Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mercredi 28 janvier 2015

Qui a empoisonné Alexandre Litvinenko?


La Grande-Bretagne a officiellement ouvert une enquête publique sur les circonstances du décès de l'opposant russe, victime d'un empoisonnement au polonium il y a neuf ans. A l'époque, il avait ouvertement accusé le pouvoir de Vladimir Poutine d'être responsable.

Empoisonnement au polonium-210

La mort d'Alexandre Litvinenko, ex-agent du FSB, un service secret russe, est digne d'un roman d'espionnage. Le 1er novembre 2006, l'homme a rendez-vous avec deux anciens agents russes dans un hôtel de Londres. Il s'agit d'Andreï Lougovoï, aujourd'hui député, et de Dmitri Kovtoun, un homme d'affaires, avec lesquels il prend le thé.

Andreï Lougovoï (droite) et Dmitri Kovtoun 
"L'empoisonnement de Litvinenko n'a pu se faire hors du contrôle des services spéciaux britanniques",
 a affirmé M. Lougovoï. "Si ce ne sont pas les services spéciaux (qui l'ont tué), 
alors cela s'est fait sous leur contrôle ou avec leur complaisance"


Le soir même, Alexandre Litvinenko, qui avait reçu l'asile politique en Grande-Bretagne en 2001, commence à se sentir mal. Après trois semaines d'agonie, il succombera à ce qui va se révéler être un empoisonnement au polonium-210, une substance radioactive extrêmement toxique retrouvée dans sa tasse de thé.

Des questions "d'une extrême gravité"

Dans une lettre rédigée sur son lit de mort, il avait accusé le président Vladimir Poutine d'avoir commandité son meurtre, une accusation que le Kremlin a toujours niée.  "Vous pouvez réussir à faire taire un homme mais le grondement des protestations du monde entier retentiront dans vos oreilles pendant le reste de votre vie, Vladimir Poutine", avait-il notamment dicté.

Aujourd'hui, la justice britannique estime disposer de suffisamment d'éléments à charge à l'encontre des deux anciens agents des services secrets russes. "Les questions qui ont été soulevées par la mort de Litvinenko sont de la plus haute importance et ont suscité un intérêt et une inquiétude à l'échelle de la planète", a déclaré Robert Owen, magistrat et médecin légiste qui préside cette enquête, devant la Haute Cour de Londres. Jugeant que ces "questions sont d'une extrême gravité", et qualifiant sa mort d'"attaque nucléaire miniature dans les rues de Londres".

Examen de documents confidentiels

Le magistrat a par ailleurs "valider" la thèse de l'implication de l'Etat russe dans cet assassinat sur la base de documents confidentiels. Jusqu'alors les autorités britanniques les avaient rejetés mettant en avant ses relations avec la Russie. Londres avait fait volte-face l'été dernier après l'intervention de Moscou dans la crise ukrainienne.

Au cour des deux prochains mois, la plupart des audiences se dérouleront à huis clos pour permettre le témoignage de membres des services secrets et l'examen de documents classés confidentiels. De son côté, la veuve d'Alexandre Litvinenko a confié que "l'important est que les preuves rassemblées par la police vont être présentées et que tout le monde pourra les voir". "C'est la dernières chose que je peux faire pour lui. Je dois défendre son nom et sa mémoire."

Lougovoï met en cause les services britanniques

"Une vraie guerre, je précise contre la Russie et contre moi-même, a été déclenchée", a déclaré l'ancien membre du 9e bureau du KGB (spécialisé dans la protection des apparatchiks), aujourd'hui reconverti dans les affaires, dans une conférence de presse.

"L'empoisonnement de Litvinenko n'a pu se faire hors du contrôle des services spéciaux britanniques", a affirmé M. Lougovoï. "Si ce ne sont pas les services spéciaux (qui l'ont tué), alors cela s'est fait sous leur contrôle ou avec leur complaisance", a-t-il martelé.

Interrogé sur l'existence de preuves en sa possession sur l'implication "directe" des services britanniques, il a répondu : "oui, il y en a", indiquant qu'il avait contacté les services secrets russes et était désormais tenu par le secret.

A Londres, le Foreign Office a refusé de commenter les accusations de M. Lougovoï, se bornant à souligner que l'affaire Litvinenko était une "affaire criminelle", et pas "un problème d'espionnage".

Selon Andreï Lougovoï, Litvinenko, un ancien agent du FSB (issu de l'ex-KGB) passé dans l'opposition au Kremlin et réfugié à Londres, travaillait pour le MI-6.

"De son aveu même, Sacha (Alexandre Litvinenko) a été engagé et après, sur le conseil de Berezovski, il a transmis des documents du Conseil de sécurité (russe) et est aussi devenu un agent du MI-6", les services secrets britanniques.

"On a commencé à vouloir m'engager de façon ouverte en qualité d'agent du renseignement britannique. Les Anglais m'ont proposé de commencer à rassembler des documents compromettants sur le président Poutine et des membres de sa famille", a-t-il encore affirmé.

Selon Lougovoï, les Britanniques voulaient lui donner un "téléphone portable anglais" et un livre pour la codification des messages à transmettre.

Interrogé sur les commanditaires possibles de la mort au polonium 210 de Litvinenko, il a avancé "trois versions": les services britanniques, Boris Berezovski, éminence grise du Kremlin sous Boris Eltsine, et la "mafia russe".

Evoquant la "piste" Berezovski, il a affirmé que M. Litvinenko disposait de "documents compromettants" sur les "activités illégales" de l'homme d'affaires et voulait le faire chanter après que ce dernier "a divisé par trois" le "salaire" qu'il lui versait.

M. Lougovoï réfute depuis toute culpabilité bien qu'il ait laissé derrière lui des traces de polonium dans plusieurs lieux à Londres et dans un avion qu'il avait pris. Il affirmé jeudi qu'on lui "avait mis du polonium afin de s'en servir après dans un scandale politique".