La vérité sur la caricature en islam
La lecture actuelle de l’islam est une lecture erronée, bien plus conforme à une tradition judéo-chrétienne qu’à la nature originelle de l’islam.
Nous parlons ici d’islam pur, celui du Coran et de la Sunna authentique, telle que compilée par les deux plus fiables recensions des dires prophétiques que sont les Sahihs de Boukhari et Mouslem.
Dans ces deux sources majeures devant être exclusives de l’islam aujourd’hui, il n’est fait aucune interdiction de la caricature ni même de la représentation imagée, contrairement à ce que l’on croit communément. La conception qui prévaut actuellement chez nous est issue de la tradition judéo-chrétienne.
Dans la Bible, l’interdit est explicite. On lit ainsi dans le Livre de l’Exode : « Tu ne te feras pas d’idole ni de représentation quelconque de ce qui se trouve en haut dans le ciel, ici-bas sur la terre, ou dans les eaux plus bas que la terre ».
On explique une telle prohibition dans le judaïsme par la distance devant exister entre Dieu et ses créatures, une distance qui rappelle chez les hommes la séparation stricte des gouvernants et des gouvernés.
Or, dans l’islam, le croyant est bel et bien dans l’intimité de Dieu. On se rappelle, d’ailleurs, que ni le prophète ni les premiers Compagnons ne voulaient être distingués du reste des musulmans. Et il va de soi que ce qu’on se permet avec un intime est plus important que ce que l’on ne se permet pas avec un être distant, omnipotent au point d’être à l’image des dictateurs sur terre.
S’agissant du christianisme, on a eu ce qu’on a appelé querelle de l’image ou de l’icône qui a fait l’objet de vifs débats depuis l’an 726 de l’ère commune. C’est la guerre entre iconoclastes et iconolâtres qui a dominé les VIIIème et IXème siècles. Et si dans l’Église d’Occident, au XVIème siècle, Jean Calvin et son protestantisme ont fini par imposer l’iconoclasme, cela ne fut pas le cas pour l’Église d’Orient où statuettes, peintures et vitraux ornés de figures de saints ont été toujours honorés.
En islam, ce qu’il y a vraiment, c’est une réprobation fort compréhensible envers tout ce qui était, à l’époque de la révélation, de nature à rappeler ou faire revivre les pratiques idolâtres caractérisant un polythéisme juste moribond de l’Arabie préislamique. Il y avait donc, non pas une condamnation de l’image, mais de son utilisation en tant que culte des divinités. Ce qui est loin d’être le cas de la représentation figurée de nos jours.
La conception authentique du sacré en islam
La conception authentique du sacré dans l’islam diffère de celle de la tradition chrétienne qui est plus matérielle, relevant du tabou, alors que la conception de l’islam premier est davantage morale et spirituelle.
Ce qui est sacré en islam, ce n’est pas ce à quoi l’on ne touche pas, mais ce dont on a l’amour dans le cœur, ce qu’on honore, et en pensée tout d’abord. Car l’intention pure est primordiale dans notre foi.
L’islam étant venu abattre les idoles, c’est donc l’idolâtrie qui est combattue, non les images ou les caricatures. Or interdire une représentation figurée au nom du sacré en islam revient bien à ériger des idoles morales de figures dont la sacralité doit d’abord être dans les cœurs. Il s’agit là d’une conception restrictive du sacré, réduit à un pur tabou, une idole, alors que la conception islamique est bien plus extensive, particulièrement tolérante et humaniste.
Par ailleurs, comme le précise à juste titre Tareq Oubrou, imam actuel à Bordeaux, la notion théologique du blasphème n’existe pas en islam. Le concept de manque de respect à Dieu ou au sacré dérive de la théologie chrétienne et ne possède aucun équivalent en arabe.
De fait, la pensée théologique et philosophique dans l’islam des origines a été davantage en conformité avec l’attitude des philosophes de l’Antiquité. On sait, à ce propos, la vénération vouée par les Arabes pour la Grèce antique, venue conforter la conception islamique des choses.
Or les Grecs anciens, perpétuant une tradition bien ancrée chez les Égyptiens, les Indiens et les Mésopotamiens, donnaient figure humaine à leurs dieux. Certes, d’aucuns comme Platon n’ont pas cautionné une telle pratique, mais Aristote — qui influença le plus la pensée islamique — n’était nullement contre.
De plus, si l’islam se distingue par nombre de traits particuliers des autres religions monothéistes, le plus évident est bien qu’il insiste sur le fait que le prophète est un homme comme les autres, essuyant même des caricatures en parole. Le Coran rapporte ainsi que ses adversaires le traitaient de « châtré » pour absence de fils survivant, ainsi que le rappelle l’historienne, Jacqueline Chebbi, précisant que c’est au IXe siècle, au moment où de nombreux chrétiens et juifs se convertissaient à l’islam que la figure de Mahomet a été, d’une certaine façon, «sacralisée», devenant un modèle pour ces nouveaux musulmans en conformité avec leurs traditions d’origine.
Origines de l’anathème jeté sur la figure imagée
Rappelons aussi qu’en un temps où il n’y avait pas d’appareils photographiques, la littérature islamique n’a pas manqué d’illustrations du prophète, tellement détaillées qu’elles en arrivaient à être encore plus expressives que la photographie la plus fidèle. Pareillement, l’art pictural n’a jamais manqué en islam de représenter l’homme et le premier d’entre eux, le prophète lui-même.
S’agissant de la caricature, et en l’absence d’interdit exprès dans l’islam, elle reste autorisée, n’étant que le pendant de la satire. Or, celle-ci est un pan essentiel de l’éloquence arabe, n’ayant jamais été interdite, même du temps du prophète qui a eu recours d’ailleurs aux poètes pour contrer les satires des polythéistes.
Durant les guerres d’apostasie, on n’a pas compté les caricatures rimées du calife Abou Bakr qui n’a pas pour autant puni leurs auteurs une fois les guerres terminées à son avantage. Parmi ces poètes impertinents, le plus irrespectueux fut Houtaya’a connu pour son extrême méchanceté, jouant en quelque sorte à Charlie avant la lettre.
Il est vrai que sous Omar, ledit poète eut à pâtir de la sévérité du second calife, mais celui-ci, comme on le sait, n’a pas peu innové en islam, s’écartant de la pure tradition prophétique, faisant l’effort d’interprétation que commandaient son temps et la mentalité de l’époque.
C’est à un tel effort et à l’exemple du calife Omar que les musulmans aujourd’hui doivent se conformer en acceptant de nouveau la caricature comme un art majeur, participant de l’effronterie propre à la démocratie. Accepter la caricature qui ne dit que le vrai en accentuant les défauts, c’est mériter la démocratie tout simplement.
Qu’on ne fasse plus intervenir donc le sacré dans un domaine où il n’a pas à s’y trouver, le sacré en islam étant loin d’être une idole, bien plus moral que matériel, différent de la conception judéo-chrétienne en faisant un tabou. Et il n’est pas de tabou en islam, cette foi la moins pudibonde de toutes les religions monothéistes.
L’anathème jeté actuellement sur l’art de la caricature et de toute représentation imagée est l’œuvre de la jurisprudence musulmane influencée par la tradition judaïque et judéo-chrétienne tardive récupérée par le pouvoir politique pour asseoir son autoritarisme.
L‘interdiction de la caricature comme arme politique
Comme on l’a vu, contrairement aux fausses idées reçues, ni le Coran ni la Sunna avérée du prophète n’interdisent donc la représentation figurée. Si une telle erreur flagrante à l’origine d’un véritable mythe pernicieux pour l’islam est entretenue, c’est que les pouvoirs politiques en place ont toujours eu intérêt à développer une interprétation rigoriste de l’islam pour contrôler la société.
Comme la caricature relève de l’audace et de l’aplomb, le propre d’une démocratie, elle ne peut que déranger les dictatures. Or, les pays arabes musulmans n’ont plus connu les libertés démocratiques depuis la fin de la civilisation de l’islam, leurs dirigeants faisant tout pour garder le pouvoir, quitte à donner une fausse idée de l’islam, en user pour manipuler et/ou contrôler les masses.
On sait que, dès la victoire de la dynastie omeyyade, l’islam a été dévié de ses sources, étant instrumentalisé par des califes servant leurs intérêts et non la foi monothéiste. Aussi a-t-on fait de l’islam la lecture judéo-chrétienne ci-dessus décrite et qui a atteint ses sommets avec le salafisme. Celui-ci n’est que la transposition en islam de ce qui prévalait chez les juifs et les chrétiens et qui, bien que gommé par la démocratisation et la sécularisation, y est toujours vivace auprès de leurs propres fondamentalistes.
Il est vrai que dans l’empire islamique, on a vu par moments le bannissement officiel de la moindre représentation figurée, humaine comme animale ; mais cela n’a jamais été la règle et a toujours été fonction de la nature du régime. On en veut pour preuve que ces représentations humaines qui n’ont jamais manqué en Arabie sunnite ou les miniatures de l’islam chiite qui ont abondé en illustrations des figures de l’islam, y compris du prophète, jusqu’au XVIème siècle pour le moins.
Pour la période récente, c’est le wahhabisme, qui exploite à fond cette veine judéo-chrétienne de sacralisation de la figure du prophète depuis son apparition en Arabie Saoudite au XVIIIème. On ne peut que le comprendre dans un pays qui est une dictature et une théocratie.
Pour conclure, donc, critiquer Dieu ou le Prophète en islam pur n’est répréhensible que s’il s’accompagne de reniement de la foi, non pas par simple changement de religion, car l’apostasie en islam n’est pas prohibée, mais par une intention de faire varier la religion, en dénaturer les préceptes tels que les consacrent les textes sacrés, Coran et Sunna authentique, et aussi et surtout leurs visées.
Si, aujourd’hui, on a dans le droit positif des pays arabes et musulmans une catégorie juridique nommée blasphème, elle n’est nullement islamique. Elle est simplement de nature politique, maintenue dans le cadre de lois liberticides propres aux dictatures arabes soutenues par leurs alliés occidentaux qui, rappelons-le, sont de tradition judéo-chrétienne, consciemment ou inconsciemment hostile à l’islam.
Farhat Othman
ancien diplomate Tunisien
(Consul-Adjoint au Consulat à Strasbourg : 1983-1984, Consul au Consulat Général à Paris : 1984-1992, Conseiller social de l'Ambassade à Paris : 1992-1996). Il a été écarté injustement du cadre diplomatique en 1996 par l'administration de l'ancien régime. Chercheur. Auteur de : Les Accords franco-arabes. Des origines des relations bilatérales à nos jours, L'Harmattan 2001.