Alors que le mot d’ordre est de ne pas payer de rançons, le business du kidnapping reste très lucratif, en particulier pour les terroristes islamistes. La Suisse prône une conduite ferme. Mais chaque cas est particulier.
Pas une semaine sans que les médias ne parlent de prises d’otages, de demandes de rançons, de longues et délicates négociations, de libérations inespérées ou au contraire d’assassinats scabreux de captifs innocents. Lundi dernier encore, c’est une missionnaire américaine qui a été enlevée par des hommes armés au Nigeria, alors qu’au début du mois, des djihadistes du groupe Etat islamique (EI) libéraient contre rançon 19 chrétiens assyriens dans le nord-est de la Syrie.
Le business de l’enlèvement ne cesse de fleurir, qu’il soit pratiqué par des djihadistes au Sahel, des pirates en Somalie, des FARC en Colombie ou des truands en Haïti. Le marché mondial du kidnapping dépasserait le milliard d’euros par an, ravisseurs, assureurs et consultants en gestion de crise compris. Environ 30 000 enlèvements auraient lieu chaque année, selon une analyse du Centre d’études de sécurité (CSS) de l’EPFZ. Comment pareille «industrie» peut-elle prospérer, alors que les Etats prétendent haut et fort, depuis des années, ne plus céder aux exigences des kidnappeurs? La réponse est complexe, s’agissant de sauver des vies humaines sans encourager les ravisseurs à recommencer. Depuis deux ans, le problème est à l’agenda international, la Suisse étant même parmi les Etats les plus engagés en faveur d’un code de conduite strict et uniforme. Décryptage.
La raison et l’émotion
«Je suis ferme. Mais on enlèverait ma fille, je serais moins ferme…» Cette formule d’un policier, citée par la journaliste Dorothée Moisan dans l’ouvrage «Rançons»*, résume parfaitement la problématique. «Même si un Etat tient bon et refuse de payer, le ravisseur sait qu’un tiers, plus émotif, plus vulnérable, déplacera des montagnes et videra des coffres-forts pour retrouver l’être cher», explique la spécialiste en affaires judiciaires et policières. Bien sûr, il ne faudrait pas payer. Car la fermeté aujourd’hui signifie moins d’otages à l’avenir. «Mais quand la raison le dispute à l’émotion, il ne peut exister de solution idéale: c’est une machine à perdre», souligne-t-elle.
Battage médiatique
La «mécanique infernale» est d’autant plus efficace qu’elle s’ancre dans une société où les médias ont tôt fait de diffuser un visage, de susciter des sympathies et d’attiser un désir de solidarité. En France, les enlèvements médiatisés d’Ingrid Betancourt, Florence Aubenas, Georges Malbrunot et Christian Chesnot sont encore dans toutes les mémoires.
La presse suisse a aussi fait ses gros titres ces dernières années avec divers kidnappings. Comme ceux de quatre ressortissants de notre pays en 2003 en Algérie, d’un couple zurichois en 2009 au Mali, d’une Suissesse enlevée par un mouvement proche d’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) en 2012 à Tombouctou ou de ces deux touristes bernois qui ont passé neuf mois en captivité au Pakistan. Sans parler de l’employé d’ABB Max Göldi, «retenu» entre 2008 et 2010 en Libye par Mouammar Kadhafi pour des motifs politiques.
Durant la dernière décennie, il y a eu une douzaine de cas d’enlèvements liés au terrorisme, qui ont concerné une vingtaine de ressortissants suisses, selon une étude de 2013 de Christian Nünlist, du CSS. Ces rapts ont eu lieu malgré les recommandations répétées de la Confédération à ne pas voyager dans les régions à risques, et en particulier dans la zone sahélienne.
Financement du terrorisme
Ces divers cas de rapts menés par des mouvements islamistes ne se sont vraisemblablement pas toujours résolus par le paiement de rançons, le mot d’ordre officiel étant de ne pas payer. L’évolution de la situation inquiète toutefois la communauté internationale. Car il est désormais clair que les millions extorqués par les kidnappeurs servent à financer le terrorisme. A tel point que le conseiller fédéral Didier Burkhalter a fait de la lutte contre les enlèvements contre rançons une priorité dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe qu’il présidait l’an dernier (lire ci-dessous). Selon le Gouvernement britannique, 150 étrangers ont été kidnappés entre 2008 et 2012 par des groupes terroristes islamistes, beaucoup par AQMI, mais aussi par Boko Haram au Nigeria, Tehrik-e Taliban au Pakistan et Abu Sayyaf aux Philippines.
Un business très lucratif
En 2011, selon des données gouvernementales américaines, AQMI a reçu en moyenne 5,4 millions de dollars par otage libéré, soit un million de plus qu’en 2010. En automne 2013, 20 à 25 millions d’euros auraient été déboursés pour la libération de quatre Français au Mali, selon l’AFP, qui citait alors une source proche des négociateurs nigériens. La cote de la rançon aurait même atteint 9,6 millions de dollars par otage, avec un temps de détention moyen de 200 jours, selon le bureau de conseil «Control Risks».
Surenchère de l’Etat islamique
Une surenchère à laquelle participe aussi le groupe Etat islamique (EI). En janvier dernier, il a réclamé une rançon de 200 millions de dollars au Gouvernement nippon pour la libération de deux otages japonais. Le gouvernement refusant de payer, l’entrepreneur nippon et le journaliste indépendant ont été assassinés après le délai de l’ultimatum. Entre septembre 2013 et septembre 2014, l’EI aurait réussi à arracher pour 35 à 40 millions de dollars de rançons, selon un rapport américain. Pour mettre fin à cette spirale malsaine, un refus strict de tout paiement s’imposerait. On en est loin…
* «Rançons - Enquête sur le business des otages», Dorothée Moisan, Editions Fayard, 2013.
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Une politique suisse de «non-rançon» très stricte
La Suisse, qui compte 750'000 citoyens à l’étranger et comptabilise 16 millions de voyages hors de ses frontières, n’est pas épargnée par les prises d’otages. Très stricte en matière de remise de rançons, elle milite à l’échelle internationale contre ce fléau. Les explications de Christian Nünlist, Senior Researcher au Centre d’études de sécurité (CSS) de l’EPFZ.
- Selon le Département des affaires étrangères, la Suisse «ne paie pas de rançon». Est-ce vrai dans tous les cas?
Christian Nünlist: Le Conseil fédéral suit officiellement, comme d’autres gouvernements occidentaux, une stricte politique de «non-rançon» et n’accepte pas le chantage des terroristes. Pour les familles touchées, les entreprises et, en fin de compte, le Gouvernement suisse, la survie des otages reste toutefois la priorité. C’est pourquoi les otages sont souvent libérés grâce à des financements organisés par des intermédiaires. Selon des enquêtes médiatiques, en particulier du «New York Times», 12,4 millions de dollars auraient été versés à des terroristes islamistes en 2009 pour la libération de deux otages suisses et d’une Allemande.
- Quelles sont les dispositions légales suisses qui empêchent le paiement de rançons?
En tant que membre des Nations Unies, la Suisse s’est engagée à appliquer les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU concernant les sanctions contre le réseau al-Qaïda et ses ramifications. Ces sanctions sont aussi applicables aux versements de rançons. De plus, en Suisse, une ordonnance interdit déjà de transférer ou de fournir des fonds aux personnes et organisations ayant des liens avec al-Qaïda, l’Etat islamique (EI) ou autres organisations apparentées. Enfin, le Code pénal suisse criminalise le financement du terrorisme (art. 260).
- La Suisse s’engage aussi en faveur d’un code de conduite uniforme à l’échelle internationale pour en finir avec les rançons…
L’an dernier, sous la présidence du conseiller fédéral Didier Burkhalter, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a fait des enlèvements contre rançons l’une de ses priorités. Le sujet était au menu d’une conférence internationale en avril à Interlaken et a fait l’objet d’une déclaration détaillée du Conseil ministériel en décembre à Bâle. Ces dispositions internationales s’ajoutent à un engagement des gouvernements du G8 au principe de «non-rançon» en juin 2013, ainsi qu’à la mise en œuvre du «Mémorandum d’Alger» du Forum mondial contre le terrorisme (GCTF), dont la Suisse est membre, qui recommande les «bonnes pratiques» à adopter en cas de traitement d’enlèvements contre rançons.
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Un vieux crime
Le kidnapping est un terme apparu au XIXe siècle pour qualifier le rapt d’enfants (puis d’adultes) à des fins d’esclavage. Le mot est devenu célèbre lors de l’enlèvement du fils de l’aviateur Charles Lindbergh, en 1932. La pratique de l’enlèvement est en fait un très vieux crime. Ainsi, raconte Dorothée Moisan dans l’ouvrage «Rançons», Jules César en fit l’amère expérience.
A 21 ans, il fut enlevé par des pirates de Cilicie qui réclamèrent 20 talents d’or contre sa liberté. Selon Plutarque, le futur «Imperator» s’offusqua du peu de prix qu’on faisait de lui et leur déclara en valoir 50! Ils les obtinrent et relâchèrent l’auguste prisonnier… qui se pressa de les faire pendre!
Les prises d’otages sont aussi «monnaie courante» au Moyen Age. C’est même une source importante de revenus pour la noblesse. Il est plus rentable de capturer un chevalier que de le tuer. Les otages offrent en outre des garanties dans les négociations entre Etats. Plusieurs têtes couronnées ont été enlevées. Le roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion, par exemple, a dû promettre 150 000 marcs d’argent pour sa libération en 1194, l’équivalent de deux ans de recettes du royaume. Et le roi de France Jean Le Bon a dû s’acquitter de 4 millions d’écus d’or quand il a été fait prisonnier à la bataille de Poitiers en 1356.
Durant le XXe siècle, les kidnappeurs s’intéressent d’abord aux riches héritiers ou hommes d’affaires. De nombreux cas d’enlèvements ont lieu en Argentine dans les années 1970. Le plus coûteux, celui des frères Born, s’est monté à 60 millions de dollars de l’époque, soit environ 300 millions aujourd’hui. Les terroristes, eux, sont un peu moins gourmands…
Voir aussi le documentaire «L’enlèvement», ce dimanche sur RTS Deux.
Pascal Fleury