Le directeur de la CIA a reconnu le 11 décembre 2014 des tortures était pratiquées et qu'elles étaient "inefficaces"
© Jim Watson - AFP
Il ne suffit pas de gagner un "surge" (une "montée en puissance", ou "offensive") pour gagner une guerre! L’armée française dirigée par le Général Jacques Massu en 1957 écrase le FLN d’Alger après des mois de traques, d’arrestations aléatoires comme ciblées, et de torture. La procédure de la "gégène" est la clé de cette victoire selon la version courante de l'histoire.
Il s’agissait à l'époque d’une méthode simple: faire passer le courant électrique produit par une dynamo actionnée par la force des bras dans le corps du détenu par des électrodes. Des milliers et des milliers de gens sont soumises à la gégène par les parachutistes de Massu. Très souvent les torturés étaient exécutés dans la foulée, sur décision d’un officier de renseignement ou même d’un simple officier.
Torturer pour enrayer les attentats: dilemme
Cette méthode, de la plus totale illégalité, a suscité un débat moral simple: fallait-il s’abstenir de torturer alors même qu’un attentat se préparait? Le détenu subissant la torture était forcé à balancer les informations qu’il avait. Ces informations permettaient de déjouer des attentats à quelques minutes, et aussi à remonter l’organigramme du FLN, ce qui fut fait.
Fin 1957, Massu déclarait le FLN vaincu, et c’était vrai: la bataille d’Alger était gagnée, il n’y aurait pas d’attentats dans la Ville Blanche pendant quatre ans. L’histoire nous apprend, faut-il le rappeler, que la guerre d’Algérie fut perdue.
La science nous apprend que la torture quasi-aveugle livre des résultats frelatés, où le torturé dit ce que le tortionnaire souhaite entendre. La vérité oblige de constater que la torture politico-militaire de terrain produit des résultats positifs, parce que les fausses informations que livrent un grand nombre de torturés sont considérées comme des balles perdues, du déchet sans importance. On ne regarde ce qui a amené la victoire, pas les dommages induits par des arrestations et des bombardements d’innocents.
Galula, un penseur français de la contre-insurrection
Ainsi, l’un des théoriciens de la guerre coloniale contre un ennemi indigène, David Galula (1917-1967), officier français, est devenu un auteur militaire hautement prisé non pas en France mais aux États-Unis. L’aspect de la défaite ultime de l’Algérie française a apparemment échappé au Pentagone: seul la victoire dans la Bataille d’Alger a été retenue. Ainsi, les arrestations et les tortures, suivies de l’exploitation des renseignements ainsi obtenus, étaient appliquables en Irak, pays arabe comme l’Algérie. D’où les exactions dans la prison irakienne d’Abou Ghraïb.
Mais les démocraties ont des particularités: capables de couvrir des tortures de masse sous toutes sortes d’arguties juridiques voire de censure exceptionnelle, elles manquent de persévérance dans la répression. Le maintien de l’Algérie française et de la présence américaine en Irak était trop lourde pour les opinions publiques rétives à une occupation répressive de plusieurs décennies.
La démocratie française imposa la solution de l’Algérie indépendante, la démocratie américaine imposa le retrait américain et indirectement un Irak lourdement tourné vers l’Iran et le chiisme politique. La torture restera dans les deux démocraties la grande faute morale: elle peut fonctionner sur le terrain de guerre, mais ne peut pas apporter la victoire morale par la patrie des tortionnaires se retourne contre les bourreaux.
Harold Hyman