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vendredi 1 mai 2015

Anders Kompass : l'homme qui a révélé le rapport sur les viols supposés en Centrafrique par des militaires français


Directeur des opérations de terrain au Haut-Commissariat de l'ONU pour les droits humains, Anders Kompass avait déjà été soumis à une enquête de l'ONU. Des câbles révélés par WikiLeaks avaient mis en lumière un conflit d'intérêt sur la question du Sahara occidental. Il était alors soupçonné d'avoir informé les Marocains sur la question, et d'avoir empêché des enquêtes sur la question des droits de l'homme sur place. Convoqué, M. Kompass avait nié. Son ordinateur de travail avait été saisi mais n'avait rien révélé.



Il est l'homme par qui le scandale est arrivé. Anders Kompass est directeur des opérations de terrain au Haut-Commissariat des Nations unies (ONU) pour les droits humains, à l'origine de la fuite qui fait trembler l'armée française.

Mercredi 29 avril, The Guardian a révélé l'existence d'un rapport confidentiel de l'ONU intitulé « Abus sexuels sur des enfants par les forces armées internationales ». A l'intérieur : des témoignages – recueillis sur place par des enquêteurs de l'ONU – de jeunes garçons accusant des soldats français de les avoir violés et d'avoir abusé d'eux en échange de nourriture ou d'argent.

Les enfants ont décrit précisément leurs agresseurs pédophiles

C'est dans le centre pour personnes déplacées, ouvert à l'aéroport M'Poko de la capitale centrafricaine de Bangui qu'auraient eu lieu les exactions. Interrogés par l'ONU et l'Unicef, les enfants, dont certains sont orphelins, auraient décrit l'exploitation sexuelle dont ils ont été victimes en échange de nourriture et d'argent.

Un garçon de onze ans affirme ainsi avoir été abusé alors qu'il sortait chercher de la nourriture. Un autre garçon de neuf ans a dit avoir été abusé avec son ami par deux soldats français dans le camp, alors qu'ils se rendaient vers un checkpoint pour trouver à manger. "Des enfants ont pu donner des descriptions précises des soldats impliqués", raconte le Guardian.

Selon les estimations et les recoupements de chacun, 14 soldats français et 5 militaires étrangers sont mis en cause. Les faits se seraient déroulés entre décembre 2013 et juin 2014, alors que l'armée française était déployée en République centrafricaine (RCA) dans le cadre de l'opération « Sangaris ».

Si l'enquête était en cours, pourquoi Anders Kompass a-t-il divulgué le rapport ?

L'ONU confirme avoir lancé une telle enquête au printemps 2014, mais elle ne cite jamais le nom du responsable de la fuite, contrairement au Guardian.

Pour le quotidien britannique, qui reprend des sources proches de l'enquête, c'est bien Anders Kompass qui a transmis le rapport à la justice française, en juillet 2014, après avoir constaté que l'ONU tardait à agir. Toujours selon le Guardian, l'un de ses supérieurs avait même été mis au courant de l'entreprise menée par M. Kompass et n'aurait soulevé aucune objection. Mais en mars 2015 le Suédois a été accusé d'avoir divulgué le rapport confidentiel en court-circuitant sa hiérarchie.

Sous couvert de l'anonymat, une source à l'ONU a expliqué à l'Agence France-Presse que le responsable avait fait fuiter le rapport une semaine seulement après qu'il a été fourni par les enquêteurs, et que son action ne pouvait donc pas s'expliquer par une frustration devant un manque de réactivité de l'ONU.

Pourquoi Anders Kompass a-t-il été suspendu ?

Un haut responsable de l'ONU, joint par Le Monde, a également affirmé que si M. Kompass avait voulu accélérer le processus, il aurait pu envoyer le rapport au Guardian dès le mois de juillet. Cadre de l'ONU depuis trente ans, M. Kompass connaît les procédures, a poursuivi ce haut responsable, notamment la nécessaire édition des rapports pour protéger les victimes.

Et c'est bien ce que l'ONU affirme reprocher à M. Kompass. Le porte-parole adjoint du secrétaire général, Farhan Haq, a ainsi expliqué que le rapport avait été transmis officieusement à Paris, d'une part sans en référer à sa hiérarchie mais aussi sans être expurgé des noms des victimes, des témoins et des enquêteurs, ce qui pouvait « mettre en danger » ceux-ci.

M. Haq a donc confirmé mardi que le responsable de la fuite avait été placé « en congé administratif avec plein salaire », en attendant les conclusions d'une enquête interne sur « ce grave manquement aux procédures » en vigueur. Une suspension qui est intervenue il y a une semaine, selon le Guardian.
Anders Kompass est-il un lanceur d'alerte ?

Toujours par la voix de son porte-parole, l'ONU refuse d'accorder à M. Kompass le statut de lanceur d'alerte :

« Notre conclusion préliminaire est qu'une telle conduite ne peut pas être considérée comme celle d'un lanceur d'alerte. »

Mais Bea Edwards, membre d'une association internationale qui soutient les lanceurs d'alerte, accuse dans le Guardian et l'ONU de « chasse aux sorcières ».

« En dépit de la rhétorique officielle, il y a très peu d'engagement à la tête de l'organisation [des Nations unies] pour protéger les lanceurs d'alerte et une forte tendance à politiser toutes les questions, peu importe le degré d'urgence. »

L'ambassadeur de Suède auprès des Nations unies a également mis en garde les Nations unies, affirme le Guardian, prévenant que « ce ne serait pas une bonne chose si le haut-commissaire pour les droits de l'homme poussait » M. Kompass à la démission.

La gendarmerie prévôtale enquête sur le terrain

A ce stade, les militaires identifiés n'ont pas été entendus. Dans le cas des accusations en Centrafrique, sur le terrain, les investigations sont confiées aux membres de la gendarmerie prévôtale, composée de militaires disposant de prérogatives judiciaires et placés sous le contrôle du procureur de Paris. Ils sont ainsi partis une première fois en août 2014 en Centrafrique pour y commencer leur enquête, et y sont depuis retournés pour la poursuivre.

Une enquête dite de commandement est par ailleurs conduite au sein de l'armée pour «vérifier la réalité des faits», a fait savoir mercredi un porte-parole du ministère de Défense. Ses conclusions peuvent être versées à l'enquête judiciaire, sous réserve de déclassification du document. Le parquet a indiqué qu'il demanderait cette déclassification.

Si les faits sont avérés, les soldats comparaîtront donc devant une cours d'assise, qui ne comprend pas de jurés populaires mais est composée de magistrats professionnels, comme c'est le cas pour des affaires de terrorisme. En France, le viol est puni de vingt ans de réclusion criminelle s'il est commis sur un mineur de moins quinze ans, comme cela pourrait être le cas dans cette affaire.

En parallèle, le ministère de la défense pourrait prendre des mesures disciplinaires, les soldats pourraient être suspendus le temps de l'enquête puis exclus définitivement de l'armée s'ils sont jugés coupables. Toutefois, rappelant les difficultés à enquêter sur ce genre d'affaires, la chaîne d'information en continu cite le cas de plaintes pour viol déposées contre des soldats français au Rwanda en 1994: à ce jour, l'instruction n'est toujours pas bouclée.

"Toute insinuation affirmant que Zeid Ra'ad Al Hussein, l'actuel Haut-Commissaire aux droits de l'Homme, aurait essayé de couvrir des abus sexuels sur des enfants est franchement offensante", a déclaré aux médias à Genève son porte-parole, Rupert Colville.

Factuellement, il y a eu des déviances de militaires français, par le passé : un braquage de banque en Côte d'Ivoire façon Morfalous, une neutralisation express par sac... mais aussi, des accusations calomnieuses portées sur un officier des forces spéciales en Afrique et qui s'étaient avérées sans fondement. L'explication était à chercher... en Suède et pas dans les actions de cet officier brillant qui a poursuivi sa carrière. Même si sept ans après, et comme s'il n'avait pas été lavé de ces soupçons, cette fausse polémique reste toujours lisible sur le net.

TF121