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samedi 13 décembre 2014

Prix de l'essence: la crise internationale du pétrole signe la fin du carburant cher (pour le moment)


Les prix ont baissé de 5% à la pompe depuis juin, et on peut attendre encore un peu plus. 
 AFP


Le statu quo des grands producteurs de pétrole est une très bonne nouvelle pour le prix de l'essence et donc les consommateurs. Les pays de l'Opep ont décidé jeudi de maintenir leur plafond de production de pétrole, malgré la surabondance de l'offre d'or noir. Les suppliques du Venezuela et de l'Iran n'auront pas suffi: le robinet va continuer à couler avec la même quantité. Les prix ne devraient donc pas s'arrêter de chuter, avec des répercussions à la pompe.

Après avoir stagné aux alentours de 110 dollars entre 2010 et 2013, le prix du baril de Brent (pétrole de la mer du Nord) a chuté de 35% depuis juin. C'est sa plus forte dégringolade depuis 2008, avec une cotation proche de 75 dollars. Qu'est-ce qui fixe le prix du pétrole? C'est sa rareté sur le marché mondial. Et en ce moment, on peut dire que la denrée n'est pas rare. Les pays de l'Opep ont maintenu les 30 millions de barils par jour comme niveau de production pour les six prochains mois.

Ces derniers (Arabie Saoudite, Iran, Irak, Koweït et Venezuela surtout) avaient face à eux un sérieux dilemme. À cause du bond de la production américaine, le marché est saturé. Avec le pétrole de schiste, elle est passée depuis 2009 de 330 à 450 millions de tonnes. L'année dernière, les Etats-Unis produisaient 60% de leur consommation, se dégageant d'autant du marché international. Et il faut par ailleurs noter le ralentissement économique en Europe et en Chine, qui freine la consommation d'or noir.

Les producteurs continuent d'ouvrir les vannes en grand

La solution qui s'imposait pour l'Opep était de baisser son plafond de production, de façon à "raréfier" le pétrole disponible. Les prix seraient alors mécaniquement remontés. Problème: l'abaisser aurait eu l'inconvénient pour le cartel de faire perdre des parts de marché à ses membres au profit d'autres Etats producteurs, à moins que ceux-ci ne procèdent à des baisses similaires de leur propre production. On imagine mal les Etats-Unis réduire la voilure et ainsi faire remonter le prix à la pompe pour ses citoyens.

La Russie (non membre du cartel) avait toutefois lancé un petit signal en ce sens, en annonçant mardi une baisse symbolique (25.000 barils par jour seulement) de la production de la compagnie pétrolière Rosneft (le Total russe). Un geste de bonne volonté, mais loin d'être suffisant. Du coup, les pays de l'Opep ont choisi de laisser filer les prix pour conserver leur part de marché (un tiers de la production mondiale).

L'Opep a pris une "bonne décision", a indiqué en sortant de la réunion viennoise le puissant ministre saoudien du Pétrole, Ali al-Nouaïmi, dont le pays était opposé à une réduction de la production du cartel. À l'inverse, le ministre vénézuélien des Affaires étrangères, Rafael Ramirez, qui militait pour une importante réduction, a quitté la réunion le visage fermé, en refusant de répondre à la presse.

Quelle baisse peut-on attendre à la pompe en France ?

En France, le gazole est passé depuis juin de 1,30 euro le litre à 1,25, le SP 95 de 1,53 à 1,45 et le SP98 de 1,59 à 1,52 en moyenne, selon les chiffres du ministère du développement durable. On voit donc que les consommateurs occidentaux sont les premiers bénéficiaires de cette partie géante de "Risk". On regrette néanmoins que la baisse de 35% du baril ne se répercute pas totalement à la pompe (environ 5% jusqu'à présent). Cela s'explique pour les raisons suivantes.

On ne met pas du pétrole "brut" dans le réservoir de nos voitures. Il faut le raffiner, le distribuer et ensuite le soumettre aux taxes. Au final, la part d'or noir ne compte que pour 33% dans le prix de notre carburant, selon l'Union française des industries pétrolières. Les distributeurs ont aussi leur propre régulation: en cas d'envolée des prix ils limitent la hausse, tout comme ils freinent la chute si les prix baissent trop vite. De cette façon le consommateur est censé moins "sentir" les fluctuations.

Pour ne pas arranger l'ensemble, la baisse de la valeur de l'euro face au dollar renchérit nos achats à l'importation. On entend souvent que la monnaie européenne est trop forte, mais quand il s'agit de s'approvisionner à l'étranger le constat s'inverse.

Certains diront que ce n'est pas si bon de payer son carburant moins cher. "On l'oublie trop souvent, bien que le prix faible du baril soit positif pour le consommateur, il accentue les risques de déflation en zone euro qui sont, comme les chiffres de l'inflation le soulignent chaque mois, étroitement liés au repli des prix de l'énergie (ndlr: environ d'un tiers). On aurait donc tort de se réjouir trop rapidement d'un pétrole moins cher", a-t-il prévenu.

Jusqu'où la baisse peut-elle se poursuivre ?

Elle dépend de la bataille invisible que se livrent l'Opep et les Etats-Unis. "Historiquement les décisions de changer les objectifs de production des pays de l'Opep ont toujours reposé sur les épaules de l'Arabie saoudite", a expliqué Alastair McCaig analyste chez IG. Et pour l'instant, l'émir compte sur une stabilisation naturelle du marché.

La stratégie de l'Arabie Saoudite est d'attaquer le pétrole américain en laissant filer le prix du baril. L'agence Reuters, qui cite des responsables saoudiens, signale que l'émirat est préparé à résister à une baisse des prix du baril jusqu'à 70 dollars pendant une période prolongée. À ce niveau, le pétrole de schiste américain n'est plus rentable à cause de son coût d'extraction élevé. Même si les hydrocarbures américains sont réservés au marché intérieur, les agents économiques se tourneraient alors vers le pétrole du Moyen-Orient, risquant de faire s'écrouler le secteur pétrolier local.

La Russie s'est aussi dit prête à aller au clash, en laissant filer le prix du baril jusqu'à 60 dollars. Une attitude manifestement belligérante, quand on sait que Moscou aurait besoin d'un baril à 100 dollars pour équilibrer son budget. Surtout que pendant ce temps-là, le rouble bat des records de faiblesse face à l'euro et au dollar.

"Désormais, la balle est dans le camp des États-Unis pour rééquilibrer le marché l'année prochaine, en diminuant leur production," insiste Torbjorn Kjus de DNB. "Il n'y aura pas de réunion extraordinaire de l'Opep au printemps et le prochain rassemblement du cartel n'aura pas lieu avant juin. C'est un signal fort que le marché du pétrole sera laissé à lui-même", souligne-t-il.


 Grégory Raymond