La volonté des Etats-Unis d’affaiblir une grande banque britannique concurrente des siennes comme la Suisse, déjà fragilisée par la fin du secret bancaire
Falciani est devenu informaticien en 2000, d'abord à Monaco, puis à Genève, où il a eu accès "en dehors" de la banque à des données cryptées. "Ce sont des milliards d'informations" auxquelles il a eu accès, et qui ont pu être décryptées "parce qu'il y a des pays qui sont plus courageux que la France, qui utilisent leurs services de renseignement pour l'intérêt général. Je parle de la CIA bien sûr". "On a des liens qui établissent la présence de la CIA. C'est ma conviction intime que ça s'est fait grâce à eux".« Il y a des pays qui sont plus courageux que la France et qui utilisent leurs services de renseignement pour l’intérêt général. C’est grâce à la CIA que j’ai récupéré ces données », indique-t-il. « Intérêt général » ou volonté des Etats-Unis d’affaiblir une grande banque britannique concurrente des siennes comme la Suisse, déjà fragilisée par la fin du secret bancaire ?
L'informaticien explique avoir eu accès à ces données "par un cloud. Vous, vous allez récupérer des films, moi j'allais récupérer ces informations sur l'Internet. On me les avait mises à disposition". Hervé Falciani était-il un agent de la CIA? "Pas un agent, mais un intermédiaire". L'ancien employé d'HSBC nie absolument avoir tenté de vendre ces informations au Liban.
Pire que le blanchiment, le "noirciment" de l'argent
Hervé Falciani est convaincu que le système mis en place par HSBC constitue des faits bien plus graves que la fraude fiscale. "On parle du blanchiment, et le pire c'est le noirciment. Quand vous noircissez, vous exercez votre contrôle de l'argent. Vous pouvez corrompre. Si vous ne contrôlez pas la banque, c'est la banque qui vous contrôle. C'est le pouvoir de l'argent qui corrompt les gouvernants, ceux qui font nos lois".
Hervé Falciani appelle Michel Sapin, le ministre des Finances, à recevoir "les (élus) courageux". "Il a été déclaré que la banque avait changé, c'est absolument faux. Je demande à monsieur Sapin s'il peut m'assurer que demain, les noms qui sont derrière les trusts seront connus, (autrement dit ceux qui sont) derrière les mécanismes qui sont faits pour cacher l'argent des plus riches".
Des banques françaises impliquées, accuse Falciani
L'informaticien affirme que le système de fraude est toujours en place, s'adaptant de mieux en mieux aux contrôles, et que d'autres banques relaient ce système HSBC. "C'est le principe de la banque offshore", ajoute-t-il, affirmant encore que des banques françaises sont impliquées.
"Si on tire les fils vers toutes les sociétés concernées, ça va être un nouveau raz-de-marée". Hervé Falciani promet d'autres révélations de grande ampleur.
Une fois les données de la filiale suisse d'HSBC récupérées, "les premiers avec qui j'essaie d'agir, c'est la brigade de haute délinquance financière (à Nanterre, Ndlr). J'appelle un commissaire. Pendant près de neuf mois, on va me passer de main en main pour finir à la direction nationale des enquêtes fiscales". Hervé Falciani coopère ensuite avec le fisc français, et affirme n'avoir jamais été rémunéré pour cela.
"Des politiques français ont essayé de détruire des preuves"
La presse suisse affirme qu'à travers ces révélations, l'ex-informaticien aurait voulu se venger de son employeur, qui lui aurait refusé une augmentation. "Je vous assure que j'ai toujours crû en termes de salaire. J'ai été promu deux mois avant de quitter HSBC".
Hervé Falciani se sent-il menacé? "Je vous dis qu'il y a des obstructions. Il y a des colonels de gendarmerie qui ont été placardisés, parce qu'ils ont aidé à ce que des enquêtes soit créées ici (en France, Ndlr)". L'ex-informaticien affirme que des responsables politiques français ont tenté de détruire des preuves de la responsabilité de la banque HSBC dans un système de fraude fiscale. Hervé Falciani accuse ainsi Michèle Alliot-Marie lorsqu'elle était ministre de la Justice. "Quand on essaye de détruire des preuves et qu'on est justement un garde des Sceaux, c'est dramatique. En envoyant les originaux (des documents, Ndlr) en Suisse, c'est exactement ce que ça veut dire". En 2008, Eric de Montgolfier a obtenu un listing d'informations sur des milliers de comptes cachés par HSBC. Embarrassée par la liste des noms qu'elle contenait, Michèle Alliot-Marie lui aurait alors demandé de remettre ces fichiers à la Suisse, ce qu'Eric de Montgolfier a refusé. Finalement, une enquête est ouverte à Paris, en 2013.
"La Suisse est le pays avec lequel la France a le mieux collaboré en termes judiciaires", juge Hervé Falciani. "Je vous parlais du fait de noircir l'argent, c'est là le risque pour nos démocraties. Vous ne savez plus qui est payé par qui".
Aujourd'hui, Hervé Falciani se dit "en résistance". "On s'expose, nous (les lanceurs d'alertes, Ndlr). Et on n'a pas les moyens de payer nos avocats, on est avec des avocats de résistance, qui sont là et qui mouillent leur chemise pour l'intérêt général".
Aujourd'hui, l'ancien informaticien est protégé par la France et par l'Espagne. "les principales protections, même pour ma famille, elles ne sont pas françaises. Je ne veux même pas les déclarer (...). Il y a des fonctionnaires qui cherchent à nous aider, qui avaient cherché à sécuriser les habitations où j'allais résider. Et ces gens-là se sont fait placardiser. Des gendarmes courageux, des fonctionnaires anonymes, des directeurs qui ont fait leur travail malgré les pressions. Aujourd'hui je suis au chômage".
Aujourd’hui, l’ancien informaticien de HSBC bénéficie d’une protection policière lors de certains déplacements.
Image: CORENTIN FOHLEN/NYT/Redux/laif
La vraie histoire
L’ancien informaticien de HSBC a commis le plus grand vol de données bancaires de tous les temps. Il a été joueur au casino de Monte-Carlo, grand séducteur, courtisé par les agents secrets, chassé par Interpol. Mais son seul vrai talent, c’est le grand bluff.
Sur la table sont posés cinq disques argentés. Hervé Falciani vient de les sortir de son sac. Dans un petit bistro de l’aéroport de Nice Côte d’Azur, le 26 décembre 2008, le Français apporte avec lui les données secrètes de plus de 100 000 personnes liées à des comptes bancaires suisses – des comptes portant sur un montant total de plus de 100 milliards de dollars. Mais il n’y a pas que ça.
Dans ces quelques millimètres de plastique, se cachent des traces des financiers d’Oussama ben Laden, de marchands d’armes de Panama, de trafiquants de drogue. Mais ces données prouvent surtout comment des milliers d’hommes d’affaires, de sportifs, de politiciens, d’artistes, de top models ou de têtes couronnées ont caché leur argent aux fiscs du monde entier.
A 10 heures du matin, Hervé Falciani donne enfin les précieux DVD à l’agent spécial français Jean-Patrick Martini. Par ce petit geste, il plongera la Suisse et la France dans une grave crise diplomatique; précipitera une des plus grandes banques privées de Suisse vers le gouffre; et des fiscs du monde entier récupéreront un, deux, peut-être trois milliards de dollars.
Aujourd’hui, l’affaire Falciani a pris une telle ampleur que les enquêteurs en France et en Suisse ont déjà produit quelque 23000 pages de rapports d’enquêtes et de procès-verbaux d’audition. Nous avons pu consulter ce fond pour retracer cette incroyable histoire.
Swissleaks est la suite de "Golden Chain"
Plusieurs noms du réseau de la "Chaîne d'Or", suspectés d'avoir financé l'organisation d'Oussama Ben Laden, ont conservé pendant plusieurs années un compte dans l'établissement éclaboussé par le scandale Swissleaks.
Les enquêteurs américains baptiseront ce réseau de financement du terrorisme "Golden Chain" (la Chaîne d’or).
Du 11-Septembre aux révélations du scandale Swissleaks. Six mois après les attentats de New York, les enquêteurs américains travaillent à démanteler le réseau financier d’Oussama ben Laden. En mars 2002, ils lancent un raid au sein de la Fondation internationale de bienfaisance, à Sarajevo. Sur les disques durs saisis, ils découvrent un dossier intitulé "L’histoire d’Oussama". L’un des fichiers numérisés dévoile une liste de vingt noms en arabe, soit les supposés plus grands donateurs d’Al-Qaida. Ils baptiseront ce réseau de financement du terrorisme "Golden Chain" (la Chaîne d’or).
Treize ans plus tard, les journalistes et enqueteurs qui ont eu accès à la liste d'exilés fiscaux de l'informaticien Hervé Falciani, retrouvent les noms de supposés donateurs membres de la "Chaîne d'or". "Ces personnes ont financé Al-Qaida et, ainsi, donné une assise à cette organisation terroriste", commente l’ancien agent de la CIA Michael Scheuer au Monde. Le rapport de la Commission du 11-Septembre, aux Etats-Unis, se réfère également à cette liste. Il évoque un "réseau de soutiens financiers" de Ben Laden.
Derrière cette liste se cachent des grands décideurs des États du Golfe, à l'influence économique et politique très importante. Mais aussi des "cheikhs" et des "princes" qui font la Une des magazines d’affaires et apparaissent dans les fiches en tant que gestionnaires ou propriétaires de grands conglomérats mondiaux.
"La banque n’avait qu’à lire les journaux"
Le quotidien suisse Tages Anzeiger qui a publié l'histoire, considère que HSBC pouvait difficilement ne pas être au courant des liens présumés de ses clients avec le terrorisme, précisant que "la banque n’avait qu’à lire les journaux". En 2003, le nom d'un Saoudien à la tête d'un conglomérat apparaît dans une enquête du Sunday Times consacrée à la "Chaîne d'Or". Un dilemme pour la banque puisque le nom de son client n'apparaît pas sur la liste de l'anti-terrorisme.
Or, il se trouve que les comptes du conglomérat étaient encore actifs en 2006-2007, plus de quatre ans après la découverte de la "Chaîne d'Or" par les autorités américaines. Dans les documents de la banque figure aussi le nom d’un ancien membre du directoire de l’International Islamic Relief Organization, une organisation humanitaire présumée proche d’Al-Qaida, relate Le Monde. Cet homme serait également un des fondateurs de Sana Bell, une fondation américaine soupçonnée de financer le terrorisme. Mais cela n’a pas empêché HSBC de faire affaire avec lui.
Le Tages Anzeiger explique qu'il existe "au moins trois cas où il s'avère que HSBC a poursuivi la relation bancaire avec des clients soupçonnés publiquement d'avoir financé le terrorisme".
Swissleaks : comprendre l'affaire de fraude fiscale chez HSBC en 3 points
Des milliers de clients, plus de 180 milliards d'euros en jeu, des personnalités de premier ordre impliquées. L'affaire Swissleaks révélée dimanche par le journal Le Monde n'a pas fini de faire parler. Dans la plus grande discrétion, 154 journalistes de 47 pays travaillant pour 55 médias ont été mobilisés sur cette enquête. Retour sur les principaux éléments d'une histoire véritablement hors norme.
► Un vaste système d'évasion fiscale
Le Monde a réussi à se procurer les archives numérisées dérobées chez HSBC Private Bank – la filiale suisse de l'établissement britannique – par Hervé Falciani, un ancien employé de la banque. Fin 2008, cet informaticien français avait fourni au fisc français des données volées chez son employeur. Celles-ci concernaient les comptes HSBC de plus de 100.000 clients et de 20.000 sociétés offshore durant la période allant de novembre 2006 à mars 2007. Pour le seul volet français de l'affaire, 3.000 ressortissants hexagonaux sont suspectés d'avoir dissimulé leur argent chez HSBC PB, avec l'aval de la maison mère de l'établissement. Ce seraient ainsi 5,7 milliards d'euros qui auraient été cachés par HSBC PB au profit de ces clients français.
► Comment cela fonctionnait-il ?
Selon Le Monde, des gestionnaires de comptes de la banque démarchaient illicitement les clients potentiels désireux de mieux camoufler leur argent et d'échapper à certains impôts, comme la taxe européenne ESD, instituée en 2005. Pour cela, HSBC PB utilisait le paravent de structures offshore, généralement basées au Panama ou dans les îles Vierges britanniques afin d’éviter certaines taxes européennes. Elles les autorisait aussi à retirer régulièrement des grosses sommes d'argent en liquide, notamment en devises étrangères, dont ils n'avaient pas l'usage en Suisse. "Cette histoire d'HSBC est un héritage de ce qui existait dans la banque privée avant la crise financière, quelque chose dont les gouvernements ne veulent plus aujourd'hui", estime Arun Melmane, analyste chez la banque d'investissement Canaccord Genuity, pour qui le comportement d'HSBC n'était pas fondamentalement différent de celui de ses concurrentes.
Derrière cette liste se cachent des grands décideurs des États du Golfe, à l'influence économique et politique très importante. Mais aussi des "cheikhs" et des "princes" qui font la Une des magazines d’affaires et apparaissent dans les fiches en tant que gestionnaires ou propriétaires de grands conglomérats mondiaux.
"La banque n’avait qu’à lire les journaux"
Le quotidien suisse Tages Anzeiger qui a publié l'histoire, considère que HSBC pouvait difficilement ne pas être au courant des liens présumés de ses clients avec le terrorisme, précisant que "la banque n’avait qu’à lire les journaux". En 2003, le nom d'un Saoudien à la tête d'un conglomérat apparaît dans une enquête du Sunday Times consacrée à la "Chaîne d'Or". Un dilemme pour la banque puisque le nom de son client n'apparaît pas sur la liste de l'anti-terrorisme.
Or, il se trouve que les comptes du conglomérat étaient encore actifs en 2006-2007, plus de quatre ans après la découverte de la "Chaîne d'Or" par les autorités américaines. Dans les documents de la banque figure aussi le nom d’un ancien membre du directoire de l’International Islamic Relief Organization, une organisation humanitaire présumée proche d’Al-Qaida, relate Le Monde. Cet homme serait également un des fondateurs de Sana Bell, une fondation américaine soupçonnée de financer le terrorisme. Mais cela n’a pas empêché HSBC de faire affaire avec lui.
Le Tages Anzeiger explique qu'il existe "au moins trois cas où il s'avère que HSBC a poursuivi la relation bancaire avec des clients soupçonnés publiquement d'avoir financé le terrorisme".
Swissleaks : comprendre l'affaire de fraude fiscale chez HSBC en 3 points
Des milliers de clients, plus de 180 milliards d'euros en jeu, des personnalités de premier ordre impliquées. L'affaire Swissleaks révélée dimanche par le journal Le Monde n'a pas fini de faire parler. Dans la plus grande discrétion, 154 journalistes de 47 pays travaillant pour 55 médias ont été mobilisés sur cette enquête. Retour sur les principaux éléments d'une histoire véritablement hors norme.
► Un vaste système d'évasion fiscale
Le Monde a réussi à se procurer les archives numérisées dérobées chez HSBC Private Bank – la filiale suisse de l'établissement britannique – par Hervé Falciani, un ancien employé de la banque. Fin 2008, cet informaticien français avait fourni au fisc français des données volées chez son employeur. Celles-ci concernaient les comptes HSBC de plus de 100.000 clients et de 20.000 sociétés offshore durant la période allant de novembre 2006 à mars 2007. Pour le seul volet français de l'affaire, 3.000 ressortissants hexagonaux sont suspectés d'avoir dissimulé leur argent chez HSBC PB, avec l'aval de la maison mère de l'établissement. Ce seraient ainsi 5,7 milliards d'euros qui auraient été cachés par HSBC PB au profit de ces clients français.
► Comment cela fonctionnait-il ?
Selon Le Monde, des gestionnaires de comptes de la banque démarchaient illicitement les clients potentiels désireux de mieux camoufler leur argent et d'échapper à certains impôts, comme la taxe européenne ESD, instituée en 2005. Pour cela, HSBC PB utilisait le paravent de structures offshore, généralement basées au Panama ou dans les îles Vierges britanniques afin d’éviter certaines taxes européennes. Elles les autorisait aussi à retirer régulièrement des grosses sommes d'argent en liquide, notamment en devises étrangères, dont ils n'avaient pas l'usage en Suisse. "Cette histoire d'HSBC est un héritage de ce qui existait dans la banque privée avant la crise financière, quelque chose dont les gouvernements ne veulent plus aujourd'hui", estime Arun Melmane, analyste chez la banque d'investissement Canaccord Genuity, pour qui le comportement d'HSBC n'était pas fondamentalement différent de celui de ses concurrentes.
► Qui retrouve-t-on dans les listes de Falciani ?
Outre les nombreuses personnalités citées, des trafiquants d'armes et de stupéfiants mais aussi les financiers d'organisations terroristes apparaissent dans cette affaire. La disparité des profils est d'ailleurs un élément assez frappant. Des chirurgiens français désireux de blanchir des honoraires non déclarés y côtoient des diamantaires belges ou encore des protagonistes de l’affaire Elf. Le Monde explique même que de nombreuses familles juives dont les avoirs avaient été mis en lieu sûr en Suisse au moment de la montée du nazisme en Europe ont été encouragées par la banque à intégrer leur système.