L’Etat Islamique séduirait en France un jeune sur quatre. Parce que ces jeunes y trouvent ce que nos sociétés n’offrent plus : le frisson lié au combat pour une cause qui leur fait croire qu’ils ont un pouvoir sans limites, un pouvoir divin.
« Quoi que ces meurtriers espèrent obtenir en assassinant des innocents, ils ont déjà échoué », déclarait Barack Obama à propos de l’exécution de journalistes occidentaux et de travailleurs humanitaires par l’État islamique, une organisation que le président François Hollande et d’autres mentionnent sous le nom de Daesh (désignation arabe de l’ancien acronyme ISIS - Islamic State in Iraq and Syria), afin de minimiser les ambitions de ce mouvement.
Est-ce bien vrai ? En réalité, les faits indiquent plutôt le contraire. La publicité, l’État islamique le sait, est l’oxygène du terrorisme. Et de la publicité, cette organisation en a eu à foison grâce à la décapitation de deux journalistes américains et, plus récemment encore, du Français Hervé Gourdel. À tel point que ce mouvement que tout le monde ignorait il y a encore quelques mois est devenu aujourd’hui le premier sujet des préoccupations générales et politiques. Pour un temps, elle relègue au second plan la nucléarisation de l’Iran et de la Corée du Nord, la menace d’une prolifération des armes nucléaires, et même l’ambition de la Russie de restaurer l’Empire des tsars. Ainsi seraient relancés les jeux de pouvoir et le système mondial anarchique des rivalités qui ont autrefois donné le jour à deux guerres mondiales et rendent aujourd’hui possible – ne fût-ce qu’un peu– une troisième, bien plus dévastatrice encore.
Le but des spectacles mis en scène par l’État islamique, aussi atroces que captivants, est de terroriser et de fasciner l’opinion publique. Les émois de celle-ci, tout particulièrement sur la scène politique des démocraties libérales occidentales rythmée par les médias, a pour effet invariable de précipiter l’action (ou plutôt la réaction) politique. Comme ce fut le cas avec la réaction inconséquente et indifférenciée déployée par la Grande-Bretagne et les États-Unis, qui a fait passer Al Qaida d’un groupe restreint, mais résolu, d’extrémistes relativement éduqués et violents à un mouvement social capable d’attirer des milliers d’immigrés musulmans d’Occident désœuvrés, et des millions d’autres qui, retournés au pays, n’y ont trouvé que frustration politique et désillusion économique. En Europe, même ceux qui sont le plus opposés à la violence me disent que « sans Al Qaida, on nous aurait oubliés », et dans l’ensemble du monde musulman l’héritage du « Cheikh Oussama » est souvent synonyme de reconnaissance et de respect.
Une cause à défendre
Toutefois, à la différence d’Al Qaida dont il a été exclu en début d’année, l’État islamique ne tolère aucun compromis sur l’interprétation des moyens et des buts de l’Islam, encore moins sur la mission de l’Islam : gouverner le monde. À la fin de sa vie, le chef...
L'essentiel
- Les jeunes exclus ou sans but des démocraties occidentales semblent trouver dans le djihad un frisson particulier lié à l’action, à la défense d’une cause et à l’appartenance à un groupe de frères unis.
- La terreur qu’ils peuvent observer ou exercer est pour eux le signe de puissances supérieures dont ils seraient le bras armé.
- Aujourd’hui, le sublime a disparu des sociétés occidentales désenchantées. Au contraire, les djihadistes redonnent aux « valeurs sacrées » une place prééminente.
Scott Atran
anthropologue et psychologue
directeur de recherches au CNRS
professeur adjoint à l’Université du Michigan
senior fellow à l’Université d’Oxford