Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 30 janvier 2015

Le nouveau roi Salman d’Arabie saoudite était un soutien important d’al-Qaïda


Le nouveau roi d’Arabie Saoudite, Salman bin Abdulaziz al Saud, demi-frère du Roi Abdallah qui vient de décéder à 90 ans des suites d’une pneumonie, devrait selon toute vraisemblance régner en suivant une orientation religieuse encore plus versée dans le Wahabisme, et en s’efforçant de limiter l’effet des quelques timides réformes initiées par l’ex-roi Abdallah. On peut également s’attendre à ce que Salman consacre son énergie à améliorer la sécurité nationale de son pays. L’engagement de Salman vis-à-vis de la sécurité saoudienne est pour le moins hypocrite, vu le soutien qu’il a apporté à al-Qaïda, y compris à certains individus impliqués [officiellement – NdT] dans les attentats du 11-Septembre aux Etats-Unis. Et c’est justement l’implication de Salman dans le financement du 11/9 et d’autres [actes] terroristes qui devrait renforcer le président Obama dans son refus de déclassifier les 28 pages censurées du rapport du Comité du Renseignement du Sénat publié en 2002 au sujet des failles des services de renseignement autour de ces attentats.

En tant que gouverneur de Riyad à l’époque, il est très probable que le nom de Salman apparait comme l’un des « gros poissons » dans ces 28 pages censurées du rapport. En apparence, Salman ne devrait pas gouverner très différemment de son prédécesseur en matière de politique du pétrole et de sécurité nationale. Salman sera assisté de son fils, le Prince Mohammed Bin Salman, ministre de la Défense, et chef du Tribunal royal. Mohammed était le conseiller en chef (Chief adviser) de son père lorsque celui-ci occupait le poste de gouverneur de la province de Riyad. Le Prince Mohammed vient tout juste de passer ministre de la Défense, maintenant que son père occupe le trône après le décès d’Abdallah.

L’autre conseiller en chef de Salman s’appelle Mohammed bin Nayef [al-Shalaan], et est ministre de l’intérieur depuis 2012, vice-prince héritier, et vice-premier ministre en second. Nayef, neveu du Roi Salman, est le deuxième de la lignée d’accès au trône après le Prince héritier Muqrin bin Abdulaziz al Saud. Muqrin a été le chef de la Saudi Mukhabarat al-A’amah, le service de renseignement saoudien, de 2005 à 2012.

En 2006, les chefs de l’opposition démocratique saoudienne en Grande-Bretagne ont dénoncé le gouverneur de Riyad de l’époque, à savoir Salman, en l’accusant de fournir du matériel et de l’assistance aux réseaux d’al-Qaïda opérant en Afghanistan, et ce, avant et après le 11-Septembre. Ces chefs de l’opposition ont révélé que les membres d’al-Qaïda se rendaient fréquemment à Riyad en route vers le Pakistan et ensuite les régions de l’Afghanistan contrôlées par les Talibans. Ces informateurs saoudiens ont aussi révélé que le bureau du gouverneur Salman payait en cash les hôtels et les trajets de ces membres d’al-Qaïda.

Il ne fait aucun doute que les activités de Salman en lien avec al-Qaïda étaient connues de la CIA, laquelle a donné son accord à l’envoi par l’Arabie Saoudite de combattants arabes pour aider les troupes de Moudjahidins depuis les tout premiers jours de l’engagement de l’Agence aux côtés des djihadistes dans le but de renverser le gouvernement socialiste historique en Afghanistan.

Peu de temps avant son mystérieux décès en Écosse en 2005, l’ex-ministre britannique des Affaires étrangères, Robin Cook, avait écrit dans The Guardian qu’al-Qaïda était une base de données de la CIA contenant les noms de mercenaires, de financiers et d’interlocuteurs de la CIA, qui tous combattaient les Soviétiques en Afghanistan : « Dans les années 1980, [Oussama Ben Laden] était armé et financé par les Saoudiens pour déchainer le djihad contre l’occupation russe en Afghanistan. Al-Qaïda [sic], littéralement "la base de données", était initialement le nom du fichier informatique contenant les noms des milliers de Moudjahidins recrutés et entrainés avec l’aide de la CIA pour aller se battre contre les Russes. »

D’après le témoignage des opposants saoudiens et l’article de Robin Cook, il est inconcevable que Salman n’ait pas été au courant des activités de sa propre équipe au bureau du gouverneur de Riyad.

Après qu’un prince saoudien et proche parent du conseiller en chef du Roi Salman, le Prince Mohammed Bin Nayef, aussi appelé simplement "Nayef", eut été arrêté en France pour trafic de cocaïne en 1999, le ministre saoudien de l’Intérieur informa Paris en 2000 que si la France inculpait le jeune prince Nayef, un contrat lucratif de 7 milliards de dollars pour des radars militaires, connu sous le nom de Projet SBGDP ("Garde Frontière") avec la société française Thales, serait annulé.

Les détails de cette affaire sont apparus dans un câble confidentiel de la diplomatie française en date du 21 février 2000. Le sujet de ce câble était une rencontre entre des officiels français et le ministre saoudien de l’Intérieur d’alors, le Prince Nayef Ibn Abdel Aziz, dans l’affaire d’un avion saoudien suspecté d’être utilisé pour le trafic de drogue (« Prince Nayef, ministre saoudien de l’intérieur. L’affaire de l’avion saoudien soupçonné d’avoir servi pour un trafic de stupefiants. »).

Ce câble a été envoyé par le conseiller technique du ministre français de l’Intérieur François Gouyette au ministre français de la Justice et à l’ambassadeur de France à Riyad. Gouyette est passé ambassadeur de France auprès des Emirats arabes unis en 2001.

Le trafic de cocaïne organisé par Nayef servait, selon un document confidentiel de la DEA américaine (Drug Enforcement Administration), à financer al-Qaïda en Afghanistan. L’argent liquide versé aux recrues terroristes passant par Riyad était collecté par le ministre de l’Intérieur à travers des coffres rassemblant les profits du trafic de drogue et hébergés dans des comptes bancaires secrets. La CIA était au courant et encourageait le paiement des combattants d’al-Qaïda hors de toute comptabilité officielle, exactement comme cela se produit aujourd’hui avec les recrues d’al-Qaïda provenant du vidage des prisons saoudiennes et qui sont payées par des interlocuteurs du gouvernement saoudien.

En 1999, la DEA a déjoué un important complot impliquant le Prince Nayef dans un trafic de cocaïne colombienne provenant du Vénézuéla et dont les profits étaient destinés à financer quelque « futur projet » lié à une prophétie du Coran. Cette opération de la DEA est détaillée dans un mémorandum du 26 juin 2000 intitulé « Declassification of a Secret DEA 6 Paris Country Office ». En juin 1999, ce sont 808 kg de cocaïne qui ont été saisis à Paris. Au même moment, la DEA était en train de mener une vaste enquête sur le Cartel de la drogue de Medellín, dans une opération dénommée "Millenium".

Grâce à un fax intercepté, le Bureau de Bogota de la DEA a appris la saisie de cocaïne à Paris, et a fait le lien avec le trafic de drogue des Saoudiens. L’enquête de la DEA était centrée sur le prince saoudien Nayef al Saud, dont le surnom était « El Principe » (Le Prince). Le nom complet de Nayef est Nayef (ou Nayif) "bin Fawwaz al-Shaalan al-Saud".

Pour son trafic de drogue international, Nayef utilisait son Boeing 727 personnel et son statut diplomatique pour éviter les contrôles à la frontière. Le rapport de la DEA établit que Nayef a étudié à l’Université de Miami en Floride, possède une banque en Suisse, parle huit langues, est très engagé dans l’industrie du pétrole au Vénézuéla, se rend régulièrement aux Etats-Unis, et se déplace toujours avec plusieurs millions de dollars en liquide. Nayef a aussi beaucoup investi dans l’industrie pétrolière en Colombie.

Certains rapports établissent également que Nayef aurait rencontré des membres du Cartel de la drogue [de Medellín] à Marbella en Espagne, où la famille royale saoudienne possède un immense palais résidentiel. Ce rapport explique que lorsque des membres du cartel sont venus à Riyad pour rencontrer le Prince, « ils furent embarqués à bord d’une Rolls Royce appartenant à Nayef, et conduits à l’hôtel Holiday Inn de Riyad. Le lendemain, ils rencontrèrent Nayef et son frère… Le jour d’après, tous se rendirent dans le désert en 4×4 (hummers), et durant ce voyage ils discutèrent du trafic de drogue. L’informateur de la DEA [que nous nommerons X] et Nayef se mirent d’accord pour une première expédition de 2000 kg de cocaïne, qui serait livrés à Caracas (Vénézuéla) par les hommes de X, et d’où Nayef prendrait le relais pour assurer le transport de la cocaïne vers Paris. Nayef expliqua à X qu’il utiliserait son Boeing 727 pour transférer la drogue, sous couverture diplomatique. »

Nayef expliqua à X qu’il pouvait transporter jusqu’à 20 tonnes de cocaïne dans ce Boeing, et proposa à X de futures expéditions d’entre 10 et 20 tonnes chacune. X se demanda pourquoi Nayef, censé être un fervent musulman, se mouillait dans le trafic de drogue. La réponse de Nayef est digne d’intérêt, surtout quand on connait l’implication des Saoudiens dans le financement du terrorisme. Lors de la réunion à Riyad, Nayef répondit à la question de X en expliquant qu’il « suivait le coran de façon très stricte[sic]. » X raconta que « Nayef ne boit pas, ne fume pas, et ne viole aucun enseignement du Coran[sic]. » A la question de X sur les raisons qui poussaient Nayef à vendre de la cocaïne, ce dernier répondit que le monde était déjà en train de sombrer, et que c’est Allah qui l’avait autorisé à vendre de la drogue. Nayef expliqua alors que X apprendrait plus tard les véritables motivations de Nayef pour vendre de la drogue, mais il ne fit pas d’autre commentaire. Le trafic de drogue du prince saoudien fut démantelé par la DEA et la police française en octobre 1999.

L’argent de la drogue pour financer les réseaux terroristes d’al-Qaïda en Afghanistan et au Pakistan, une interprétation stricte du Koran dans le futur gouvernement d’Arabie Saoudite, le retour à la très redoutée police religieuse, la « mutaween », et la répression contre les opposants légitimes et les dissidents internes en  Arabie Saoudite : voilà l’héritage que la gouvernance du Roi Salman lègue à l’Arabie Saoudite.

Wayne Madsen

Wayne Madsen est un ancien contractant de la National Security Agency (NSA), devenu journaliste spécialisé sur le renseignement électronique, puis sur le renseignement en général. Il a notamment été chef de la rubrique de la revue française Intelligence Online jusqu’à son rachat par Le Monde. Il publie le Wayne Madsen Report et intervient régulièrement sur la chaîne satellitaire Russia Today et sur Press TV.