Si la piste privilégiée est celle d'un avion abattu par un missile sol-air, rien ne permet de savoir qui a actionné le missile. En Ukraine, pro-russes et pro-occidentaux se rejettent la faute d'un crash aux répercussions mondiales.
Que s'est-il passé exactement ?
Parti d'Amsterdam, et à destination de Kuala Lumpur, le Boeing 777 de Malaysia Airlines a disparu des radars vers 17h20 jeudi, alors qu'il était à 10.000 mètres d'altitude. Il s'est écrasé près de la ville de Chakhtarsk, dans la région de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine, causant la mort de ses 298 passagers. Le vol avait 15 à 20 minutes de retard.
Qui sont les victimes ?
Principalement des Néerlandais. Si la compagnie Malaysia Airlines a tardé à communiquer la liste des passagers, on connaît leurs nationalités: 189 Néerlandais, 29 Malaisiens - et 15 membres d'équipage - 27 Australiens, 12 Indonésiens, trois Philippins, un Canadien et un Néo-zélandais. Neuf Britanniques, six Belges et quatre Allemands sont également décédés.
Des spécialistes du sida. Environ 100 passagers se rendaient à la conférence internationale sur le sida, organisée ce week-end à Melbourne. Parmi les victimes figurent notamment le porte-parole de l'OMS Glen Thomas, ainsi que l'éminent spécialiste du sida, Joep Lange.
Le vol MH17 avait-il le droit de survoler l'Ukraine ?
Une zone dangereuse... Au moment du crash, l'appareil survolait la région de Donetsk en Ukraine, une zone ravagée par la guerre civile. Une zone soigneusement évitée par plusieurs compagnies aériennes, mais pas par Malaysia Airlines. Pourquoi ? "Cette route était considérée comme sécurisée", a assuré vendredi le vice-président de la compagnie en Europe, Huib Gorter. "Plusieurs compagnies utilisaient cette zone. Ce jour-là, la route était considérée comme sûre", a-t-il ajouté.
Quel type de missile a pu causer ce crash?
Selon un premier rapport du renseignement américain, l'avion de Malaysia Airlines a probablement été abattu par un missile.
Seul un certain type de missile peut avoir atteint l'avion, qui volait à 10.000 mètres d'altitude. Cela exclut en effet les lance-missiles portatifs, dont la portée n'excède pas 3.000 mètres. Et les regards se tournent désormais vers le missile russe Bouk et l'arsenal militaire des séparatistes pro-russes, qui ont justement revendiqué le vol d'une batterie de ces missiles la semaine dernière.
D'une portée de 45 km, il est constitué d'un radar pour détecter la cible, d'un poste de commandement, d'une plate-forme de tir avec 4 rampes de lancement et d'un système de tir monté sur chenilles. Il existe deux versions de ces missiles fabriqués par les Russes depuis les années 70 : le Bouk-M1 et le Bouk-M2, appelés dans la terminologie de l'Otan le "Gadfly SA-11" et le "Grizzly SA-17". Les systèmes Bouk sont mobiles, installés sur des véhicules. Ils peuvent frapper des avions, des drones, des hélicoptères, des missiles de croisière et d'autres cibles. Mais l'utilisation de ces missiles "est complexe. Il faut trois camions, un pour le poste de commandement, un pour transporter le radar, et un pour tirer les projectiles". Leur particularité : "ils peuvent atteindre des cibles à une altitude de 72.000 pieds (22.000 mètres), soit plus de deux fois plus que les 33.000 pieds d'altitude à laquelle volait le Boeing 777".
« Étant donné la complexité du système SA-11, il est improbable que les séparatistes puissent s’en servir de manière efficace sans personnel qualifié. Donc, on ne peut pas exclure la possibilité d’une aide technique de la part de personnels russes », a encore déclaré Mme Power. « Si ce sont bien les séparatistes qui ont tiré le missile, eux-mêmes et ceux qui les soutiennent auraient de bonnes raisons de dissimuler les preuves de leur crime », a-t-elle ajouté.
Par ailleurs, le ministère russe de la Défense a indiqué que « les moyens de détection radio russes ont enregistré le 17 juillet une activité au niveau de la station radar Koupol, travaillant en liaison avec les systèmes de missiles Buk-M1″, en précisant que cette dernière se trouvait non loin du lieu où le Boeing malaisien s’est écrasé.
Qui est soupçonné ?
Des pro-russes selon les Américains et le gouvernement ukrainien. Un conseiller du ministère ukrainien de l'Intérieur a rapidement accusé les séparatistes jeudi, après le crash. Le missile sol-air aurait été tiré depuis une "zone près de la frontière" russe, selon le renseignement américain. Barack Obama, le président américain, a directement mis en cause les pro-russes dans une allocution, vendredi soir, interpellant au passage Vladimir Poutine sur le soutien militaire de la Russie aux séparatistes.
Le gouvernement ukrainien selon les pro-russes et le Kremlin. Les médias russes, notamment la télévision proche du pouvoir, a même évoqué l'idée que le missile visait l'avion de Vladimir Poutine, similaire à celui de Malaysia Airlines.
Et maintenant ?
Un tournant dans la crise opposant l'Occident à la Russie. Depuis le début de la crise ukrainienne, il y a plus de quatre mois, Américains, Européens, ainsi que les autorités de Kiev, accusent Moscou de laisser passer armes et matériel destinés aux rebelles séparatistes à travers la frontière. S'il se confirmait que ce drame était dû aux pro-russes, de nouvelles sanctions occidentales ne manqueraient pas de viser la Russie.
Quelles sont les hypothèses pour ce tir ?
Il paraît peu probable qu'il s'agisse d'une erreur, dans la mesure où "un 777 n'a pas la signature radar d'un Antonov".
Une autre hypothèse est possible, celle du tir décidé par le seul opérateur de la rampe de lancement. "Dans un engagement normal, les trois équipements du système opèrent ensemble, comme un système d’armes intégré, et l’équipage du centre de commandement a une bonne vision de l’activité aérienne du secteur. Cependant, un lanceur Buk peut aussi opérer en solitaire, et engager une cible présente dans son champ radar."
Sera-t-il possible de déterminer la provenance du tir ?
Seuls les Etats-Unis et la Russie ont aujourd'hui les moyens de détecter par satellite le départ d'un missile, indique Philippe Migaud, qui précise: "détecter un départ de missile tactique, cela implique que vous ayez un satellite qui passe à ce moment là au-dessus de la région et qu'il soit en train de surveiller précisément la zone d'où part le tir". Cela n'est pas impossible mais implique un faisceau de coïncidences, pour l'expert.
Selon un responsable de l'Otan cité par l'AFP, deux appareils de surveillance Awacs de l'Otan étaient en opération au dessus de la Pologne et de la Roumanie "à l'heure de l'accident". Les données de leur vol étaient vendredi en cours d'examen.
Washington et Moscou savent d'où vient le tir de missile
A-t-on les moyens de savoir qui a tiré le missile ?
Arnaud Danjean : On peut retrouver des traces : traces des radars, interceptions électromagnétiques, écoutes téléphoniques, etc. Les Américains et les Russes les ont, c'est évident. Les États-Unis ont rassemblé un nombre considérable de moyens de surveillance techniques et électronique sur cette zone depuis quelque temps déjà, bien avant le tir contre le Boeing de la Malaysia Airlines. Concernant les Russes, je note que les commentaires de Poutine sont intéressants : à aucun moment, il ne blâme les Ukrainiens pour le tir. Il les accuse d'avoir entretenu un climat de guerre. C'est différent !
Et qu'en est-il des informations de source européenne ?
C'est plus aléatoire. Ils peuvent savoir si, au moment où ça s'est passé, ils avaient une surveillance satellitaire. Mais ils reçoivent ces informations des États-Unis.
Samedi soir, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte a brusquement changé de ton à l'encontre de Vladimir Poutine, au terme d'une conversation "très intense", selon ses dires, avec le président russe. "Tous ceux qui ne coopèrent pas totalement à une enquête indépendante font planer sur eux des soupçons très lourds", a-t-il déclaré en accusant Poutine de ne pas peser sur les séparatistes. Rutte a-t-il été briefé par les Américains ?
Les données objectives sur l'origine du tir ont été disponibles très vite. Mais il faut gérer la façon de les rendre publiques. C'est pourquoi elles sont restées confidentielles au début, puis sont sorties de façon contrôlée, par des fuites via le Wall Street Journal, par exemple, puis via des déclarations : le secrétaire d'État américain John Kerry a dit que le système de missile utilisé contre l'avion venait de Russie.
Les Américains sortent les infos petit à petit en se méfiant de l'émotivité, pour ne pas être accusés d'avoir été au courant, ou d'avoir "couvert" Kiev. Il faut éviter de donner du grain à moudre aux théories conspirationnistes les plus fumeuses. Ce n'est pas le cas du gouvernement de Kiev, qui a publié trop tôt les conversations téléphoniques interceptées entre les rebelles se réjouissant d'avoir abattu un avion (qu'ils pensaient être un avion miliaire, NLDR). Elles sont sans doute vraies et très importantes, mais elles sont sorties trop tôt et apparaissent comme de la manipulation. Ce n'était pas à eux de les balancer, dans les deux heures suivant la tragédie. Il aurait fallu les sortir plus tard, croisées avec d'autres données. Cela aurait été plus cohérent et plus fort.
Je fais une parenthèse : si on observe la chronologie, on remarque que dès mercredi, au Conseil européen de Bruxelles, Angela Merkel a haussé le ton contre Poutine. A mon avis, elle disposait depuis le début de la semaine d'informations témoignant d'un retour des troupes russes aux frontières de l'Ukraine ainsi que de données confidentielles montrent l'augmentation de l'appui russe aux rebelles en difficulté. Cela accrédite la thèse des informations recueillies sur et au-dessus du terrain.
En empêchant les enquêteurs internationaux d'accéder à la zone, les rebelles peuvent-ils en profiter pour maquiller la scène de crime ?
La vraie scène de crime est au sol, au moment où le missile est tiré, puis à 10 000 mètres altitude. Mais c'est vrai qu'une fois l'avion tombé, selon la disposition des débris, on peut avoir des tas d'informations importantes. Dans ce cadre, qui nous garantit que les Russes ou les rebelles ne vont pas déposer des morceaux de munitions ukrainiennes pour faire croire que l'avion est victime d'un tir de l'armée régulière ?
Peut-on observer ce type de comportement à partir d'une surveillance satellitaire ? On l'a vu avec Srebrenica, après les massacres, les Serbes avaient tenté de maquiller les scènes de crime, ils avaient déterré les cadavres des fosses communes primaires pour les disperser dans des fosses secondaires. Et ça s'est vu par photos satellitaires lors des procès au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie...
Depuis, les moyens d'observation ont beaucoup progressé. On doit observer pas mal de choses aujourd'hui.
A savoir
Le jour où le Boeing 777 du vol MH17 de Malaysian Airlines effectuant la liaison Amsterdam-Kuala Lumpur a été abattu, les forces ukrainiennes battaient en retraite des environs de Donetsk. Mais des unités menées par des SAS britanniques agissaient en pleine zone rebelle.
Des sources avancent que le choix du vol de Malaysian Airlines est loin d’être fortuit. Cette compagnie aérienne appartient à un pays, la Malaisie, qui ne reconnaît pas Israël mais demeure également le seul pays où la possession de produits israéliens constitue un délit pénal.
Le vice-ministre Anatoly Antonov a formulé, à l’adresse de Kiev, 10 questions :
1- Immédiatement après la tragédie, les autorités ukrainiennes en ont tout naturellement attribué la responsabilité aux forces d’autodéfense [des fédéralistes]. Sur quoi fondent-elles ces accusations ?
2- Kiev peut-il fournir tous les détails sur l’utilisation des lanceurs de missiles Bouk [un système de défense antiaérienne composé de missiles sol-air couplés avec un module complexe de radar permettant de suivre plusieurs cibles aériennes en même temps] dans la zone des hostilités ? Et – ce qui est essentiel – pourquoi a-t-il déployé ces systèmes [de défense antiaérienne] alors que les insurgés n’ont pas d’avions ?
3- Pourquoi les autorités ukrainiennes ne font rien pour mettre en place une commission internationale ?
4- Les forces armées ukrainiennes accepteraient-elles que des enquêteurs internationaux dressent un inventaire de leurs missiles air-air et sol-air, y compris de ceux qui ont été utilisées ?
5- La commission internationale aura-t-elle accès aux données sur les mouvements des avions de guerre ukrainiens correspondant au jour de la tragédie ?
6- Pourquoi les contrôleurs aériens ukrainiens ont-ils autorisé l’avion à s’écarter de la route utilisée normalement vers le nord et à s’approcher de la dénommée « zone de l’opération antiterroriste » ?
7- Pourquoi l’espace aérien sur la zone de guerre n’avait-il pas été fermé aux vols civils alors que cette zone n’était même pas entièrement couverte par les radars des systèmes de navigation ?
8- Que peut dire officiellement Kiev sur les commentaires postés sur les réseaux sociaux par un contrôleur aérien espagnol travaillant en Ukraine sur la présence de 2 avions militaires ukrainiens qui auraient volé aux côtés du Boeing 777 sur le territoire de l’Ukraine ?
9- Pourquoi le Service de sécurité d’Ukraine [SBU] a-t-il commencé à travailler sur les enregistrements des communications entre les contrôleurs aériens ukrainiens et l’équipage du Boeing ainsi que sur les systèmes de stockage de données des radars ukrainiens sans attendre la participation d’enquêteurs internationaux ?
10- Quelles leçons l’Ukraine a-t-elle tirées de l’incident similaire survenu en 2001, lorsqu’un avion russe [de ligne] Tu-154 s’était écrasé en mer Noire ? À l’époque, les autorités ukrainiennes avaient nié toute implication des forces armées ukrainiennes jusqu’au moment où une évidence irréfutable avait démontré officiellement la responsabilité de Kiev.
Avant les déclarations du vice-ministre, le ministère russe de la Défense avait révélé que 27 systèmes de défense antiaérienne Bouk M1 appartenant à l’armée ukrainienne étaient déployés dans la région avant l’incident.
Le ministère russe de la Défense avait annoncé aussi que l’itinéraire de l’avion et l’endroit du crash se trouvent dans le rayon d’action de 2 batteries ukrainiennes de DCA à longue portée et de 3 systèmes de missiles sol-air Bouk-M1, également ukraniens, et que des installations russes avaient enregistré le fonctionnement d’un radar ukrainien de défense antiaérienne le jour même du crash.
Egger Ph.