés par le butin des commandos de devises, en tout l'équivalent de 5400 millions de francs réactualisés. L'essentiel de ce magot de guerre paie les livraisons d'acier, de tungstène, de pétrole, du wolfram en provenance des pays neutres" Mais le gisement néerlandais s'épuise aussi. L'or de la Banque nationale belge (BNB), mis à l'abri en Afrique, devient alors un enjeu central pour les nazis.

Le 26 juin 1940, quatre semaines après la capitulation de l'armée belge, le roi Léopold III, prisonnier de la Wehrmacht, demande au Führer de bien vouloir rapatrier l'or belge, qui serait caché à proximité de Bordeaux. Les Allemands interrogent les autorités de Vichy. Avec diligence, la réponse française énumère les réserves d'or déposées à la Banque de France: 4 944 caisses qui contiennent effectivement 221, 730 tonnes d'or de la Banque nationale belge, 1 208 caisses, soit 57 tonnes d'or polonais, 10 tonnes d'or luxembourgeois, letton, lituanien, norvégien et tchèque. Tout cet or avait été confié à la Banque centrale française pour le mettre en lieu sûr. Mais Vichy précise que cet or n'est plus à Bordeaux, il est sur le continent africain. En effet, le 18 juin 1940, le même jour où de Gaulle avait lancé son appel à la France libre depuis Londres, vingt-quatre heures après que le maréchal Pétain eut demandé un armistice au IIIe Reich, une escadre d'or, comme au temps des galions espagnols, avait levé l'ancre. Elle était chargée de 288,730 tonnes d'or. Les Etats-Unis étaient la destination prévue, mais les bateaux britanniques ne viendront pas au rendez-vous. Cap est donc mis sur le Sénégal, loin de Hitler et des champs de batailles européens. En France, les autorités pétainistes veulent croire qu'elles tireront profit d'une politique de sacrifice volontaire et de collaboration avec le IIIe Reich. De leur propre initiative, elles proposent à Berlin de servir d'intermédiaire pour récupérer l'or. Après tout, le Sénégal est une colonie française. La réponse allemande claque comme une gifle.

Le 12 septembre 1940, Johannes Hemmen, le chef de la délégation allemande chargé de récupérer l'or belge, lance au gouverneur de la Banque de France, Bréat de Boisanger: «En Belgique, c'est nous qui sommes les maîtres. Nous avons donc tous les droits sur la Banque de Belgique, et c'est à titre de client que je vous demande de mettre notre or en sécurité. Je vous prie de le faire transporter en Belgique, ou tout au moins à Paris.» Cette exigence est contraire au droit international. Mais on n'en est plus là. Les Allemands ont déjà fait main basse sur l'or autrichien après l'Anschluss, puis sur celui de la ville libre de Dantzig. Pour l'or belge, les nazis mettent cependant les formes: ils convoquent une conférence le 10 octobre 1940 à Wiesbaden. Le gouverneur de la Banque nationale belge, Janssen est écarté; officiellement, «il est subitement tombé malade». C'est von Becker, un commissaire allemand, qui le remplace. Les nazis se font le porteur d'un (faux) message de Janssen, qui demande le rapatriement de l'or belge. Le droit mis au pas, reste à récupérer l'or pour Hitler. Vichy vient une seconde fois au secours des Allemands.

C'est novembre 1940. Pétain décide d'accomplir «un geste symbolique de réconciliation» avec le IIIe Reich. Il envoie deux avions chercher quelques tonnes d'or au Sénégal pour les livrer aux nazis. Puis, Vichy ordonne, sans en avertir les gouverneurs des banques centrales, de livrer la totalité de l'or belge aux Allemands. L'opération est en soi risquée: seule la voie de terre qui passe par la savane sénégalaise vers le désert saharien offre une sécurité suffisante face aux sous-marins et aux avions alliés. Qu'importe! Les caisses d'or partent pour une invraisemblable odyssée. C'est d'abord Thiès, puis la ville de Kayès à l'intérieur des terres, Bamako sur la rive gauche du Niger, Kukikuru, tête de ligne du chemin de fer et ancienne capitale du Soudan français. Là, les caisses sont transbordées dans des camions légers ou sur des bateaux sur le Niger, mais les inondations bloquent le convoi. Après des mois d'attente, les caisses parviennent à l'oasis de Tombouctou, puis atteignent Gao, la ville sainte des musulmans d'Afrique occidentale. Nouveau transbordement et cette fois, c'est à dos de chameaux ou sur des camions, que les caisses chargées d'or parcourent les 1 700 km de piste jusqu'à Colomb-Béchar, dans le sud algérien, puis par train (1 600 km) parviennent jusqu'à Alger. Là, des avions-cargo français, puis des appareils allemands les conduisent à Berlin. En tout, un voyage de dix-huit mois. Le dernier transport atteint la capitale allemande le 26 mai 1942. Impuissants, les Belges protestent. Falsifiés, les lingots sont acheminés en Suisse afin de servir l'effort de guerre nazi.

L'or des victimes

Dès l'été 1942, les camps de concentration et d'extermination livrent leur effroyable butin: dents en or arrachées, montures de lunettes en or, alliances, bracelets, chaînes de montres" Selon les déclarations de l'arracheur de dents de Treblinka, «deux valises de 8 à 10 kilos sortaient chaque semaine du camp», soit l'équivalent de 2 millions de francs suisses de l'époque, rien que pour ce camp relativement peu rentable. Le Reichsführer Heinrich Himmler suit de très près ces opérations. Ainsi, fin juin 1944, il demande à la direction du camp de concentration de Birkenwald, quelle est la quantité d'or disponible sur-le-champ. Un télex dresse la liste macabre: quelques plaquettes d'or, un pendentif de montre et six chaînes, ainsi que des bracelets et des «pièces détachées», en tout 4,399 kilos, d'une valeur, au cours officiel, de 10 marks et 85 pfennigs. Himmler ordonne que 3 kilos soient transférés à la Reichsbank immédiatement et que le reste serve ¬ à titre exceptionnel ¬ à des fins de «corruption et de renseignements».


A Auschwitz, les dents étaient extraites tout de suite après que les victimes eurent été asphyxiées dans les chambres à gaz et avant que les corps ne soient brûlés dans les fours crématoires. Ce travail était fait par des dentistes de la Sonderkommando (section spéciale composée par les prisonniers eux-mêmes), appelés dans le jargon du camp Goldarbeiter. Refondu en lingots, l'or était ensuite envoyé sous escorte à Oranienburg près de Berlin, où se trouvait un bureau de la SS chargé de la gestion des biens, qui le remettait ensuite, ou du moins en grande partie, à la Reichsbank. Shlama Dragon, juif polonais, ancien membre de la Sonderkommando, qui a travaillé dans les chambres à gaz au camp d'Auschwitz et qui a réussi miraculeusement à survivre, raconte: «Quand le médecin du camp, Joseph Mengele, constatait que les hommes étaient morts, il disait: "Es ist schon fertig (c'est déjà fini), un SS ouvrait les portes des chambres à gaz, et nous, munis de masques, on enlevait les corps. Dans un couloir, les coiffeurs coupaient les cheveux, dans un autre compartiment, les dentistes enlevaient les dents.»

La Banque centrale du Reich réceptionne donc l'or et les devises des juifs, mais aussi celui des adversaires du régime en fuite ou assassinés. Les bijoux à faible teneur en or ainsi que les pierres précieuses sont écoulés sur le marché parallèle des pays neutres ¬ surtout en Suisse ¬ par des «collaborateurs». Ceux-ci encaissent des francs suisses et des dollars utiles pour le commerce extérieur allemand. L'or de meilleure qualité est refondu pour être transformé en lingots, exporté et masqué ainsi de sa véritable origine.

Le rapport Eizenstat (du nom du sous-secrétaire d'Etat américain au Commerce) demandé par Bill Clinton et publié en 1996 note: «Une partie au moins de l'or vendu à l'étranger avait été arraché aux victimes des camps de concentration ainsi qu'à d'autres civils.»

Quand les soldats de la 90e division d'infanterie américaine entrent en Allemagne au printemps 1945, ils mettent la main sur 100 tonnes de lingots d'or cachés par les nazis dans les mines de sel de Merkers, et trouvent en même temps des valises entières de couronnes, de montres, et de bijoux en or volés aux juifs. La Reichsbank avait ouvert un compte intitulé «Melmer», du nom d'un responsable SS, sur lequel était déposé l'or volé. Un câble de l'ambassade des Etats-Unis à Paris informe début 1946 le département d'Etat que 8 307 des lingots récupérés à Merkers «ont peut-être été fondus à partir de couronnes dentaires récupérées sur des cadavres».

Des voix s'élèvent alors pour proposer de procéder à l'analyse de l'or récupéré, celui de Merkers comme celui que la Suisse va restituer conformément à l'accord de Washington, afin de déterminer ce qui provient des banques centrales européennes, et ce qui provient des victimes de l'Holocauste. Mais la proposition est écartée. «Nous ne savions pas qu'on pouvait déterminer si cet or provenait de dents, de bracelets ou d'autres sources», a expliqué dans une interview au Los Angeles Times Seymour Rubin, un diplomate américain à la retraite (d'origine juive), qui avait négocié avec les Suisses en 1945/46.

Aujourd'hui, le rapport Eizenstat constate: «Il existe des preuves indiscutables que l'or volé par les nazis à des civils et à des victimes des camps était systématiquement reçu, classé, vendu, nanti, déposé ou converti et fondu par la Reichsbank en lingots d'or, puis placé dans les réserves d'or monétaires de cette dernière au côté de l'or volé ailleurs en Europe.» Fondu, l'or SS était impossible à distinguer des lingots d'or volé dans les différentes banques centrales des pays d'Europe occupés par les nazis. Ainsi, l'analyse d'une opération de fonte de florins néerlandais volés, effectuée en 1943, par l'hôtel des Monnaies prussien, indique que 37 kilos d'or fin provenant de pillages SS avaient été ajoutés pendant l'opération. En l'espèce, cet or fut vendu presque en totalité à la Suisse.

En Allemagne, en tout cas, les archives de la Reichsbank sur l'or nazi en provenance des camps ont mystérieusement disparu. Hersch Fischler, un historien, a découvert début 1997, aux archives fédérales allemandes de Coblence, qu'en 1948, les Américains ont remis à la Bank Deutscher Länder (prédécesseur de l'actuelle Bundesbank) les archives de la Reichsbank concernant l'or nazi. Il a mis la main sur un document indiquant que des archives, comprenant 25 chemises relatives aux livraisons d'or venant des camps, ont été données à la Bank Deutscher Länder. Or, aujourd'hui, la Bundesbank, héritière de la Bank Deutscher Länder (et installée dans le même bâtiment) affirme ne pas avoir lesdits documents.

La machine à blanchir suisse

Le pillage massif et systématique de l'or dans les pays occupés et des victimes du nazisme n'était pas une opération laissée au hasard: elle était essentielle au financement de la machine de guerre allemande" Parmi les pays neutres, la Suisse fut le principal banquier et intermédiaire financier des nazis», commente le rapport Eizenstat. La Suisse a-t-elle été le receleur de Hitler et de sa politique de pillage systématique? Et si tel est le cas, la politique de collaboration économique de la Suisse a-t-elle prolongé la guerre et occasionné des victimes supplémentaires? C'est, résumé à grands traits, la perspective américaine dès 1944, qu'a repris le rapport Eizenstat. Le gouvernement suisse rejette toujours ces accusations qu'il estime infondées. Si les interprétations divergent, les faits, eux, ne sont pas contestables.

Depuis mai 1940 et la défaite de la France, la Suisse, encerclée par les forces de l'Axe, est dans une position difficile. Elle craint d'être à son tour avalée par la Wehrmacht. Elle mobilise ses soldats, mais son plus grand atout dissuasif, tient à son rôle de plaque tournante et à l'importance du franc suisse demeuré la seule devise convertible durant toute la guerre. Ce point est capital. La machine de guerre allemande a désespérément besoin des pays neutres: la Suède lui fournit le fer et les roulements à bille. Le Portugal livre plusieurs ressources minérales indispensables, dont le tungstène, un additif utilisé dans la production d'acier et nécessaire à la construction d'armes de qualité (lire page VIII). L'Espagne maintient un commerce actif de biens de matières premières. La Turquie fournit le chrome. Ces pays n'acceptent pas le reichsmark en paiement. Les nazis doivent régler en or ou en devises négociables sur le marché, au mieux en francs suisses. Mais après la défaite allemande de Stalingrad, plusieurs pays neutres s'interrogent s'il est encore souhaitable d'accepter de l'or «allemand» douteux. N'est-ce pas plus sage de refuser cet or, pour s'épargner des difficultés politiques dans l'après-guerre? Bientôt, l'Espagne et le Portugal ne veulent plus d'or «allemand». Le rôle de la Suisse devient alors capital. Walther Funk, président de la Reichsbank constate: «La Suisse est le seul pays où d'importantes quantités d'or peuvent encore être changées en devises.»

En juin 1943, il écrit même que l'Allemagne ne peut se passer de l'aide suisse pour l'échange de l'or, «ne fût-ce que deux mois». Dans un rapport confidentiel de trois pages daté d'octobre 1942, Paul Rossy, vice-président de la BNS (Banque nationale suisse), tire les conclusions: «Le Portugal n'accepte plus l'or de la Reichsbank en paiement, en partie pour des raisons politiques, sans doute aussi, pour des raisons juridiques.» Il ajoute: «De telles objections tombent si l'or passe entre nos mains. Nous devrions y réfléchir.» Comme le dit Werner Rings qui a été écrit l'ouvrage le plus documenté sur la question (1), Rossy a une idée de «prestidigitateur»: transformer de l'or allemand en or suisse. Une parfaite opération de blanchiment qui se concrétise par des opérations triangulaires: Hitler livre contre des francs suisses de l'or volé, puis paie avec ces devises, les matières premières stratégiques en provenance de Turquie, du Portugal, d'Espagne" Ces pays vendent ensuite leurs francs suisses contre de l'or porteur d'un certificat d'origine suisse. Ils se voient ainsi délivrés de toute critique alliée: ils peuvent prétendre n'avoir fait qu'acheter de l'or à la Suisse. Ils sont «blanchis»: le tour de passe-passe a réussi.

Lorsque, en 1943, les Alliés mettent en garde les neutres contre le fait d'accepter l'or du Reich, il est trop tard: 756 millions de francs suisses d'or «allemand» (dont 411 millions d'or belge) ont déjà pris le chemin de Berne. Pour toute la durée de la guerre, 1,7 milliard de francs suisses passent par la Suisse. Les deux tiers de l'or vendu ont été illégalement acquis, pillés essentiellement à la Belgique et aux Pays-Bas. De facto, sans bruit, en pleine guerre, la Suisse détient le monopole du marché de l'or. Les chambres fortes de la BNS en sont l'épicentre. Le «génie» du marché triangulaire imaginé par Paul Rossy fait que des opérations de vente de produits stratégiques ne se concrétisent financièrement que par des déplacements de quelques mètres dans les caves de la BNS.

Ce marché est indétectable en surface. Il suffit aux employés de la BNS de transvaser de l'or d'un dépôt à un autre, sans même changer de salle. Tout l'or est en effet entreposé dans une pièce de 120 mètres carrés, 39 000 lingots de 12,5 kilos sont soigneusement disposés sur des étagères, 48 tonnes en tout. Le gouvernement suisse a donné sa bénédiction. Une note confidentielle des Affaires étrangères de mai 1944 constate avec une franchise surprenante: «Les paiements allemands à la Suède s'effectuent généralement par de l'or à Berne où les lingots sont poinçonnés à son chiffre" Evidemment, le public n'en sait rien et la Suède n'est pas mentionnée dans les articles de presse comme un acheteur de l'or volé ou pillé. La Suisse lui sert, en somme, de paravent et de sauvegarde.».

Le règlement de l'après-guerre

Dès 1943, les Alliés commencent à faire pression sur les neutres pour refuser l'or des nazis. En 1944, Américains et Britanniques déclarent que les transactions sont illégales et qu'elles ne seront pas reconnues dans l'après-guerre. Lorsque les Alliés sentent que la victoire a changé de camp, Washington lance le coup d'envoi de l'opération «Safehaven» (ainsi appelée parce qu'il s'agit d'éviter que les avoirs nazis volés trouvent «un refuge sûr») confiée à des agents des services secrets de l'OSS, l'ancêtre de la CIA. L'objectif est triple: il s'agit de bloquer le transfert d'avoirs allemands vers la Suisse et les neutres, de récupérer l'or volé et de prévenir toute renaissance ultérieure du nazisme, en évitant que le IIIe Reich ne déplace ses ressources hors d'Allemagne. En janvier 1945, le président Roosevelt écrit à son homologue suisse, von Steiger: «Ce serait une chose terrible pour la conscience, pour tout Suisse aimant la liberté, de se rendre compte que son pays a freiné les efforts d'autres pays aimant la liberté pour débarrasser le monde d'un infâme tyran" Je m'exprime en ces termes parce que chaque jour où la guerre se prolonge coûte la vie à un certain nombre de mes compatriotes.»

Churchill est tout aussi clair. Mais la BNS et les banques privées suisses continuent de travailler jusqu'à la fin de la guerre avec les nazis. Survient la paix. Les Alliés exigent que la Suisse restitue l'or volé. Les négociateurs alliés estiment qu'entre 200 et 398 millions de dollars-or volés sont en Suisse à la fin de la guerre (environ 9 et 18 milliards de francs d'aujourd'hui). C'est une négociation homérique qui s'engage au début 1946 à Washington. Pendant soixante-huit jours, les Suisses inventent mille prétextes, font preuve d'un juridisme sans limite, épuisent leurs négociateurs. A la veille de la conférence, ils nient même avoir reçu de l'or volé pendant la guerre. Pendant la conférence, ils s'en tiennent à une lecture restrictive du droit international et des lois suisses. Les Américains veulent boucler la négociation rapidement pour donner la priorité à la reconstruction de l'Europe. Les Britanniques ne veulent pas que ces discussions s'éternisent.

Selon un mémo du 22 janvier 1946 de la British Embassy à Washington, «les gouvernements neutres sont moralement et économiquement dans une position beaucoup plus forte pour résister à des sanctions qu'ils ne l'étaient durant les hostilités. De plus, les Alliés ne peuvent imposer les mêmes pressions morales et économiques». La guerre froide commence. En réalité, reconnaît le rapport Eizenstat, «l'objectif principal des Alliés» (dans l'immédiat après-guerre, ndlr) était la sécurité en Europe». Il fallait éviter que l'or ne soit récupéré par les nazis en fuite, consolider le front antisoviétique, et remettre sur pied une Allemagne de l'Ouest démocratique. Il n'était pas question de se mettre les «neutres» à dos pour dédommager les juifs.

Devant l'inflexibilité suisse, les Alliés réduisent alors leurs prétentions à 130 millions de dollars (soit dix fois plus au cours actuel), puis à 88 millions, montant de l'or volé en Belgique que les Suisses reconnurent posséder.Finalement, ils paient 58 millions de dollars en 1946 pour «solde de tout compte» (environ 3 milliards de francs d'aujourd'hui), concernant toutes les prétentions éventuelles sur les transactions entre la Suisse et la Reichsbank. Avec un culot sans limite, les négociateurs suisses ont fait inclure dans le préambule, que la Confédération ne jugeait pas fondée en droit «la restitution de l'or», mais que le gouvernement suisse était «désireux de contribuer à la pacification et à la reconstruction de l'Europe, y compris le ravitaillement des contrées dévastées» (!).

Le 25 mai 1946, l'accord de Washington est signé. Les Américains lèvent le blocage qu'ils avaient imposé sur 5 milliards de francs suisses (de l'époque) qui se trouvaient sur leur territoire et déchirent la liste noire d'entreprises suisses qui commerçaient avec les nazis. La Suisse vient de réussir son entrée dans le système économique de l'après-guerre. En septembre 1946, la commission tripartite est établie pour examiner les demandes des gouvernements ¬ et non des personnes privées ¬ en vue de la restitution de l'or monétaire volé. Composé de représentants des Etats-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne, le mandat de cet organisme est de s'assurer que chaque pays demandeur obtienne restitution ¬ par l'intermédiaire du Gold Pool mis sur pied par ses soins ¬, en proportion de ce que les Allemands avaient volé. Une dizaine de pays émettent des revendications: l'Albanie, l'Autriche, la Belgique, la Tchécoslovaquie, la Grèce, l'Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas.

Les lingots oubliés du Portugal

De 1939 à 1944, Lisbonne aurait acheté ou échangé 164 tonnes d'or du IIIe Reich. Et n'en a remboursé que 4 tonnes en 1958. Un passé que l'ex-pays neutre a du mal à assumer aujourd'hui. Enquête.

Le document, marqué top secret, est daté du 12 janvier 1946. Il émane d'une mission de l'OSS, les services de renseignements américains, en opération à Berne et a été envoyé en code à Washington. «Avons contacté des officiels suisses de haut niveau qui ont retracé la route de 280 camions chargés d'or allemand depuis la Suisse jusqu'à l'Espagne et le Portugal entre mai 1943 et février 1944, dit la note. Les conducteurs sont prêts à en parler ou même à témoigner. Ils ont cependant peur de perdre leur emploi ou pire encore. Ils demandent 10 000 francs suisses chacun et la promesse d'un nouveau job.»



Extrait en janvier dernier des archives du département d'Etat américain, ce texte fait désormais parti de ceux qui hantent le Portugal, soudainement confronté à la dimension de sa collaboration financière avec le régime nazi. Après la Suisse, directement montrée du doigt pour avoir bénéficié pleinement de l'or volé par Hitler, le Portugal apparaît désormais comme le pays neutre où les transactions ont été les plus importantes. Tous les documents rendus publics à ce jour permettent ainsi d'affirmer que Lisbonne a acheté ou échangé quelque 164 tonnes d'or du IIIe Reich de 1939 à 1944. «Le Portugal a fait beaucoup d'affaires avec l'Allemagne à cette époque. Nous vendions principalement du tungstène, mais aussi de la nourriture et des textiles», explique Fernando Rosas, professeur d'histoire à l'université nouvelle de Lisbonne, auteur d'une étude sur «l'économie de guerre» dans son pays.

Revoilà donc le Portugal rattrapé par les fantômes d'un passé trouble. Un passé évidemment marqué par la dictature de Salazar, qui a opté pour un statut de «non-belligérant» durant la Seconde Guerre mondiale, au regard de l'alliance cinq fois centenaire qui le liait à la Grande-Bretagne, mais qui fut également suspecté de sympathie envers Hitler. C'est dans ce contexte que le commerce avec les nazis s'est mis en place. A la fin de la guerre, lors de longues négociations entre 1946 et 1953 avec la commission tripartite établie par les Alliés, Salazar maintient qu'il s'en est tenu aux accords permettant aux pays neutres de négocier avec les Allemands et qu'il ne savait pas que le métal jaune avait été volé par la Reichsbank. En 1958, il redonnera finalement 4 tonnes d'or aux Alliés, contre un dédommagement allemand.

Aujourd'hui encore, le gouvernement socialiste du président Jorge Sampaio s'en tient à cette version des faits et refuse de commenter plus avant. Avec la censure maintenue, il est vrai, jusqu'à l'effondrement de la dictature en 1974, il a fallu attendre la fin des années 80 pour que les Portugais retrouvent toutes leurs archives et commencent à s'y intéresser. En quelques mois toutefois, les choses se sont accélérées. On sait désormais que durant ces fameuses négociations avec la commission tripartite, les Alliés avaient les preuves que la Banque du Portugal avait directement acheté 44 tonnes d'or à l'Allemagne, bien plus que les 4 tonnes restituées. «En réalité, les Américains ont préféré se montrer généreux avec Salazar dans le cadre de la guerre froide, car ils voulaient être sûrs de pouvoir utiliser nos bases militaires aux Açores en cas de menace soviétique», précise Fernando Rosas.

Parallèlement, au début de l'année, de nouveaux documents américains ont permis d'établir que la Banque du Portugal avait aussi accepté près de 120 tonnes d'or allemand non pas directement de Berlin, mais à travers l'intermédiaire de la Banque nationale suisse. Les révélations ont contraint la banque à annoncer la création d'une commission sur la question, menée par l'ancien président Mario Soares. Depuis, la banque assure elle aussi «qu'il n'existe aucune preuve montrant que nous savions à l'époque que l'or en question était de l'or volé». Dans son vaste bureau au siège de la Banque du Portugal, le vice-gouverneur, Luis Campos E. Cunha, souligne bien qu'il fait une «exception» en nous recevant mais se contente d'affirmer qu'«il faut attendre les résultats de la commission pour avoir une vue plus précise du dossier».

Pour nombre d'experts cependant, la version de la Banque du Portugal, comme celle de Salazar, ne tient pas. Il est ainsi de notoriété publique qu'au début de la guerre, toutes les banques centrales européennes disposaient de toutes les informations concernant le manque d'or dans les réserves allemandes. Plus encore, en 1942, 1943 et 1994, des notes émanant des Alliés ont été envoyées aux autorités portugaises afin de leur demander de ne pas accepter de l'or qui avait été pillé dans les banques des pays occupés. «En 1943 même, les Alliés préciseront que tout pays qui a accepté cet or devra le restituer, et pourtant le Portugal a continué», souligne Antonio Louça, un historien qui travaille à une thèse sur l'«or nazi» et qui a retrouvé ces documents.

Plus troublant peut-être est le circuit emprunté ensuite par cet or. Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire qu'il a quitté le Portugal et, à tenter de le suivre à la trace, on est confronté à ce qui ressemble à une volonté farouche de le faire disparaître dans les décennies qui ont suivi la guerre. De l'or «portugais» a ainsi été retrouvé sur des comptes en Argentine, aux Etats-Unis ou encore au Canada. En janvier dernier, un «ancien ministre de haut rang», cité par le New York Times, affirmait en outre que le Portugal avait secrètement revendu une grande partie de cet or en Indonésie, aux Philippines, mais aussi à la Chine. Depuis, Antonio Louça a retrouvé un témoin qui accrédite cette thèse. L'homme, qui veut préserver son anonymat, est un officier de marine qui travaillait au sein d'une mission portugaise chargée de réceptionner de l'or à Macao dans les années 60. Pendant les six mois qu'il a collaboré à cette opération, il dit avoir reçu une cargaison d'une demi-tonne d'or poinçonné par la Reichstag chaque semaine. Dès 1948 en réalité, le détournement d'un avion allant de Hong-kong à Macao avait quelque peu attiré l'attention. Après une brève lutte entre les trois pirates de l'air et un pilote, l'appareil s'était écrasé. Dans la soute, on avait découvert des lingots, marqués cette fois du poinçon de la plupart des pays occupés durant la guerre" Face à tout cela, le gouvernement portugais reste de marbre. Au ministère des Affaires étrangères, une porte-parole préfère «ne pas se prononcer» et dit, à l'unisson de la Banque du Portugal, «s'en remettre aux travaux de la commission d'accompagnement». A l'université nouvelle, Fernando Rosas s'insurge: «Cette commission est composée d'historiens qui ont des positions proches de celles de l'Etat portugais. Je pense avant tout que le gouvernement ne veut pas faire toute la lumière sur cette affaire parce qu'il ne veut pas risquer de rembourser aujourd'hui tout l'or dont il a profité par le passé.» Une affirmation que réfute vertement Mario Soares: «Tout cela n'est que calomnie. Je donne moi-même toutes les garanties d'indépendance. Je me suis battu pendant vingt-deux ans contre Salazar et je suis le premier à vouloir découvrir la vérité sur cette période.» Difficile, agité, l'examen de conscience portugais risque en tout cas de réserver d'autres surprises. D'ores et déjà, des questions se posent sur l'implication de certains industriels privés dans le commerce de l'or ou encore sur la proportion de l'or venu non pas des banques centrales mais des juifs eux-mêmes. Le chemin pourrait être long avant que toute la lumière soit faite sur un dossier devenu brûlant. Celui qui passe quelques heures à fouiller dans les archives du ministère des Affaires étrangères ¬ qui sont examinées depuis seulement deux semaines par un historien commandité par le gouvernement ¬ comprend ainsi rapidement combien la route de l'or nazi se nourrissait de nombreuses étapes et intermédiaires.

Le 8 juillet 1943, par exemple, une lettre de la délégation portugaise en France parvenait aux autorités de Vichy. «La légation du Portugal a l'honneur de communiquer au ministère des Affaires étrangères que la Banque du Portugal, d'accord avec le gouvernement portugais, a décidé de faire transporter à Lisbonne une partie de l'or qu'elle tient en dépôt dans la Banque nationale suisse. Le transfert s'effectuera en camion de nationalité française ou suisse, de Berne jusqu'à la frontière portugaise ["]. Le 13 août, tombait la réponse de Vichy: «Les autorités françaises n'ont aucune objection à ce transport et [...] des instructions ont été données afin que les services des douanes facilitent, dans la mesure du possible, l'accomplissement des formalités douanières à l'entrée et à la sortie du territoire français.».

Les chemins secrets du butin

Petit à petit, la commission tripartite va se mettre au travail. Partout, elle cherche les traces des lingots nazis. Depuis 1947 et jusqu'à nos jours, 331,5 tonnes métriques d'or pour une valeur de 4 milliards de dollars au cours actuel ont été distribuées (23,6 milliards de francs). Il reste désormais 5 tonnes et demie d'or (l'équivalent à 70 millions de dollars, 413 millions de francs) à répartir. Pourtant, tout n'a pas été retrouvé. On estime ainsi qu'un tiers de l'or du IIIe Reich a disparu dans la «nature». A peine les pays ayant commercé avec Hitler ont-ils récupéré leur butin qu'ils vont en effet essayer de le revendre secrètement, de le dissimuler sur des comptes à l'étranger. Dans les années 50 et 60, on retrouve des traces d'or acheté par le Portugal en Indonésie, aux Philippines, en Chine ou encore en Argentine.

Fin juillet 1945, à l'aube, profitant des brumes et de l'étendue infinie des plages de la Patagonie, au moins 6 sous-marins allemands auraient ainsi abordé la côte argentine. Les nombreux passagers ¬ y compris des femmes et des enfants ¬ qui débarquent rejoignent les estancias tout près de la plage, autant de ranchs appartenant à des familles allemandes, et de lourdes malles sont entreposées quelque temps dans des hangars. Jorge Camasara, un journaliste auteur d'un ouvrage consacré à l'Argentine comme refuge de nazis et criminels de guerre, se dit sûr de ce qu'il avance. Il a parcouru la Patagonie de long en large, recueilli les témoignages d'ex-ouvriers agricoles employés dans ces estancias, et consulté des documents de la marine argentine. «A la fin de la guerre, les Anglais ont fait un bilan de la flotte allemande: il manquait 219 sous-marins. D'après mon enquête, quatre ou cinq d'entre eux ont été coulés près des côtes argentines, pour qu'ils disparaissent à jamais», précise-t-il. Les Allemands sont déjà en effet en nombre en Argentine. Beaucoup de nazis sont passés par l'Espagne, direction l'Amérique du Sud, pour y rester. «Il faut être extrêmement prudent. L'affaire de ces sous-marins a donné lieu aux histoires les plus débridées», met cependant en garde l'historien Ignacio Klich, coordinateur de la commission d'enquête argentine sur l'or nazi, créée en mai dernier.

Mais si Klich fait preuve d'un grand scepticisme sur ces arrivées clandestines, il n'empêche qu'une équipe la commission d'enquête travaille désormais exclusivement sur ce sujet.

En 1992 en tout cas, l'Argentine acceptait d'ouvrir les archives de la police fédérale sur les nazis réfugiés dans le pays après la guerre. En mars 1997, sur les instances du centre Simon-Wiesenthal, on ouvrait aussi les archives de la Banque centrale de la République argentine (BCRA). C'est sur ces registres bancaires que se pose aujourd'hui la loupe des enquêteurs, à la recherche de l'or nazi, et de son éventuel blanchiment dans un pays qualifié de «sanctuaire sud-américain» des criminels de guerre. En outre, en deux ans seulement (entre 1942 et 1944), 98 entreprises aux capitaux allemands se sont installées en Argentine. C'est ce qu'a établi, en 1946, un rapport du département du Trésor des Etats-Unis. Cette vague d'investissements peut-elle avoir caché un blanchiment de l'or nazi? Pour Sergio Widder, représentant à Buenos Aires du centre Simon-Wiesenthal, «il faut chercher aussi de ce côté. Nous avons déjà vérifié que 25 de ces sociétés existent encore aujourd'hui en Argentine, certaines sous le même nom. Il faudrait pouvoir accéder à leurs registres comptables».

Souvent, la route de l'or est encore rendue compliquée par la collaboration directe ou indirecte des pays occupés ou alliés à l'Allemagne. En Hongrie, envahie en mars 1944, les croix-fléchées (pronazi hongrois) prennent le pouvoir. Mais l'armée russe approche de la capitale et le gouvernement de Ferenc Szalasi décide alors de transférer à l'étranger un véritable trésor. A la fin de l'année, un mystérieux convoi ferroviaire s'ébranle de la gare de Budapest en direction de l'Allemagne, chargé d'un précieux butin. Il transporte non seulement le stock d'or de la Banque nationale mais aussi les objets de valeur confisqués aux juifs: des masses d'or, de pierres précieuses, bijoux, perles, diamants, tapis et oeuvres d'art. En raison du chaos qui règne alors, le convoi s'est arrêté à Brennbergbanya, à l'ouest de la Hongrie et ce n'est que le 30 mars 1945 qu'il part vers l'Autriche.

Pendant le voyage, un ingénieux filou s'approprie une partie du trésor. Le docteur Toldy, qui supervisait toute l'opération pour le compte du gouvernement hongrois, accomplit l'exploit de «subtiliser» trois wagons remplis à craquer d'or et de diamants et s'enfuit vers Innsbruck.

Après la capitulation allemande, la précieuse cargaison, qui comprend huit tonnes d'or, sera récupérée par les Américains et les Français. Pour l'historienne Agnès Sagvari, les puissances victorieuses n'auraient gardé qu'une petite partie de l'or et auraient remis l'essentiel de la cargaison à la Hongrie après la guerre. «Faux, rétorque Jozsef Korn, président de la communauté juive de Budapest, les Alliés se sont tout partagés et une tonne et demie est même restée en France. De toute façon, ces huit tonnes n'étaient qu'un petit fragment du trésor juif.» Ce trésor, dont on estime qu'une grande partie est restée en Hongrie, ne sera pas non plus rendu aux juifs hongrois dont plus de 600 000 ¬ sur une communauté de 900 000 avant-guerre ¬ ont péri durant l'Holocauste. Après le gouvernement des croix-fléchées, les nazis et les Alliés, c'est au tour des communistes hongrois, qui prennent peu à peu le pouvoir après la guerre, de faire main basse sur le trésor. «Nous avons retrouvé dans des archives une correspondance entre fonctionnaires du Parti, explique Joseph Korn, voilà ce que dit une des lettres: "Cher camarade, n'oublie pas qu'avant de fondre l'or qui vient des dents, il faut bien le nettoyer. Signé: camarade x"» Quelle était la valeur exacte de la cargaison du train d'or? Et combien d'or se trouvait encore en dépôt en Hongrie à la Libération? Ces questions sont encore sans réponse car, si les listes de l'inventaire du précieux métal et des biens détenus par les juifs existent bien, les détenteurs de ces listes préfèrent rester muets, et les documents s'y rapportant sont classés comme archives secrètes.

Le secret, c'est aussi ce qui prévaut en Italie, où l'on est bien loin d'avoir mis la main sur tout «l'or de Fortezza». C'est là, dans les montagnes du Haut-Adige, que les Allemands ont entreposé, en décembre 1943, les 117 tonnes d'or conservées par la Banque d'Italie à Rome, et que la Wehrmacht avait décidé de récupérer après l'occupation de toute la partie septentrionale du territoire italien. Selon la déposition, après guerre, d'Emil Puhl, ancien numéro 2 de la Reichsbank, environ 50 tonnes d'or auraient été prélevées en février 1944 par le gouvernement allemand en tant que «contribution italienne à la guerre sur le front oriental». A plusieurs reprises encore, une partie de l'or sera acheminée vers la Suisse, et notamment dans les coffres de la Banque nationale suisse.
Quand, le 6 mai 1945, la Ve armée américaine atteignit le Haut-Adige, elle ne récupéra donc que 23 des 117 tonnes d'or prélevées un an et demi plus tôt à Rome. Les lingots furent immédiatement réexpédiés à Rome et en vertu de l'accord de Londres du 10 octobre 1947, l'Italie eut droit de récupérer tout l'or qu'elle possédait à la date du 8 septembre 1943, à la condition qu'elle rende à son tour 2,6 tonnes d'or à l'Albanie, 8,86 tonnes à la Yougoslavie (pillées par Mussolini) et 14,42 tonnes à la France.

Toutefois, l'or de Fortezza continue de troubler l'Italie. Selon l'ancien colonel SS Herbert Klapper, décédé en 1978 après avoir été en 1948 condamné à la prison à perpétuité par la justice italienne, l'or prélevé en avril 1944 à destination de la Suisse n'aurait pas fini dans les caisses de la Banque nationale suisse mais dans les coffres-forts de l'UBS de Lugano.

Durant les années 70, a raconté Klapper, les anciens nazis auraient tenté à diverses reprises de récupérer ce magot. Enfin, à croire des documents retrouvés en août dernier dans les archives nationales américaines, l'Institut pour les oeuvres religieuses (IOR), sorte de banque du Vatican, aurait eu des contacts avec la Reichsbank durant la guerre. Un autre rapport des services d'espionnage américains, publié lui aussi cinquante ans après les faits, assure que le Vatican aurait reçu en dépôt 130 millions de dollars (sous forme d'or et de billets, environ 7 milliards de francs français d'aujourd'hui) volés aux Juifs et aux Tziganes par Ante Pavelic, le dirigeant croate pronazi. Pour faire toute la lumière sur cette affaire, le centre Simon-Wiesenthal a demandé officiellement, le 10 septembre dernier, au pape Jean Paul II, l'ouverture des archives du pontificat de Pie XII. Le Vatican a opposé un fin de non-recevoir et selon Shimon Samuels, le cardinal Pio Laghi a indiqué «qu'il faudra encore attendre soixante ans avant de pouvoir consulter ces archives». Argentine, Hongrie, Italie, Chine, Philippines" La saga de l'or nazi n'est pas close.

La semaine dernière, les autorités brésiliennes ont ouvert deux coffres dans une filiale de la Banque du Brésil, pour y récupérer 4 millions de dollars de bijoux et de couronnes en or, qui proviendraient des victimes de l'Holocauste. En Autriche, plus de 20 microfilms contenant des documents sur l'or viennent d'être retrouvés. Déjà, un rapport de 1947 des services du contre-espionnage américain, le CIC (Counter Intelligence Corps) assure que de nombreuses caisses, «contenant de grandes quantités d'or», auraient été cachées dans des pâturages près du village de Altaussee au début 1945. C'est Adolf Eichmann qui aurait supervisé l'opération, alors que les Alliés marchaient sur le centre du pays. Plus folle encore peut-être, l'histoire de ces lingots frappés de la swastika et vendus en mai 1945 à l'Espagne par la Banque nationale suisse. Ils provenaient du pillage des réserves belges et néerlandaises.

En 1950, quand l'Espagne voulut rénover son réseau téléphonique, elle se tourna vers ITT, une compagnie américaine, et proposa de payer avec ces «lingots nazis». La banque chargée de la transaction, la National City Bank (devenue la Citibank depuis) demanda alors, et obtint du gouvernement américain que ces centaines de lingots, d'une valeur de 23 millions de dollars, soient refondus et estampillés made in USA. Comme quoi l'«or nazi» a contribué à enrichir des sociétés et des banques américaines tout comme les «gnomes» de Zürich ou de Genève.

(1) Source importante de cet article: Werner Rings, l'Or des nazis, la Suisse, un relais discret, Payot Lausanne, 1985.



Sur les quais de Canfranc, station abandonnée à la frontière franco-espagnole, un conducteur de car a retrouvé des documents prouvant le passage, en 1942 et 1943, d'une partie de l'or nazi en provenance de Suisse, vers l'Espagne et le Portugal.

Il est surprenant que l'on n'ait jamais tourné de film à la gare de Canfranc : une gare de 600 mètres de long, dont la partie supérieure fait songer aux fastes de l'Hôtel Negresco à Nice, des appartements et des bureaux destinés aux employés des douanes, des chemins de fer et de la police, plus un hôtel d'un luxe impressionnant - 365 fenêtres et presque autant de mansardes avec, au rez-de-chaussée, d'immenses salles poussiéreuses.

Le hall, gigantesque, arbore un écusson "RF" d'un côté, celui de la monarchie espagnole de l'autre. Sur chaque porte, une inscription bilingue : aduanas/douanes, policia/police, etc. Et 130 colonnes bordant les quais. Le tout encaissé dans les montagnes des Pyrénées, à une altitude de 1 195 mètres, en territoire espagnol, à une dizaine de kilomètres de la France. Une gare presque morte, les rails sont envahis par les herbes, les wagons disloqués, le sol des bureaux jonché de papiers et de détritus.

Une gare hantée de souvenirs glorieux ou terribles. Dès 1853, il avait été prévu de relier la France et l'Aragon par une ligne de chemin de fer. Une commission se réunit en 1878, le roi Alphonse XIII pose une première pierre symbolique en 1882, un accord franco-espagnol est signé en 1883, puis un traité international en 1904. Les travaux démarrent et sont interrompus par la première guerre mondiale. On commence par le tunnel du Somport, 7 865 mètres de long, avec une forte pente côté français qui oblige les ingénieurs à construire un tunnel hélicoïdal de 700 mètres de diamètre sur presque deux kilomètres, afin de compenser une dénivellation de 60 mètres entre l'entrée et la sortie du tunnel. Il faut ensuite creuser dix-neuf tunnels côté espagnol, entre Canfranc et Jaca, douze côté français, entre Bedous et la frontière, dégager une esplanade de 1 264 mètres de long et 170 mètres de large en détournant le cours du fleuve Aragon, canaliser les torrents et planter quelque 7 millions d'arbres pour prévenir les avalanches. La gare n'est finalement inaugurée, en grande pompe, que le 18 juillet 1928, en présence du président de la République française, Gaston Doumergue, et du roi d'Espagne, Alphonse XIII, accompagné du général Primo de Riveira, avec discours, banquets, revues de troupes et fanfares... S'achève aussi alors la création d'un nouveau village : vingt immeubles, un hôpital, une chapelle, une école, une caserne pour la guardia civil et pour la gendarmerie.

Le vieux village de Canfranc, à quelques kilomètres de là, sera, lui, totalement détruit par un incendie accidentel, en 1944, et "adopté" par le général Franco qui lance, auprès des Espagnols, une collecte d'un "duro" (5 centimes) par tête pour la reconstruction (la somme récoltée ne sera jamais versée). Les habitants se réfugient donc autour de la gare, qui porte encore aujourd'hui le nom de Canfranc Estacion (gare de Canfranc) par opposition à l'ancien village, Canfranc Pueblo, déserté. La gare internationale, qui se proclame fièrement, sur les affiches publicitaires, "plus grande que le Titanic", affronte bien d'autres vicissitudes : un grave incendie en 1931, puis la fermeture pendant la guerre civile (1936-1939), après le traité de non-intervention signé avec la France et la Grande-Bretagne quelque cinq cent mille familles républicaines ont néanmoins le temps de passer la frontière et de s'installer côté français, rejoignant les émigrants des années 1930.

Salazar et Franco


La gare ne rouvre qu'en 1940, douze ans après sa pompeuse inauguration. 1 540 personnes en vivent alors (il n'y en a plus que 540 aujourd'hui) et le village sera l'un des premiers en Espagne à avoir l'eau courante et l'électricité, l'un des seuls aussi où l'on ne connaît pas la faim dans cette désastreuse après-guerre. Canfranc Estacion est à nouveau fermée de 1945 à 1949 par Franco qui, craignant une invasion et les maquis anarchistes et communistes réfugiés en France, y installe quelque dix mille militaires. L'Espagne s'enferme ensuite dans une autarcie qui durera jusqu'à la fin des années 1950, et la gare ne retrouvera une certaine activité que grâce au transport d'agrumes.

Coup de grâce : en 1970, un petit train de marchandises déraille, côté français, provoquant la destruction du pont de l'Estanget, et la SNCF décide de fermer une ligne déficitaire depuis plusieurs années. Aujourd'hui, pourtant, c'est encore à un guichet de la SNCF que le voyageur acquiert son billet pour passer la frontière de la France vers l'Espagne... en empruntant un car TER-Aquitaine. De nombreuses associations réclament, tant côté français que côté espagnol, la réouverture de la voie ferrée, surtout depuis la construction du tunnel autoroutier du Somport (qui devrait ouvrir fin 2002 ou début 2003), afin d'éviter les problèmes causés à l'environnement par l'intensification de la circulation de camions et, en particulier, le transport de matières dangereuses. Un accord a été signé au sommet de Perpignan, en 2000, pour une réouverture en 2006. Le maire de Canfranc, Victor Lopez, est l'un des plus acharnés partisans de la réouverture et admet mal les réticences françaises. "Paris ne regarde pas vers son sud, et traite les gens d'Aquitaine et du Béarn en citoyens de deuxième classe.


Le Languedoc est moins développé aujourd'hui que la côte espagnole, alors qu'il y a vingt ans c'était le contraire. La France est la plaque tournante du commerce routier en Europe et les Pyrénées sont au milieu. Le passage des camions est un problème majeur. Avec l'ouverture du tunnel routier, il est certain qu'il y aura un jour un accident grave qui aura des conséquences désastreuses et entraînera la mort de centaines de personnes. La circulation incessante de camions fera baisser le tourisme, l'une des seules ressources de la région. Il faut préserver les routes de campagne et les réserver aux gens et au trafic local, le trafic international doit se faire par ferroutage ou en train." En attendant, cette prodigieuse gare fantôme qui voit encore passer trois trains par jour entre Canfranc et Saragosse, se délabre piteusement d'année en année. Les souris et les couleuvres sont rarement dérangées. Sauf par les curieux. Comme Jonathan Diaz, chauffeur - Français de parents espagnols - d'un de ces cars TER qui font l'aller-retour chaque jour entre Oloron-Sainte-Marie et Canfranc Estacion.

Un jour de novembre 2000, il s'aventure sur le quai postal, et ramasse, sur la voie, des paperasses qui traînaient le long des wagons abandonnés. Une fois rentré chez lui, il jette un coup d'œil et lit les mots : "lingots d'or". Ces lingots d'or, il en avait maintes fois entendu parler par les anciens du village qui se souvenaient les avoir transportés sur leur dos pendant la deuxième guerre mondiale, sous la surveillance de la police franquiste, des gendarmes français et des soldats allemands. Du quai français au quai espagnol puis sur des camions suisses, garés devant l'entrée de la gare.

Ce jour-là, il pleut. S'il ne fait rien, tous les documents qui jonchent les voies vont être détrempés. Sans plus réfléchir, Jonathan Diaz prend sa voiture, une lampe de poche, des sacs en plastique et repasse la frontière, déclarant aux policiers sur les dents - ils recherchent des terroristes de l'ETA - qu'il va retrouver une amie... Dans l'obscurité, il emprunte le souterrain, angoissé comme s'il allait se " retrouver face à face avec les sentinelles nazies". Il remplit les sacs qu'il avait apportés et, par crainte d'un nouveau contrôle de police, les laisse pour la nuit le long d'un des murs de l'église, puis rentre chez lui avec la sensation d'avoir "touché l'Histoire de sa main". Pendant près d'un an, il va restaurer et étudier les papiers collés les uns aux autres par la pluie, sales, déchirés, dévorés par endroits par les rongeurs. Ce sont des doubles sur papier pelure (les originaux ont disparu. Détruits ? Cachés ?) Il essaye de se documenter, de se renseigner, ne trouve rien. Il le dit lui-même, il n'aurait jamais réussi à faire reconnaître la validité de ses trouvailles sans Ramon J. Campo, un journaliste aragonais qui va se passionner pour l'or de Canfranc. C'est lui qui a repris l'enquête, rédigé une série d'articles pour son journal, le Herraldo de Aragon, puis un livre, El Oro de Canfranc, qui vient d'être publié (Biblioteca aragonesa de cultura). Ni les historiens ni les spécialistes n'ont entendu parler de Canfranc.

Les seuls qui savaient quelque chose, c'étaient les vieux habitants du village, mais la plupart, encore marqués par l'emprise de la dictature, sont peu diserts : "Il ne nous arrivera rien si on parle ?"

Beaucoup de gens connaissent sans doute d'autres secrets, possèdent probablement d'autres documents, mais préfèrent se taire : sous le franquisme, la zone de la gare étant sous statut spécial, il fallait un permis pour y séjourner et certains témoins craignent encore de se voir accuser d'on ne sait trop quoi. Depuis la découverte de Jonathan Diaz, les papiers qui traînaient encore par terre à cet endroit (mais il y en a encore beaucoup d'autres, dans le même état, dans d'autres bureaux) ont été récupérés par la compagnie de chemins de fer espagnole (Renfe), laquelle lui a d'ailleurs intenté un procès pour vol.

Ces rapports internes du chef de l'agence internationale des douanes de Canfranc, destinés au chef du service commercial de la direction générale des douanes à Madrid, attestent le passage par Canfranc de l'or nazi volé aux banques européennes et aux juifs envoyés dans les camps : entre le 16 juin 1942 et le 27 décembre 1943, sur 86,6 tonnes d'or en provenance de Suisse, 74,5 tonnes partirent pour le Portugal, 12,1 restèrent en Espagne. On peut comparer ces chiffres aux informations relevées à la frontière franco-suisse de Bellegarde par une commission d'enquête alliée, après la fin de la guerre, qui font état du passage de 184 tonnes d'or entre 1942 et les premiers mois de 1944.

Un des documents, daté du 19 septembre 1941, signale un accord secret de transport de marchandises entre la Suisse et l'Espagne. D'autres démontrent l'exportation de tungstène vers l'Allemagne, en 1943 (en dépit de l'interdiction alliée). Ou encore de fer de la région de Teruel (en Aragon). Il faut savoir que le gouvernement républicain, pour lutter contre les troupes franquistes, avait vidé les caisses et que Franco avait besoin d'or. Selon les témoignages recueillis par Ramon Campo, il n'y eut pas que de l'or nazi à Canfranc, mais aussi de l'opium, des médicaments, des chevaux, de l'armement, du kaolin, du charbon, du zinc ou du manganèse, et également des œuvres d'art, des montres, des lunettes, des dentiers... Pays d'une "neutralité" contestable, l'Espagne a toutefois permis à des centaines de juifs de passer la frontière et de fuir à travers l'Espagne par l'un des trains en partance de Canfranc.

Une fois encore, les langues ne se délient pas facilement : tous les passeurs n'étaient pas des héros. Tous les héros ne sont pas forcément bavards... Un de ces héros tranquilles s'appelait Albert Le Lay. Administrateur en chef de la douane française à Canfranc, résistant sous les ordres du colonel Rémy, il fit passer des hommes (dès 1940) mais aussi des messages, de l'argent, des microfilms, du matériel radio avec l'aide des cheminots tant français qu'espagnols (les républicains réfugiés en France). Les habitants de Canfranc espèrent bien que la gare sera restaurée et transformée en musée : l'or nazi, les familles juives en fuite, la Résistance, il y a de quoi faire ! Et Victor Lopez d'ajouter : "Elle n'appartient pas qu'à la Renfe, la SNCF devrait aussi être partie prenante, le contrat n'a jamais été dénoncé."

Le sanctuaire catholique de Fatima au Portugal confirme que jusque vers le milieu de la décennie 80, il a détenu de l’or en barres provenant de l’Allemagne nazie. L’annonce de cette nouvelle précède de 10 jours la visite du pape Jean-Paul II à Fatima. Ce sanctuaire catholique fait l’objet d’une vénération particulière.

Les responsables ont fait savoir qu’en 1970 ils ont demandé à une banque portugaise de fondre une partie de l’or appartenant au sanctuaire. Ils ont reçu l’équivalent sous forme de barres d’or dont certaines portaient un sceau nazi. Ils ont vendu ces barres entre 1982 et 1986 pour financer des travaux de construction à Fatima, lieu qui attire des pèlerins venus du monde entier.

Des transactions avec les Nazis

Le Portugal s’était livré à des échanges commerciaux avec l’Allemagne nazie, mais l’an dernier une commission a absous de toute faute les leaders du pays, dirigé à cette époque par Antonio Salazar.

Lors de sa visite, le pape doit procéder à la béatification de deux ou trois des jeunes bergers qui, au dire des catholiques, ont été témoins de plusieurs apparitions de la Vierge Marie. Sa visite, le 13 mai, marque le 83e anniversaire de la première apparition.

En mars dernier, une déclaration signée de Luciano Guerra, le recteur de Fatima, confirmait pour l’hebdomadaire Visao que le sanctuaire avait détenu de l’or nazi, la quantité n’étant pas précisée. D’après Visao, des relevés bancaires de 1976 montraient que Fatima possédait alors quatre lingots d’or nazi, soit cinquante kilos. Selon cet hebdomadaire, la comptabilité du sanctuaire (qui est situé à plus de cent kms. au nord de Lisbonne) faisait apparaître qu’il avait, à diverses époques, détenu jusqu’à 258 kilos d’or en barres fabriquées à partir des offrandes des pèlerins et des fidèles.

Le Portugal est resté neutre au cours de la Deuxième Guerre mondiale, ce qui le laissait libre, juridiquement parlant, de commercer aussi bien avec les Alliés qu’avec les puissances de l’Axe.

Un commerce lucratif

Au cours de ses échanges commerciaux avec l’Allemagne, le Portugal a reçu des paiements sous forme d’or. Il a cessé d’en accepter à partir de 1944, après avoir appris de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis qu’il pouvait s’agir d’or « sale », étant donné que l’Allemagne avait pillé les banques centrales des pays qu’elle avait envahis au début de la période conflictuelle qui a duré de 1939 à 1945.

Monsieur Guerra a précisé que le sanctuaire de Fatima n’avait pas à avoir honte de quoi que ce soit; il a ajouté qu’il possédait toujours des barres d’or, et qu’il ferait tout son possible pour déterminer leur origine exacte. « S’il y avait lieu, dit-il, nous chercherions le moyen de contribuer à réparer une injustice », en veillant à ce que le sanctuaire ne subisse pas de perte financière. Il a ensuite ajouté: « Mais si, comme cela est vraisemblable, nous ne découvrons rien, il se pourrait simplement que nous ayons conservé quelques barres comme un témoignage de cette période atroce de l’histoire de l’Humanité. »

La mine de sel de Merkers

La plupart du butin d’Hitler est stockée dans les chambres fortes de la Reichsbank, à Berlin. Mais le vent commence à tourner pour ce Reich qui doit durer mille ans. Les bombardements intensifs menés jour et nuit par les forces alliées détruisent systématiquement la machine de guerre d’Hitler en la frappant au cœur, c’est-à-dire en anéantissant les infrastructures industrielles elles-mêmes bâties sur de l’or volé.

Le 3 février 1945 plus de 900 bombardiers alliés lâchent près de 2300 tonnes de bombes sur Berlin. La ville est réduite à l’état de cendres et de ruines, la Reichsbank est pratiquement détruite. En février 1945, ce qui restait des réserves d’or à la Reichsbank a probablement été chargé à bord de camions par des prisonniers, sans doute français, et acheminé jusqu’à Merkers au sud de l’Allemagne.



Ce printemps 1945, la troisième armée du général Patton s’avance sur l’Allemagne comme un mastodonte. Le 4 avril, des soldats du 358e Régiment d’infanterie de la 3e Armée entrent dans la ville de Merkers. Ils libèrent des prisonniers polonais et français qui leur apprennent alors avoir travaillé dans la mine de sel de la ville et avoir été obligés d’y ranger des milliers de sacs, caisses et valises. Par curiosité, plusieurs GI décident de descendre mener l’enquête. A leur sortie du monte-charge, huit cents mètres plus bas, ils tombent nez à nez sur une énorme porte en acier. On envoie un message à Patton, que faut-il faire ? La réponse de Patton : « faites sauter la porte ». Le génie s’apprêtait à souffler la porte, quelqu’un a réalisé qu’un demi-bâton de dynamite suffisait pour faire sauter le mur juste à coté d’elle sans avoir à s’en faire pour la chambre-forte.


Le trésor


Dans la salle repose plus de 7000 sacs soigneusement empilés. Ce que les Américains trouvent à l’intérieur est tellement incroyable que trois hommes parmi les plus puissants du monde veulent le voir de leurs propres yeux. George Patton, son supérieur Bradley ainsi qu’Eisenhower, Commandant suprême des forces alliées en Europe. Le gratin s’est déplacé pour une scène hors du commun. Plus de 8000 barres d’or sous forme de lingots, 2000 sacs de pièces d’or: des reichsmarks, des souverains anglais, des napoléons, des pièces américaines de 20 dollars or et des centaines de sacs de pièces d’or provenant d’autres pays. En s’avançant vers le fond de la mine, Patton découvre la cache d’un sinistre butin.

Tout l’arrière de la chambre était constitué de biens qui avaient été volés aux victimes des camps de concentration. Il y avait là un empilement de valises remplies d’argenterie, d’alliances, de dents en or. Chaque sac, caisse ou malle avait été inventorié avec soin et estampillé d’une étiquette marquée Melmer. Melmer était l’officier SS allemand qui effectuait les allers et retours avec les camps de concentration pour ramasser tout ce qu’il pouvait comme dents en or, alliances, montres en or afin de les acheminer vers Berlin. Au cours de la guerre, il avait fait comme ça au moins 77 livraisons contenant le fruit de son pillage.


Des œuvres d art (tableau de Manet)


L’actif apporté au compte de Melmer se chiffre alors à plus d’un million de dollars américains. Aujourd’hui cette somme dépasserait le milliard, mais cette découverte n’est encore que la partie visible de l’iceberg. À la fin de la guerre, les Allemands avaient pillé pour environ 580 millions de dollars en or à travers les pays occupés. Là-dessus, on estime à une valeur de 450 millions de dollars l’or transféré pendant la guerre vers la Suisse ainsi que vers d’autres pays.



En 1946, on confie cet or à une commission internationale chargée de chiffrer les dommages aux victimes de l’Holocauste. L’excédent est remis à une commission alliée qui le redistribue aux nations volées. L’Europe est dévastée et se relève péniblement du second conflit mondial. Les Etats-Unis apparaissent alors comme le pays le plus riche de l’Histoire. Pour pouvoir reconstruire leur économie, les nations déchirées par la guerre sont contraintes d’acheter des dollars. Leur mode de paiement reste l’or. En conséquence, les réserves d’or des Etats-Unis montent en flèche.

La plus grosse part est ainsi stockée cinq niveaux sous Manhattan dans les chambres-fortes de la réserve fédérale. A l’époque, il y avait dans les sous-sols de Manhattan probablement près d’un quart ou du tiers de tout l’or extrait au fond des mines.

S’appuyant sur une telle quantité d’or, le dollar devient la devise la plus forte du monde. Les pays règlent leurs dettes en dollars et les gouvernements peuvent échanger leurs dollars pour de l’or. A l’instar du besant et du ducat, le dollar est l’espèce sonnante et trébuchante.







Les généraux Einsehower, Bradley et Patton visitent la mine


L’Angleterre

La Banque d'Angleterre aurait été impliquée dans le transfert et la vente d'or volé par les nazis après l'invasion de la Tchécoslovaquie (en mars 1939). C'est ce qui ressort d'un document rendu public le 30 juillet dernier, et provenant des archives de l'institution. Cet or avait été déposé dans les années 30 dans les coffres de la Banque des règlements internationaux (BRI), surnommée la banque des banques centrales, alors que le gouvernement tchécoslovaque se sentait de plus en plus menacé par l'Allemagne.

Le document révèle comment, en mars 1939, une demande a été effectuée afin que l'or, d'un montant d'une valeur de 5,6 millions de livres de l'époque, soit transféré depuis un compte de la Banque nationale tchèque à la BRI sur un compte détenu par la Reichsbank allemande, également à la BRI. 4 millions auraient été transférés vers des banques aux Pays-Bas et en Belgique, le reste étant vendu à Londres.

D'après ce document, le chancelier de l'Echiquier, Sir John Simon, aurait demandé à Montagu Norman, le gouverneur de la Banque d'Angleterre, si cette dernière abritait de l'or tchèque en mai 1939, deux mois après l'invasion de la Tchécoslovaquie par les nazis. Le ministère des Finances aurait constaté ce qui suit : "Dans sa réponse (datée du 30 mai), le Gouverneur a éludé la question mais a souligné que la Banque détenait de temps à autre de l'or pour la BRI, sans savoir si cet or appartenait [à la BRI] ou à certains de ses clients. Par conséquent, [la Banque d'Angleterre] n'était pas en mesure de dire si cet or était détenu au nom de la Banque nationale de Tchécoslovaquie."
Une autre transaction fut effectuée au mois de juin - en dépit des inquiétudes de Simon. A cette occasion, de l'or fut vendu pour un montant de 440 000 et 420 000 livres, les deux sommes étant transférées à New York.

"Cet or avait été transféré à Londres par la Reichsbank. Cette fois, avant d'agir, la Banque d'Angleterre soumit l'affaire au Chancelier de l'Echiquier, qui déclara qu'il souhaitait obtenir l'avis des conseillers juridiques de la Couronne," peut-on lire dans le document.

Sombres heures pour l'institution

Ce rapport de la Banque d'Angleterre a été rédigé en 1950, dans le cadre de la numérisation progressive des archives de la Banque. Il jette une lumière crue sur ce que d'aucuns considèrent comme l'un des épisodes les plus sombres de l'histoire de l'institution. Il prouve également que l'affaire de l'or tchèque était toujours sujet à controverse au début de la Seconde Guerre mondiale, "et longtemps encore par la suite".

"En dehors de la Banque et du gouvernement, la position de la Banque n'a sans doute jamais été vraiment comprise, et sa décision a sur le moment été très mal interprétée dans l'ensemble," ajoute le rapport.

Le professeur Neville Wylie, historien à l'université de Nottingham qui s'est intéressé à cette période dans le cadre de ses recherches sur l'or pillé par l'Allemagne nazie et le rôle joué par la Grande-Bretagne et la Suisse, avoue que la version officielle de l'affaire telle qu'elle est présentée dans les archives de la Banque d'Angleterre est une nouveauté pour lui, et qu'elle contribue à éclaircir plusieurs points. Selon lui, l'attitude de la Banque est le reflet du comportement des autorités britanniques vis-à-vis des activités financières de l'Allemagne pendant la guerre, un comportement qui, précise-t-il, "laissait à désirer".

"La banque défendait ardemment l'idée d'une coopération entre la finance internationale et les banques centrales. Elle était obsédée par la volonté de préserver le statut de Londres en tant que centre financier international et s'accrochait au besoin de maintenir la convertibilité de la livre alors qu'il y avait longtemps que cette politique n'avait plus aucun sens", explique Wylie.

En juin 1939, devant la Chambre des Communes, le Chancelier de l'Echiquier fit état de ce que les conseillers juridiques de la Couronne lui avaient rappelé : conformément aux conventions, le gouvernement britannique ne pouvait empêcher la Banque d'Angleterre d'obéir aux instructions de la BRI.

L'or fut donc transféré

La Grèce demande des réparations à l’Allemagne pour son or pillé

L’Allemagne doit-elle encore réparation à la Grèce pour l’occupation nazie dans les années 40 ? C’est ce que demande en tout cas le nouveau gouvernement grec, et son nouveau premier ministre Alexis Tsipras. Dans un contexte économique très difficile pour la Grèce, et alors que l’Allemagne a refusé une renégociation de la dette grecque, la Grèce a demandé 162 milliards d’euros de réparation.

Cette somme porte en partie sur les réserves d’or du pays, « empruntées en 1941 et jamais remboursées », relève L’Expansion dans un article du 11 février 2015.

« L’Allemagne brutalement rappelée à son passée », remarque d’ailleurs le site d’informations. Selon l’Expansion, la somme réclamée par le premier ministre grec concerne à la fois les réserves d’or du pays soit 11 milliards d’euros -, et le coût des pillages. « Il y a une obligation historique du nouveau gouvernement de réclamer des indemnités de guerre. C’est un devoir vis-à-vis de l’Histoire », aurait ainsi déclaré le ministre devant le Parlement grec lors de son investiture, selon Francetvinfo.fr.  « Pour l’Allemagne, le dossier des réparations de guerre est clos depuis 1990, quand elle a signé à Moscou un dernier traité avec les vainqueurs de la guerre, dont la Grèce, après sa réunification », détaille L’Expansion.

Selon lindependant.fr qui évoque cette dette dans un article du 13 février, « l’occupation nazie de la Grèce a été parmi les plus sanglantes en Europe. » Le IIIe Reich, en plus de piller les réserves d’or du pays, aurait ainsi imposé un prêt de plusieurs centaines de millions de reichsmarks à la Banque centrale de Grèce, aujourd’hui évalué à plus de dix milliards d’euros.

Les trésors des lacs d’Autriche 

Depuis 1945, de nombreux chercheurs ont plongé dans le lac Töplitz en Autriche car des témoins avaient vu, cette année-là, des SS y jeter de lourdes caisses. En 1959, beaucoup de faux billets de banque (essentiellement des livres anglaises), ainsi que des plaques d’imprimerie, ont été retrouvés au fond du lac par des plongeurs. Il s’agissait des faux billets de l’« Opération Bernhard », destinés à être largués par avion au-dessus de l’Angleterre, afin de créer une panique financière dans le pays. Mais rien d’autre ne fut trouvé dans le lac Töplitz.



En revanche, dans la ville d’Altaussee, toujours en Autriche, a été cherché et trouvé le trésor de l’Autrichien Ernst Kaltenbrunner, chef de la Gestapo, qui fut capturé par les Américains le 12 mai 1945. Ces derniers découvrent d’abord dans sa résidence, transformée en véritable forteresse, 76 kilos d’or enterrés dans le jardin. Puis ils mettent au jour 50 caisses contenant 2 tonnes de lingots d’or et une collection de timbres valant 5 millions de marks-or. En 2001, dans le lac voisin de la propriété, un plongeur retrouve même le sceau personnel de Kaltenbrunner : ce dernier a dû le jeter à l’approche des troupes américaines, afin de ne pas être identifié. Certains pensent qu’il reste probablement d’autres objets précieux dans ce lac.

Le vol par Rommel des biens de riches familles juives de Tunisie 

Erwin Rommel, le célèbre général allemand, a été surnommé « le Renard du désert », durant la Seconde Guerre mondiale, en raison de la grande campagne militaire qu’il mena en Afrique du Nord de 1941 à 1943, à la tête de son armée : l’Afrikakorps.

Lors de ses campagnes en Tunisie et en Libye, Rommel aurait amassé un véritable trésor de guerre, regroupé dans six énormes caisses en bois, remplies de lingots d’or, de diamants et de bijoux, volés à de riches familles juives de Tunisie. Quand Rommel est rentré en Allemagne en mars 1943, il a demandé à un commando de convoyer le magot par bateau. Ce dernier quitte le port de Bizerte le 12 mai 1943 et arrive en Corse en septembre, où il est bloqué dans le port de Bastia. On perd alors la trace du trésor… jusqu’en 1948, lorsqu’un ancien SS tchèque du nom de Peter Fleig affirme avoir été chargé, avec d’autres SS, d’emporter les caisses à bord d’une vedette et de se rendre sur la côte italienne. Mais l’embarcation ayant été attaquée par l’aviation américaine au sud de Bastia, au large de l’embouchure de la rivière Golo, Fleig et ses compagnons sont obligés de jeter les six caisses par-dessus bord. Depuis, Peter Fleig a monté plusieurs expéditions sous-marines sur place, afin de récupérer le magot, sans succès à ce jour faute d’avoir effectué à l’époque un relevé précis de sa position.

Egger Ph.