Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 3 avril 2015

Nucléaire iranien : le dessous d'un accord historique


Les représentants des grandes puissances, dont le ministre français Laurent Fabius, 
ont négocié l'accord sur le nucléaire avec l'Iran. 
Brendan Smialowski - AFP




Un «accord d'étape» a été conclu ce jeudi en vue d'un traité final sur le programme nucléaire iranien. Dispositions, gagnants, perdants: Michel Malinsky analyse la portée de ce compromis.

L'Iran et les 5+1 sont parvenus le 2 avril à s'entendre sur un «canevas» qui contient les lignes directrices de l'accord définitif qui reste à rédiger d'içi le 30 juin. Il s'agit d'une étape capitale qui ouvre la voie, si les parties parviennent à conclure le texte final, à la réintégration de la République Islamique dans la communauté internationale. Cette heureuse issue très attendue est lourde de signification politique et stratégique, car si elle reflète l'approche gagnant/gagnant promue par le président Rohani et conforte un certain nombre de droits iraniens, elle n'a été obtenue qu'au prix de l'acceptations de contraintes très sévères de Téhéran. En un mot, les esprits grincheux pourront difficilement parler d'accord au rabais, voire de «mauvais» accord. Nous allons aborder brièvement ces deux aspects dans les lignes qui suivent.

Ce compromis est un événement dont les dimensions politiques et stratégiques sont considérables, sous réserve de ce qu'un accord complet soit finalisé à l'échéance prévue. 

C'est une indiscutable victoire diplomatique et politique pour le président Rohani, son ministre des affaires étrangères, et ses équipes. L'option éminemment risquée de la négociation diplomatique ouvrant la voie à une levée des sanctions, une détente, la réintégration dans la communauté internationale s'est avérée gagnante. Bien sûr, le diable gisant dans les détails (il y a beaucoup de diables et de détails), tout dépendra de l'application de ce compromis. 

Au plan intérieur, le président peut enfin offrir à ses compatriotes une perspective (à moyen terme) de l'amélioration de leur sort. Il sera possible aux opérateurs économiques de recommencer à étudier des projets. Et les investisseurs étrangers comme les pays voisins pourront de nouveau envisager des opérations en Iran, sachant que les sanctions ne seront levées (ce que chacun savait) que fort progressivement. Si les négociations finales aboutissent, elles donneront au camp présidentiel des atouts pour les futures élections législatives et à l'Assemblée des Experts en février 2016. Le Guide Suprême, qui a renouvelé à plusieurs reprises son soutien (même s'il est assorti de fortes réserves et de virulents critiques méfiantes contre l'Amérique) aux négociateurs à qui il a laissé leur chance, peut être satisfait de ne pas être désavoué par cet accord. En cas d'échec, il avait lui aussi quelque chose à perdre. De plus, l'avenir politique du président Rohani et de son camp risquait d'être compromis par les ultras en cas d'échec.

Mais cette issue a laissé des perdants. Les plus évidents sont Benyamin Netanyahu et ses ultras. Non seulement ils n'ont pas réussi à bloquer l'accord (par nature mauvais) mais en outre ils ont d'une part creusé un fossé entre Israël et l'Amérique dont les intérêts ne coincident plus autant qu'auparavant. Il s'est discrédité et a discrédité son maximalisme tant dans la classe politique que dans la population (y compris chez les juifs) par l'offense faite au président Obama et par ses outrances relayées, amplifiées par ses relais au Congrès et ailleurs.Tout ceci a fini par agacer et a surtout offert à Obama une fenêtre d'opportunité inespérée pour tenter l'accord malgré les réticences des élus. Si un texte définitif est signé le 30 juin, Obama pourra exhiber une réussite sur le plan extérieur au moment où il accumule les difficultés avec la Russie, au Moyen-Orient. Il pourra même se vanter de disposer d'un appui bienvenu pour s'extraire des bourbiers irakiens, afghans,etc. À l'égard de l'Arabie Saoudite,il lui faudra faire preuve de pédagogie pour convaincre Riyad de consentir à une amélioration des relations avec Téhéran.

Le texte accepté à Lausanne présente plusieurs caractéristiques notables.Il est paradoxalement assez détaillé quant à la liste (impressionnante) des exigences acceptées par l'Iran tout en étant assez bref.C'est plus qu'un «accord politique», les rédacteurs ont fixé des objectifs techniques précis et quantifiés pour les obligations à charge de l'Iran. La seconde impression qui prévaut est le contraste entre l'ampleur des engagements détaillés requis de l'Iran par rapport à l'absence de quantification ni de précision quant à la levée des sanctions. Il semble à la première lecture que l'Iran a consenti de très importantes concessions et que, du moins à ce stade provisoire, il n'a pas reçu de garantie de suppression des sanctions, mais se voit accorder la possibilité de suspensions réversibles au fur et à mesure du respect de ses engagements.

Sous réserve d'une étude plus approfondie, on voit que ces derniers comprennent des éléments qui étaient anticipés, d'autres le sont moins. On devine que le document final incluera des dispositions qui ne figurent pas ou ne sont pas explicites.Il n'est pas fait explicitement mention du mécanisme de ‘swap' (transfert de combustible très et faiblement enrichi) vers la Russie, sujet qui a fait polémique récemment.Téhéran pourra disposer de 6104 centrifugeuses de première génération sur les 19.000 installées, dont 5000 pourront enrichir de l'uranium sur 10 ans. L'accord cadre retient la notion de «breack out» (temps nécessaire à la fabrication d'une bombe, estimé curieuesment à 2/3 mois, qui serait porté à 1 an). Comme prévu,le site de Fordow sera transformé sans conduite de recherche sur l'enrichissement, et le réacteur au plutonium et à l'eau lourde modifié. Les centrifugeuses de seconde génération seront retirées et celles de générations suivantes non utilisées. La durée de ces engagements varie entre 10 et 15 ans.Un important chapitre détaille les obligations de transparence et d'inspections. L'accès ouvert aux inspecteurs de l'AIEA est très élargi, pratiquement illimité (y compris dans la durée: 20/25 ans) et l'Iran s'engage à appliquer le Protocole Additionnel du Traité de Non Prolifération,et le code 3.1 (notofication des nouvelles installations) ,et à fournir à l'AIEA les assurances demandées sur les «Dimensions potentiellement militaires» de son programme (les fameux documents présentant des schémas douteux). À l'issue de ces longues périodes, l'Iran restera membre du TNP.

En échange, à condition de respecter ses engagements, les sanctions européennes seront supprimées (différence importante), et les américaines liées aux activités nucléaires seront suspendues (pas retirées) une fois que l'AIEA aura confirmé que l'Iran aura respecté toutes les principales dispositions. Les allègements (dont le contenu n'est pas précisé) sont réversibles. En revanche, toutes les sanctions «nucléaires» du Conseil de Sécurité de l'Onu seront levées quand l'Iran aura mis en œuvre les principales mesures requises (enrichissement, Fordow, Arak, documents ‘douteux',et transparence). Une revendication essentielle. D'autres résolutions seront soit maintenues soit modifiées. 

Ce schéma, pourtant détaillé malgré son caractère résumé, ne précise pas ce que l'Iran peut effectivement espérer encaisser comme montants dégelés sur les 100 milliards de dollars bloqués dans les banques étrangères. Jusqu'au 30 juin, il continuera à percevoir les tranches mensuelles prévues par le JPOA (Joint Plan of Action). Dans ce dispositif, l'AIEA joue un rôle-clé, elle est la garante de l'application du futur accord.

En conclusion, une étape a été franchie, elle permet d'envisager un avenir optimiste pour tous mais beaucoup de travail reste à faire pour finaliser le texte et y apporter les précisions utiles. Et,naturellement, il faudra que le document final soit conclu et… respecté.

Michel Makinsky