Le SRC a été alerté par ses homologues américains.
Image: Keystone
Pour le Ministère public de la Confédération, pas de doute: les trois Irakiens emprisonnés en Suisse étaient en cheville avec un chef de Daesh.
Les trois Irakiens arrêtés en 2014 dans le canton de Berne pour soupçons d'attentat restent en prison, leur détention ayant été récemment prolongée jusqu'en septembre 2015. Le Service de renseignement de la Confédération (SRC) avait été informé par les Américains un peu plus tôt de la préparation d'un attentat.
Le Ministère public de la Confédération (MPC) estime que l'attaque était prévue en Europe pour le premier semestre 2015, explique le Tages-Anzeiger dans son édition du 28 avril. Les trois suspects communiquaient en code et sous des pseudonymes, mais c'est surtout le nom de leur contact qui retient l'attention de l'Office fédéral de la police (fedpol) et du FBI américain, qui collaborent dans ce dossier: Abu Akkab al-Muhajir.
Une identité encore inconnue
Pour le MPC, aucun doute: il s'agit là d'un cadre dirigeant de l'Etat islamique. Et ses messages sur Internet et les réseaux sociaux montrent que c'est lui qui tirait les ficelles. Il se faisait fort de pouvoir donner des contacts à la frontière turco-syrienne pour les personnes voulant «partir en vacances» dans la région. Et les voyageurs devaient ramener en Suisse des «fers». Pour les enquêteurs fédéraux, des armes en préparation d'un attentat.
L'identité réelle d'al-Muhajir reste encore inconnue, ainsi que son rang dans la hiérarchie du groupe. Il pourrait s'agir de l'Irakien Uday Aktif Hamad, un nom connu outre-Atlantique. Il a officié comme messager d'Abu Ayyub al-Masri, qui était jusqu'en 2010 le chef d'Al-Qaida en Irak.
Le Lion du Tawhid
Son identité importe moins aux enquêteurs fédéraux que son implication au sein d'une organisation terroriste. «Il faut prouver que cette personne fait partie de l'Etat islamique, peu importe son nom», explique André Marty, responsable de l'information au MPC. «Et il n'y a aucun doute dans ce cas: ses discussions avec des tiers montrent qu'il en fait partie, il le dit lui-même!»
Abu Akkab al-Muhajir se fait appeler le Lion du Tawhid (Unicité), une métaphore comme les combattants islamistes aiment en prendre. Et ses commentaires sur la situation dans la région montrent qu'il est bien un membre de l'Etat islamique avec des responsabilités.
Le dernier mot au TPF
Dans ses discussions sur Facebook, il dévoile ses efforts pour racheter des captifs et leur famille et son soutien aux veuves des combattants. Il peut également exclure des gens du groupe et reçoit des serments d'allégeance, rapporte le MPC.
Dans ses contacts avec Oussamah, le principal accusé qui habitait à Beringen bei Schaffhausen, il évoquait «l'ouverture d'une filiale» en Suisse, où on «peut y faire du bon travail». Un proche en qui on pouvait avoir confiance devait se rendre en Turquie pour en ramener des informations d'al-Muhajir. C'est sur cette base que la police fédérale a décidé d'agir à la fin de mars 2014.
Les enquêteurs n'ont trouvé aucun plan d'attentat mais des gigabits de communication électronique avec al-Muhajir. Ils constituent la principale preuve pour le moment mais ce sera au Tribunal pénal fédéral (TPF) de trancher sur la préparation réelle d'un attentat par le trio.
Langage codé
Le Ministère public de la Confédération (MPC) en est persuadé. Les Irakiens arrêtés en Suisse et soupçonnés de préparer un attentat utilisaient un code pour communiquer, comme l'écrit le Tages-Anzeiger dans son édition du 29 décembre 2014.
Une certitude née des discussions des prévenus sur Facebook. Le principal suspect, un requérant d'asile établi à Beringen près de Schaffhouse, y fait souvent mention de boulangeries et de pains. Des propos d'autant plus étonnants que son correspondant en Syrie n'est autre qu'un des chefs supposés du groupe Etat islamique.
Le choix de l'expert
Des phrases telles que «cher frère, tu sais que lorsque je prépare du pain, j'ai besoin de beaucoup d'ingrédients» ont attiré l'attention de la National Security Agency (NSA). Qui a ensuite alerté ses homologues helvétiques.
Les trois suspects originaires de Mossoul sont depuis en détention, soupçonnés d'être une cellule du groupe 'Etat islamique et de préparer un attentat, mais la fouille des domiciles fin mars n'a rien donné. Et la police fédérale peine toujours à avoir accès aux discussions sur Facebook, malgré des demandes répétées au FBI américain.
Le Ministère public s'est également tourné vers Evan Kohlmann, un spécialiste américain des réseaux islamistes. Un choix qui fait polémique en Suisse. «Il est hautement significatif que le MPC demande l'aide d'un soi-disant expert impliqué dans plusieurs procédures problématiques pour les droits de l'homme à Guantanamo», souligne un des avocats bernois des prévenus.
La «pastèque» pour arme
Evan Kohlmann, spécialiste du terrorisme aux Etats-Unis
mais ses méthodes font débat.
(Image: Christian Weber)
Evan Kohlmann est très souvent requis outre-Atlantique, bien qu'il ne parle pas arabe. Pour de nombreux spécialistes du terrorisme, le New-Yorkais ne serait qu'un rouage de l'industrie de mise en accusation mise en place par le Département de la justice durant la période de George W. Bush.
Evan Kohlmann s'en défend, expliquant avoir recours à l'«accès unique aux canaux de communication des terroristes» et se basant sur les faits, pas sur les interprétations ou les spéculations.
En juin, le MPC lui a demandé de décoder les dialogues des suspects. Le spécialiste new-yorkais lui a remis quelques semaines plus tard son «Expert Report 1», d'une dizaine de pages. Mais le cas en question n'occupe qu'une demi-page en fin du rapport. A son avis, les mots utilisés à cette occasion sont un «euphémisme pour désigner des explosifs» et il «soupçonne fortement que la ‹pastèque› ne soit une arme».
Qui était le correspondant?
A la fin septembre, le ministère a invité Evan Kohlmann à une première confrontation avec le suspect principal à Berne. Car durant l'été, le MPC a eu accès à d'autres discussions sur Facebook qui ont renforcé ses soupçons.
Toutefois, des juristes estiment que ces dialogues ne suffisent pas à inculper les suspects. En attendant, le tribunal des mesures de contrainte de Berne a prolongé de trois mois la détention des prévenus.
Reste à définir l'identité du correspondant en Syrie des suspects. Interrogé à ce sujet, Evan Kohlmann a reconnu ne pas le connaître comme un chef de l'Etat islamique.