Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 17 février 2015

«Céder aux groupes extrémistes revient à acheter un aller simple pour la catastrophe»


Le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme Zeid Ra'ad Al Hussein a exhorté mardi les Libyens à s'unir contre les extrémistes. Il a aussi invité l'Egypte à prendre des précautions dans sa riposte, après la décapitation de 20 coptes égyptiens.

Le Haut-Commissaire a déclaré que la décapitation en masse de 20 chrétiens coptes égyptiens et d'un autre homme apparemment chrétien en Libye était un «crime ignoble prenant pour cible des personnes sur la base de leur religion».

«Le meurtre brutal de ces hommes et l'épouvantable tentative pour le justifier et le glorifier dans une vidéo devraient être fermement condamnés par tous, et en particulier par le peuple libyen qui devrait résister aux exhortations des groupes takfiris», a affirmé le Haut-Commissaire.

L'assassinat de prisonniers ou d'otages est interdit par le droit international et la loi islamique, a-t-il rappelé.

Zeid Ra'ad Al Hussein a indiqué que, dans le cadre de leur réponse, les forces aériennes égyptiennes devaient s'assurer du respect plein et entier des principes de distinction entre civils et combattants, et entre objets civils et objectifs militaires.

Aller simple pour la catastrophe

Le Haut-Commissaire a appelé toutes les parties en présence en Libye à œuvrer en faveur du dialogue afin de mettre un terme au conflit actuel, et en particulier à s'associer aux efforts entrepris par le représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU, Bernardino León, pour faire avancer le processus politique.

«C'est la seule solution. Rejoindre des groupes qui glorifient les effusions de sang, suivre leur exemple ou leur céder revient à acheter un aller simple pour la catastrophe», a dit le prince Zeid. «Adopter le comportement extrémiste takfiri ne fera qu'ajouter des souffrances dans un pays déjà en peine, comme nous avons pu clairement le constater en Syrie et en Irak», a-t-il ajouté.

Opposants enlevés

Samedi, le personnel de l'ONU a reçu des informations selon lesquelles le directeur d'un groupe de défense des droits de l'homme, «the National Commission for Human Rights», le docteur Hadi Ben Taleb, et l'un des membres de son conseil, Ahmed Osta, ont été enlevés par le groupe armé al-Sa'dawi dans le quartier d'Ain Zara à Tripoli.

Depuis, leurs proches et leurs collègues n«ont reçu aucune information sur leur sort ou leur localisation. Le Haut-Commissaire a demandé la libération des deux hommes.

Le martyre des coptes d'Égypte

Après l'assassinat de 21 coptes égyptiens par l'État islamique, le président de l'Organisation franco-égyptienne pour les droits de l'homme décrypte la situation des chrétiens d'Égypte.

Issu d'une famille copte égyptienne et ingénieur de formation, Jean Maher est président de l'Organisation franco-égyptienne pour les droits de l'homme (OFEDH) et cofondateur et secrétaire général de la Coordination chrétiens d'Orient en danger (CHREDO). Il est également représentant en France de plusieurs associations culturelles coptes.

Ce dimanche, l'État islamique a diffusé une vidéo qui revendique la décapitation de 21 coptes égyptiens enlevés en Libye. Dans cette vidéo intitulée «Un message signé avec le sang à la nation de la Croix», un bandeau explique que les djihadistes s'adressent au «Peuple de la Croix fidèles à l'Église égyptienne ennemie».

Quelle est l'histoire des chrétiens d'Égypte?

Le christianisme a été introduit très tôt en Égypte, en 60 après Jésus-Christ par Marc, l'un des quatre rédacteurs des Évangiles. Il est considéré comme le premier pape dans une succession ininterrompue de papes ou patriarches d'Alexandrie. (Actuellement, Tawadros II est le 118e et a remplacé Chenouda III décédé en 2012 après 40 ans de siège). L'acceptation de la nouvelle de l'Évangile a été rapide, facilitée par des croyances pharaoniques identiques telles que la résurrection, la vie éternelle, et l'équivalence entre femmes et hommes.

Aux premiers siècles, l'Église d'Égypte très influente, fut l'une des cinq Églises, avec Alexandrie, Antioche (Syrie), Constantinople (Turquie), Jérusalem et Rome à avoir établi les fondements de la doctrine chrétienne. La confession de foi, dite d'Athanase le 20e patriarche d'Alexandrie, est encore utilisée aujourd'hui par toutes les confessions catholique, orthodoxe et protestante. Le monachisme et les règles des moines ont été institués en Égypte.

Au VIIe siècle, à l'arrivée des Arabes, l'Égypte était entièrement chrétienne. Ceux-ci ont appelé ses habitants les «Coptes», dérivé de Keck-Ptah le nom pharaonique du pays. Depuis l'introduction de l'islam et le remplacement progressif de la langue copte, dernière version de la langue pharaonique, par la langue arabe, les chrétiens ont traversé des traitements divers sous les règnes de califes, soit en citoyens à part entière, soit en citoyens de deuxième classe durant des périodes de persécution. Les 150 ans du règne du calife Mohammed Ali en 1800, jusqu'à l'arrivée de Nasser en 1952, furent la période la plus rayonnante.

À partir des régimes de Nasser puis Sadate, les coptes ont perdu leurs statuts, et ont été progressivement écartés des fonctions stratégiques de l'État. Durant trente ans sous le régime Moubarak, la société a été lâchée entre les griffes des intégristes islamistes, l'influence de la confrérie de Frères Musulmans et d'un nouveau courant salafiste qui prônent le retour du califat islamique et l'application de la charia. Toutes les institutions, éducation, justice, police, armée, etc. ont été infiltrées par un enseignement de haine accompagné d'un discours religieux fanatique. La différenciation communautaire entre musulmans et chrétiens s'est accrue, et les coptes, marginalisés, sont presque exclus d'une participation citoyenne dans l'État. La fin du règne Moubarak s'est soldée par une division sociétaire entre chrétiens et musulmans, avec des institutions infestées d'idéologie fanatique. 

Quelle est la situation des coptes depuis la révolution égyptienne de 2011?

Cette révolution du 25 janvier 2011, soulevée par les jeunes réclamant liberté et égalité, devait mettre fin à cet état de fanatisme. Mais, avec la bénédiction de l'administration américaine qui a préféré faire alliance avec les islamistes, le pays est tombé entre les mains de la Confrérie des Frères. Durant un an de règne (2012-2013) de l'islamiste Mohammed Morsi, toutes les prémices d'un génocide à l'arménienne pour les coptes étaient là: radicalisation des discours dans les mosquées, incendie d'églises, déportation forcée de villages, destruction de commerces, kidnapping des filles mineures avec conversion et mariage forcés, humiliation de l'image symbolique du pape, appels à quitter le pays. La deuxième révolution du 30 juin 2013 avec plus de 20 millions d'Égyptiens dans les rues pour réclamer le départ de Morsi et sa confrérie, a mis fin à cet état chaotique. Musulmans et chrétiens se sont unis contre l'idéologie extrémiste fanatique et violente de la Confrérie et des salafistes. Le grand imam Ahmed el-Tayeb de la Mosquée d'al-Azhar, et le patriarche Tawadros II se retrouvent ainsi côte à côte dans différentes démarches communes. 

Le président Sissi a pris la défense des chrétiens d'Égypte contre le fanatisme insoutenable des Frères musulmans et leurs alliés terroristes. Par un geste historique, symbolique et courageux, il aura été le premier dirigeant musulman dans l'histoire égyptienne à venir à la messe de minuit du Noël oriental du 6 janvier pour féliciter les coptes et leur apporter un message de paix et d'union nationale. Sa demande récente aux imams et experts d'al-Azhar, à revoir le discours religieux, à épurer les idéologies de violence, et à concevoir une révolution religieuse, est un appel inédit. Il devrait recevoir le soutien mondial à la fois moral et matériel pour atteindre ces objectifs si ambitieux. Sa fermeté et sa prise de position suite aux décapitations des 21 coptes en Libye est fortement saluée. Sa résistance devrait être perçue comme un solide rempart contre l'extrémisme religieux qui se répand dans la région, et dans l'Occident qui ne saurait être épargné. 

L'Église d'Égypte a-t-elle mené des actions particulières contre Daech?

L'Église d'Égypte n'a ni la capacité ni le pouvoir de mener des actions particulières en dehors des prières, d'appels au calme pour les jeunes qui seraient en colère contre les persécutions et l'injustice, et d'initiatives auprès les dirigeants du régime au pouvoir pour intervenir. Contrairement aux chrétiens du Liban, il n'y a pas de chrétiens armés ni de milices. Depuis les premiers siècles, elle est appelée «L'Église des Martyrs» suite aux persécutions diverses. Son rôle reste spirituel sans s'isoler du contact avec les hommes politiques du pouvoir.

L'État islamique a indiqué avoir agi notamment en réponse à un incident survenu il y a quelques années: l'enlèvement par l'Église d'Égypte de deux chrétiennes coptes qui auraient voulu se convertir à l'islam. Cette affaire n'a de cesse d'attiser les tensions et dans la vidéo de ce week-end, les djihadistes ont déclaré que leur incursion dans le Sinaï leur permettra «la mise en œuvre facile des attaques de représailles contre les chrétiens en Égypte». Ces positions révèlent-elles une véritable volonté d'anéantir les coptes ou tiennent-elles plus d'un prétexte pour s'attaquer à l'Égypte et déstabiliser la région?

Il s'agit de l'un des «montages» habituels des islamistes: 

- une bagarre entre un chrétien et un musulman pour qu'elle se solde par la demande de départ de tous les chrétiens du village.

- une femme qui, selon eux, s'est convertie à l'islam mais en a été empêchée par l'Église, dans le but d'humilier les chrétiens et l'image du Pape et en réalité pour faire silence sur les milliers de filles mineures chrétiennes enlevées, converties mariées de force, puis interdites de tout contact avec leur famille.

- une histoire d'amour entre un garçon copte et une musulmane qui n'est pas autorisée, (l'inverse, un garçon musulman et une fille chrétienne n'est pas interdit et plutôt encouragé) se solde par le massacre de la famille entière.

D'ailleurs, l'une des deux femmes en question, Kamelia Shehata, est apparue à la télévision, en annonçant qu'elle avait quitté sa maison suite à une mésentente avec son mari mais qu'ils s'étaient réconciliés et qu'elle était retournée chez elle. Elle a ajouté qu'elle était chrétienne et ne connaissait rien de l'islam. Mais des islamistes continuent leur version, réclamant le retour de leur sœur convertie Kamelia, enlevée et torturée par l'Église....

Ces positions sont à la fois l'expression d'une menace permanente pour les coptes, et le prétexte pour maintenir la division communautaire pour la déstabilisation du pouvoir.

Les djihadistes utilisent le qualificatif de «croisés» pour désigner leurs victimes coptes. Peut-on y voir le signe d'une «nouvelle croisade»?

Il s'agit d'un terme «péjoratif» qui cache plusieurs significations concernant les chrétiens: 

1 Identification: ils ne sont pas les habitants d'origine du pays mais sont les héritiers des «croisades», donc d'une importation occidentale.

2 Kafara: des adeptes de la «croix» alors que, pour eux, Jésus n'a pas été crucifié, donc ce sont des impies et infidèles (Kafara, pluriel de Kafer).

3 Humiliation: chrétien en arabe se dit «Masihi» en terme respectueux. Les islamistes utilisent «croisé lié à la croix et aux croisades» ou «Nasara» avec le noun de Daech en Irak en termes d'humiliation.

Il ne s'agit donc pas d'une nouvelle croisade mais des attributs donnés aux chrétiens pour justifier le djihad contre ces infidèles.

Abdel Fattah al-Sissi appelle les Européens à finir leur mission en Libye

L'Égypte a renouvelé son souhait de voir une coalition internationale, chapeautée par l'ONU, rétablir les institutions légitimes du pays, en proie au chaos.

«La mission [en Libye] n'a pas été achevée par les Européens. Nous avons abandonné le peuple libyen prisonnier des milices extrémistes.» Mardi matin, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a laissé ses habits civils de président pour reprendre sa casquette de militaire. 

Interrogé sur la radio Europe 1, au lendemain du massacre de 21 de ses ressortissants coptes par les terroristes de l'État islamique en Libye, l'Égypte a frappé la ville de Derna, l'un des centres du terrorisme libyen et international. Une réaction forte qualifiée de «forme d'autodéfense […] face à un crime terroriste monstrueux». «Que nos enfants soient égorgés en Libye et ne pas agir: non!» 

Pour l'avenir, le maréchal-président juge qu'une telle réponse sera sans doute à nouveau nécessaire, mais «ensemble, pour arrêter l'extrémisme et le terrorisme en Libye». «Je ne parle pas seulement d'une confrontation sécuritaire ou militaire mais d'une confrontation globale, intellectuelle, éducative, économique, culturelle et politique.» Le raïs se pose en rempart contre le terrorisme, lui qui lutte d'une main de fer dans son pays contre les Frères musulmans. Des experts estiment que ce positionnement fort sur son voisin libyen est une manière paraitre incontournable et d'asseoir sa légitimité internationale. 

Deux coalitions face à face

La confrontation face au terrorisme passera bien par une intervention armée, selon politologue et spécialiste du monde arabe, Riadh Sidaoui. Ce dernier explique que «les deux coalitions objectives qui se partagent actuellement la Libye se sont consolidées depuis quelques mois». L'une est formée par les islamistes et les Frères musulmans, elle est soutenue par le Qatar et la Turquie. 

L'autre est menée par le général Khalifa Haftar, kadhafiste de la première heure, parti vivre aux États-Unis, revenu en 2011 dans son pays. Ce dernier a promis de défendre le gouvernement libyen, reconnu par la communauté internationale mais exilé dans l'Est du pays sans pouvoir réel. Le général a reçu l'aide des Émirats arabes unis, de l'Arabie saoudite et de… l'Égypte. «Le problème avec Haftar, c'est qu'il n'y a pas un grand enthousiasme dans les pays occidentaux pour le voir gagner, car il n'a aucune objectivité électorale,» explique Riadh Sidaoui. Certains le considèrent comme un électron libre.

Les voisins de la Libye s'inquiètent

Les négociations entre les deux parties, menées sous l'égide de l'ONU, n'ont pour l'instant pas donné grand chose. La situation est pourtant grave selon le chercheur, qui explique que «les voisins de la Libye se sentent directement menacés par le développement du terrorisme. La Tunisie, l'Algérie, le Tchad et l'Égypte ont considérablement militarisé leurs frontières depuis quelques temps». Lui préconise une campagne de frappes aériennes suivie d'un déploiement de troupes de casques bleus au sol, le temps que la démocratie libyenne se mette en place.

Le président Sissi appelle à désarmer les milices qui veulent entrer dans des négociations politiques, et au contraire, à lever l'embargo sur les armes imposé au gouvernement légitime. Il a réitéré son souhait de voir une résolution être adoptée à l'ONU pour intervenir dans la légalité. La veille, après une conversation téléphonique avec François Hollande, les deux présidents avaient déjà sollicité les Nations-Unies. Le Conseil de sécurité s'était contenté de condamner le meurtre des coptes, qualifié d'acte «lâche et odieux».

Julien Licourt