Même s'il n'y a pas d'indice de menace concrète dans notre pays, les autorités craignent une montée du phénomène des «loups solitaires».
Markus Seiler reconnaît qu'une menace «abstraite» persiste. (photo: Keystone)
Vingt procédures sont actuellement menées contre des présumés jihadistes en Suisse. Le menace reste élevée, selon le Service de renseignement de la Confédération (SRC). Elle avait été relevée d'un cran avec la proclamation du groupe terroriste Etat islamique (EI) entre la Syrie et l'Irak.
La situation est restée la même après les attaques de Paris et de Copenhague car il n'y a pas d'indice de menace concrète en Suisse, a expliqué le chef du SRC Markus Seiler jeudi devant la presse. La mention de la Suisse dans une vidéo de l'EI ne désigne pas non plus de cible helvétique précise
M. Seiler reconnaît toutefois qu'une menace «abstraite» persiste. Des attaques sanglantes du type de celles qui se sont passées à Paris restent possibles. D'autant plus que l'auteur des attaques de Copenhague s'est inspiré de ce qui s'était passé dans la capitale française.
La «task force» fédérale contre le jihadisme craint en effet la montée du phénomène des «loups solitaires». Le plus grand défi que pose cette forme de terrorisme est la détection précoce des auteurs isolés potentiels sans porter atteinte aux libertés individuelles. A cela s'ajoute la difficulté à protéger la population prise pour cible.
D'une manière plus générale, l'aspect international et imprévisible des attaques perpétrées par des jihadistes oblige à considérer que la Suisse puisse elle-même être la cible d'un acte terroriste, note la «task force» dans son rapport.
L'implication de pays européens au sein de la coalition contre l'EI augmente en outre sensiblement le risque de passages de terroristes sur territoire helvétique. «Il n'est pas exclu que des intérêts ou des ressortissants occidentaux soient attaqués en Suisse.»
Inspiré des politiques menées en Europe, le plan d'action de l'Office fédéral de la police butera, selon des experts du terrorisme, sur les limites du fédéralisme et des carences dans le fichier des données.
Le politologue genevois Frédéric Esposito, interrogé par l'ats, est d'avis qu'un contrôle plus efficace des données des passagers aériens répertoriées dans le cadre d'un fichier commun à l'espace Schengen, le PNR, n'est de loin pas une mesure spectaculaire. Elle est, selon lui, relativement simple à appliquer étant donné que les compagnies aériennes conservent déjà la plupart de ces données.
En outre, les candidats au jihad peuvent assez facilement aujourd'hui se fabriquer de faux documents de voyages ou d'identité, voire usurper des identités tierces, constate ce chargé de cours de l'Institut d'études globales de l'université de Genève (GSI).
Les souvenir des fiches
Ensuite, depuis le scandale des fiches fédérales à la fin des années 80 en Suisse, le pays a perdu de son potentiel en tant que partenaire à l'étranger». Aujourd'hui, note-t-il, «la Suisse est plus demanderesse d'informations qu'elle n'en fournit à l'étranger».
En réalité, ce sont surtout les cantons de Genève et Zurich qui fournissent des informations au service de renseignements et la Suisse «possède moins de données sensibles que d'autres pays».
Multitude d'interlocuteurs
Un autre écueil se dresse également déjà devant les autorités suisses: les limites du fédéralisme lorsqu'il s'agit de désigner des représentants au sein de la communauté musulmane.
«Chaque échelon - communal, cantonal, fédéral - veut 'son' interlocuteur musulman, ce qui multiplie le nombre d'interlocuteurs, sans compter que des frictions apparaissent régulièrement au sein de la communauté musulmane elle-même entre par exemple des ressortissants des Balkans et d'autres du Maghreb. Ces désignations pourraient ainsi prendre encore des années», concède M. Esposito.
Ce dernier se réjouit en revanche de la possible mise en place d'une «hotline» que la Confédération souhaite mettre en place pour inciter parents ou proches des candidats au djihad à se confier. «Une mesure intelligente», selon lui, en droite ligne de ce qui se réalise par exemple en France ou en Grande-Bretagne, alors que l'Allemagne reste toujours rétive à l'introduction d'une telle ligne téléphonique.
Profils difficiles à définir
S'adressant vendredi à des étudiants de maturité du Petit-Lancy (GE), Frédéric Esposito a pu observer que les jeunes sont conscients des dangers liés à l'endoctrinement via les réseaux sociaux. Et qu'ils s'offusquent de ce que la problématique actuelle se focalise autour du monde arabe, alors que pour plusieurs d'entre eux, au-delà du 11-Septembre, les attentats de ces dernières années aux Etats-Unis sont souvent le fait de jeunes blancs réactionnaires.
Chercheur à l'Institut d'études de politique internationale de Milan (ISPI), Lorenzo Vidino souligne lui aussi que les profils des jeunes candidats au djihad restent très délicats à définir. «Certains sont issus de la petite criminalité, d'autres sont des enfants de bonne famille», mais au fond rien de nouveau, affirme-t-il à l'ats.
«A l'époque des groupes terroristes d'extrême gauche en Allemagne ou ailleurs, nous assistions déjà à ce genre d'amalgames», ajoute-t-il, tout en estimant que les mesures prônées par l'Office fédéral de la police (Fedpol) vont dans la bonne direction.
«Le sécuritaire ne suffit pas»
Jean-Paul Rouiller, directeur du centre genevois d'analyse du terrorisme, est plus critique. Pour lui, «agir sur le sécuritaire ne suffit pas». Préventivement, «il faut aussi lutter contre la radicalisation dans les écoles», sans compter que «le service militaire de milice» pratiqué en Suisse «est également susceptible de jouer un rôle contre la radicalisation».
Autre constat de faiblesse, selon lui, le rapport «est très centré sur la Suisse alors que le phénomène du djihad dépasse ses frontières». Malgré tout, la communication des services de renseignements s'est améliorée en matière d'informations au public.
«Au travers de la statistique mensuelle des voyageurs du djihad, nous avons maintenant une communication tout à fait nouvelle», explique-t-il vendredi dans les colonnes du quotidien «La Liberté».
ATS