Le royaume vient de construire un vaste mur sur sa frontière irakienne, tout en renforçant au sud sa clôture avec le Yémen. Le pays est confronté à la fois aux menaces islamistes et au retour en grâce de l’Iran. Panorama des enjeux.
Neuf cents kilomètres: c’est la longueur du mur «anti-djihadistes» que l’Arabie saoudite vient d’achever sur sa frontière irakienne. Une barrière de séparation ultra-high-tech, ne lésinant pas sur les caméras de surveillance ni sur les radars, qui se comptent par dizaines le long de cette clôture comprenant cinq épaisseurs. Huit ans de travaux auront été nécessaires à sa construction. Et quelque 30′000 soldats de la garde nationale ont encore été dépêchés le long de cette frontière sensible depuis l’avancée de l’organisation Etat islamique (EI) et l’hostilité des milices chiites irakiennes.
Sur sa frontière sud — les 1800 kilomètres qu’il partage avec le Yémen —, le royaume wahhabite subit également une double menace, islamiste d’une part, chiite de l’autre, dont les rebelles houthistes qui ont récemment pris la capitale yéménite, Sanaa. Comme au nord, les autorités saoudiennes érigent une barrière, de trois mètres de hauteur et équipée de détecteurs électroniques.
Fin de l’idée d’unité arabe
Pour construire son système de surveillance sur l’ensemble de ses frontières, soit pas moins de 9000 kilomètres, l’Arabie saoudite a mandaté en 2009 la compagnie européenne EADS. Coût de l’opération, qui a pris du retard: 3 milliards de dollars. Au programme: assistance par satellite, généralisation des caméras et capteurs électroniques, centres de détection sur les côtes et avions de reconnaissance. Le royaume, qui se sent assiégé de toute part, espère ralentir incursions et attaques grâce à ces systèmes de sécurité ultrasophistiqués.
«Ces murs sont d’abord symboliques, analyse Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève. Ils constituent un véritable camouflet pour l’idée d’unité arabe! Ce verrouillage révèle aussi que l’Arabie saoudite se trouve aujourd’hui dans une impasse et qu’elle s’est résolue à fermer les portes. Mais l’histoire a montré que les barrières ne suffisent généralement pas à sécuriser un pays…»
Pour le politologue, les risques ne sont pas d’ordre interne: «Le temps des révolutions de palais est révolu. Lorsque le roi Fahd est mort, son frère Abdallah a pris la succession. Lui-même est vieux et malade, mais il n’y a pas de remise en question.» Par ailleurs, les deux forces de contestations principales, chiites et islamistes, ne sont pas de nature à renverser le régime et son puissant appareil militaire. Dans le royaume, le «pic» des attentats d’Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA) remonte à 2006. Quant aux chiites, ils savent que toute révolte interne serait vouée à l’échec.
Honnie par l’Etat islamique et l’Iran
A l’extérieur, cependant, deux tournants majeurs inquiètent au plus haut point l’Arabie saoudite. D’habitude plutôt discret sur les groupes radicaux islamistes, l’establishment religieux saoudien s’est d’abord clairement exprimé sur l’Etat islamique, contre lequel il a lancé une fatwa. Le grand mufti d’Arabie saoudite, Abdel Aziz Al-Cheikh, a ainsi qualifié les djihadistes de l’EI d’«ennemis numéro un de l’islam».
Une position tranchée qui s’explique notamment par la présence massive au sein de l’organisation Etat islamique de Saoudiens – au moins un millier – dont le royaume craint le retour au pays, mais aussi par les avancées éclair de ses combattants. Le royaume a d’ailleurs accepté de rejoindre la coalition militaire antidjihadistes.
Une autre menace gronde: le retour en grâce de l’Iran, l’autre géant de la région, à la faveur de la politique de détente et de dialogue menée par Barack Obama vis-à-vis de son homologue Hassan Rohani. Si les récentes négociations nucléaires à Vienne ont échoué, le pays est devenu un interlocuteur incontournable dans la résolution des conflits irakien et syrien, dont les régimes sont sous forte influence de Téhéran. Son pouvoir de négociation s’est ainsi accru.
Pour l’Arabie saoudite, le scénario catastrophe reste l’acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran, qui remettrait en cause son propre rôle de «gendarme du Golfe». Sans progrès dans les négociations, le royaume n’a d’ailleurs pas caché son intention de se lancer lui aussi dans la recherche de l’arme atomique. C’est dans ce cadre de fortes tensions qu’il faut interpréter un précédent historique: le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Saoud Al-Fayçal, a pour la première fois été associé aux discussions sur le nucléaire iranien.
Honnie à la fois par l’Etat islamique et l’Iran, l’Arabie saoudite voit ces deux entités monter en puissance à ses frontières: de quoi hanter le dépositaire des lieux saints de l’islam… et l’inciter à ériger des murs de plus en plus élevés.
«Réformettes» à l’interne
Ce climat international délétère n’empêche cependant pas l’apparition de certaines évolutions dans le royaume ultraconservateur. En 2011, le roi Abdallah a ainsi annoncé que les femmes seraient autorisées à voter aux élections municipales en 2015. Deux ans plus tôt, le royaume avait inauguré au nord de Djeddah son premier établissement universitaire mixte, l’Université des sciences et technologies du roi Abdallah, d’ailleurs partenaire de l’EPFL.
«Le roi tente d’introduire des réformes à dose homéopathique pour ne pas se faire critiquer par l’establishment religieux, souligne Hasni Abidi. Mais l’Arabie saoudite est un pays énorme. Le droit des femmes commence par celui de conduire et de se déplacer seules. Sinon, elles resteront sous contrôle lorsqu’elles iront voter.»
Pour le spécialiste, la consolidation des réformes ne sera possible que si le troisième pôle du pouvoir, constitué des hommes d’affaires et qui est en train d’émerger à côté du clergé et de la famille royale (les 20 000 princesses et princes du royaume), parvient à s’allier à la classe moyenne. Paradoxalement, c’est donc de l’intérieur de ce royaume barricadé que les évolutions les plus marquantes pourraient apparaître. A l’ombre de murs high-tech.