Dans le dernier numéro du magazine Dabiq, l'État islamique a annoncé être en mesure de se procurer des armes nucléaires d'ici un an. Alain Rodier, Spécialiste du terrorisme et de la criminalité organisée, ancien officier au sein des services de renseignement français, Alain Rodier est directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).
Analyse la crédibilité de cette menace
L'État islamique prétend être en mesure d'acquérir l'arme nucléaire très vite. Faut-il prendre cette menace au sérieux?
Non. Certes Daech annonce qu'il va l'acheter au Pakistan, pays détenteur de l'arme nucléaire. Cela a toujours été une crainte que ce pays, au comportement parfois imprévisible, ne fournisse à un tiers une arme atomique. Mais il s'agissait du transfert à un autre État et l'on pense immédiatement à l'Arabie saoudite (cette hypothèse n'est pas à exclure si l'Iran se dotait d'une force nucléaire opérationnelle). Quant à en donner une à un groupe terroriste, cela reste exclu car les premières victimes pourraient être les autorités pakistanaises elles-mêmes.
Il reste le vol d'une arme par un mouvement hostile au pouvoir en place. Il faut savoir que les installations nucléaires pakistanaises sont extrêmement protégées, et surtout, les armes stockées ne sont pas assemblées sauf au sein des unités d'alerte qui, elles, sont inviolables. Mais là également, ces armes ne peuvent être activées sur ordre politique (et code) venant du plus haut niveau.
En quoi cette annonce s'inscrit-elle dans la stratégie de communication de l'État islamique?
La propagande de l'EI consiste à faire parler de lui en permanence et à créer un climat d'inquiétude pour ne pas dire de terreur. La possible «invasion» de l'Europe via les migrants clandestins partant des côtes libyennes entre aussi dans le cadre de cette stratégie. Mais, même dans ce cas là, il est plus pratique et surtout plus sûr pour Daech d'envoyer des terroristes par les voies normales, et même en première classe puisque l'argent est disponible. Cela ne veut pas dire que des migrants ne seront pas recrutés ultérieurement dans des cellules clandestines de Daech, mais une fois qu'ils seront installés à destination.
Affirmer que le mouvement va acquérir une arme nucléaire est aussi valorisant pour les sympathisants à «la cause» qui y voient une démonstration de puissance et un pied de nez fait aux sociétés occidentales honnies.
Si une organisation terroriste était réellement en mesure de s'emparer de l'arme nucléaire, quelles seraient les conséquences? Celle-ci pourrait-elle s'en servir?
Le maniement d'une arme nucléaire n'est pas une chose aisée. Tout d'abord, il faut pouvoir déclencher l'explosion et celle-ci est toujours verrouillée par des codes et manipulations techniques compliqués. Même en supposant que tous les éléments soient réunis, ce qui, à mon sens, est impossible dans 99,99% car il faudrait de nombreuses complicités, il convient ensuite de la délivrer sur une cible.
Sur le plan balistique, Daech a bien exhibé un missile Scud à Raqqa en juin 2014. Cet engin aurait été récupéré par l'ASL sur une base militaire syrienne conquise dans la région de Der ez-Zor en septembre 2013 et ensuite revendu à l'EI. Mais de l'avis des observateurs, ce missile est totalement hors d'usage. D'autres missiles du même type ont peut-être été récupérés en Irak. Mais cela ne retire pas le fait qu'ils sont compliqués à mettre en œuvre par des amateurs (il y a vraisemblablement des anciens militaires qui ont rejoint Daech qui ont les compétences techniques, mais cela se perd assez rapidement quand on ne s'entraine pas régulièrement) et surtout, il faut «adapter» la tête nucléaire sur le vecteur. Si la tête ne correspond pas à ce type de missile, c'est impossible.
Il reste la possibilité d'acheminer clandestinement la tête nucléaire sur l'objectif (déjà développée dans de nombreux romans) et de la faire exploser. Il faut savoir que les contrôles de ce genre de trafic ont été multipliés depuis l'effondrement de l'URSS. Une arme nucléaire dégage de la radioactivité relativement aisée à détecter, ce qui facilite les surveillances frontalières.
La solution la plus probable est que l'arme soit transformée en «bombe sale», c'est-à-dire qu'il n'y aura pas d'explosion nucléaire mais que des matières radioactives pourraient être disséminées dans un rayon assez faible d'une détonation classique. Cela peut être aussi réalisé avec des matières radioactives civiles que l'on trouve dans les laboratoires et dans les hôpitaux. La charge explosive est composée d'explosifs classiques. Cette hypothèse est prise en compte par les autorités mais n'est pas considérée comme une menace de premier plan. Les documents saisis à Abbottabad dans le repaire de Ben Laden montrent que ce dernier n'a jamais envisagé ce type d'action par incapacité technique. Il ne faut pas attribuer aux mouvements terroristes plus de puissance qu'ils n'en ont -sans pour autant les sous-estimer-.
Un tel scénario serait-il synonyme de bouleversements géopolitiques majeurs?
La prolifération d'armes RNBC (radiologiques, nucléaires, bactériologiques et chimiques) est une menace prise en compte depuis des années par les autorités. Elles font tout pour l'empêcher mais aussi pour gérer un éventuel emploi de ces armes par des terroristes (gestion de la situation, mise en place de chaines de décontamination, traitement des blessés, etc.). Cela ne change donc rien à ce qui existe déjà.
Alexandre Devecchio