La justice italienne a rouvert l'enquête sur le décès en 2004, jusqu'alors imputé à une surdose de cocaïne, du vainqueur du Tour de France et du Giro en 1998.
Le coureur cycliste italien Marco Pantani, vainqueur du Tour de France et du Giro 1998. © Franck Fife / AFP
Le coureur cycliste italien Marco Pantani, vainqueur du Tour de France et du Giro 1998, aurait-il été assassiné ? La justice italienne ne l'excluait plus samedi, après avoir rouvert l'enquête sur son décès en 2004, jusqu'alors imputé à une surdose de cocaïne. Dix ans après le décès à 34 ans du "Pirate", retrouvé mort dans la chambre d'un hôtel-résidence de la station balnéaire de Rimini (est) le jour de la Saint-Valentin, l'Italie se souvient toujours avec émotion de son "campionissimo".
"Nous venons de recevoir les documents envoyés par les proches (de Pantani, NDLR) et avons ouvert une enquête. (...) Nous les lirons et si nous estimons qu'il faut procéder à des investigations, nous saisirons un juge d'instruction", a affirmé samedi le procureur de la République de Rimini, Paolo Giovagnoli.
"Pantani a été tué"
"Pantani a été tué, contraint à boire de la cocaïne" (mélangée à de l'eau, NDLR), titre La Gazzetta dello Sport, qui précise que l'enquête a été rouverte pour "homicide avec altération de cadavre et des lieux du crime". Quant à La Repubblica, écrivant tout haut ce que nombre de "tifosi" pensent tout bas, elle lâche : "Sur la vérité vraie s'est incrustée et peut-être cimentée une vérité bien commode, celle de l'overdose."
Cette nouvelle survient seize ans après la victoire du coureur romagnol dans le Tour de France, a rappelé sur sa page Facebook la mère de Pantani, Tonina, qui se bat depuis des années pour que le "suicide" de son fils soit requalifié en meurtre.
"Quantité folle de drogue"
Après avoir été exclu du Giro en 1999 pour des valeurs sanguines non conformes, le coureur de Cesenatico (est) ne s'était jamais vraiment remis de cette humiliation, cherchant dans le vélo "une solitude qui a été une dernière et difficile compagne", écrit La Repubblica. Les années suivantes n'avaient été qu'une longue dégringolade, mêlant accidents, démêlés avec la justice et cures de désintoxication. Jusqu'à la découverte de son corps, le 14 février 2004.
Déjà, dans un livre publié en 2007, Vie et mort de Marco Pantani, le journaliste et écrivain français Philippe Brunel dénonçait l'enquête, l'estimant bâclée et trop rapidement conclue sur l'hypothèse d'une surdose de cocaïne.
Or, les doutes sont nombreux, selon La Repubblica : "Des coups compatibles avec une rixe", "des signes prouvant que le cadavre a été déplacé", "une quantité folle de drogue dans le corps", "une bouteille d'eau suspecte" et jamais analysée, etc. Et le tout, "dans une chambre au chaos trop rangé", où, selon la première enquête, "personne n'est entré ni sorti", ce qui avait exclu d'office à l'époque l'intervention d'un tiers, poursuit le journal.
Saint-Valentin dramatique
Tous ces éléments troublants, ajoutés à une certaine "omerta" dans cette Riviera romagnole baignée alors par le trafic de drogue, sont contenus dans un nouveau rapport, mandaté par la famille Pantani et confié au professeur Francesco Maria Avato. Selon cet expert médico-légal, "la grande quantité de drogue trouvée dans le corps de Pantani n'a pu être prise que diluée dans de l'eau". Étant donné la quantité de cocaïne retrouvée (plusieurs dizaines de grammes, soit six fois la dose létale), avalée volontairement, elle aurait forcément "brûlé la bouche et enflammé l'estomac".
Autres éléments mystérieux : les restes du petit déjeuner retrouvé dans l'estomac du coureur et jamais commandé à la réception de l'hôtel. Et quid de la glace ingérée ce matin-là, alors que le frigo de la chambre n'avait pas de freezer ?
Pour l'expert, tout cela ne peut s'expliquer que par l'intrusion d'une ou plusieurs personnes, sur une "scène de crime sensiblement polluée" par la suite, "violant en cela toute procédure légale". "La vérité sur ce qui est réellement arrivé à Marco Pantani dans la chambre D5 de la résidence Les Roses de Rimini (détruite quelques mois après, NDLR), en ce dramatique jour de Saint-Valentin il y a dix ans, conclut La Repubblica, est une histoire qu'il reste à écrire."
Il y a aussi ces traces sur le visage et une marque derrière l'oreille qui laissent à penser qu'on l'aurait forcé à avaler la cocaïne. Il y a encore ces deux blousons en trop que la police m'a remis après sa mort. Ces deux blousons, Marco ne les avait pas sur lui quand il a pris sa chambre. Il n'avait d'ailleurs pas de bagages. Et la police affirme qu'il n'avait jamais quitté sa chambre.
Tonina, sa mère, nous a donné rendez-vous au musée Pantani. Il est implanté au bord de la voie ferrée, à Cesenatico, le village natal de Marco. Petite mais robuste, Tonina, l'ancienne et modeste vendeuse de piadine - ces galettes de blé, spécialité de la Romagne -, cache son regard derrière de grosses lunettes noires. Mère courage à l'italienne, elle se fraie un passage entre des vélos, des maillots et des bandanas colorés, vestiges de l'immense gloire de son fils. La discrète Tonina ne manque pas de caractère. Du vivant de Marco, elle menaçait les dealers de son fils de les dénoncer s'ils continuaient à lui fournir de la cocaïne. Après sa mort, elle a harcelé le juge et les policiers pour qu'ils ne bâclent pas l'enquête. Aujourd'hui encore, pour la vérité et la mémoire de son fils, Tonina continue à se battre.
Où en est l'instruction?
Il vient d'y avoir un coup de théâtre au procès de Carlino [dealer de Marco Pantani] et d'Elena Korovina [l'escort girl dont Pantani louait les services]. Tout est relancé puisque, le 24 septembre, le juge Carlo Masini a enfin pu entendre comme témoins deux des principaux dealers, Veneruso et Miradossa. Ils ont révélé que Carlino était bien leur chef et qu'ils n'étaient que des exécutants. Auparavant, il n'y avait rien de concret contre Carlino. Il aurait rencontré mon fils plus d'une fois pendant la semaine qu'il a passée à la résidence Le Rose. Miradossa a par ailleurs déclaré à l'audience du 17 septembre 2013 que Carlino lui avait dit à l'époque de «régler le problème Pantani».
Qu'entendait-il par «régler»? Lui fournir de la cocaïne ou se débarrasser de lui?
Chacun peut l'entendre comme il veut. Je vous l'ai dit, pour protéger Marco, j'envoyais à ses dealers des textos, et je les menaçais de les dénoncer à la police. Du coup, ils ne voulaient plus avoir affaire à mon fils.
Ces nouveaux témoignages sont-ils suffisants pour relancer le dossier?
Je pense que oui. Je voudrais qu'on puisse rouvrir le dossier, mais pas à Rimini, et certainement pas avec le juge Gengarelli, qui n'a jamais mené de véritable enquête, et contre lequel personne n'a voulu aller, tellement il est puissant dans la région. Vous savez, Carlino n'est pas le seul personnage en cause. Il y en a bien d'autres qui pourraient être accusés de non-assistance à personne en danger.
Qui aurait eu intérêt à tuer votre fils?
Pour moi, c'est le cyclisme qui l'a tué. Tout part de son exclusion du Tour d'Italie, en 1999, à Madonna di Campiglio. Ce jour-là, Marco est «tombé dans la honte». Après, il a fait tout ce qu'il pouvait pour apporter des preuves de sa bonne foi et, comme il n'y arrivait pas, il est devenu dépressif et n'a pensé qu'à se détruire. A chaque fois qu'il voulait relancer sa carrière, les dirigeants du cyclisme, le «système» comme il disait, faisaient tout pour l'en empêcher. Il avait le sentiment d'être seul. Dans le cyclisme, vous savez, il y a beaucoup de pourriture et Marco voulait les dénoncer. Quand il parlait, il y allait fort, s'il n'était pas d'accord. C'était dans sa nature, comme un défi. Il ne pouvait laisser les choses comme ça, sans rien dire. Ils ont fini par le briser.
Les zones d'ombre
Qui a mangé le plat chinois? Les policiers disent que Pantani n'a pas quitté sa chambre à la résidence Le Rose, mais on a retrouvé les restes d'un repas chinois sur le dessus d'une corbeille. Or Pantani n'a jamais commandé ce repas.
Qui lui a rendu visite la veille de sa mort? Un témoin a rapporté que Pantani avait reçu la visite d'un dealer, le vendredi soir. Information négligée par l'enquête.
Perdait-il la tête? Le juge a dressé le portrait d'un Pantani perdu, délirant, alors qu'il prenait ses repas et ses médicaments à heure fixe et surveillait son hygiène, au point de se raser la barbe et le crâne.
A-t-il eu une crise violente? Il aurait dévasté sa chambre, mais ne portait aucune griffure ni éraflure sur les mains et sous les ongles, parfaitement manucurés.
Une blessure suspecte? Il avait un hématome, une trace de coup suspecte derrière l'oreille gauche, qui ne peut être expliquée par sa chute sur le sol de sa chambre quand il a sombré dans le coma.
Etat de la chambre: quelle version? Le concierge, le propriétaire et la femme de ménage, les trois personnes à avoir pénétré dans le périmètre du drame, avant l'arrivée de la police, ont donné trois versions différentes sur l'état de la chambre après la découverte du corps.
La porte était-elle barricadée de l'intérieur? Le concierge a déclaré, trois ans après le drame, que la porte de la chambre n'était pas entravée. Elle ménageait un passage dans lequel il avait pu se glisser. Et donc, Pantani ne s'était pas barricadé, comme on l'a dit pendant toute l'instruction. Quelles sont les causes réelles de la mort? Dans son rapport d'autopsie, le médecin légiste Giuseppe Fortuni ne donne pas les raisons du double oedème cérébral et pulmonaire qui a causé la mort.
Marion Mertens
Philippe Brunel