Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 24 juin 2014

Affaire Pastor : les dessous d'un spectaculaire coup de filet...


Parmi les interpellés à Nice, à Rennes et à Marseille figurent notamment la fille d'Hélène Pastor et son concubin. Le fruit d'une minutieuse enquête.

Hélène Pastor, richissime femme d'affaires monégasque qui avait été très grièvement blessée par un mystérieux tireur embusqué à Nice, est décédée le 21 mai. © VALERY HACHE / AFP 


Se dirige-t-on vers un règlement de comptes familial ? La fille d'Hélène Pastor, Sylvia Pastor, a récemment refait sa vie avec un énigmatique homme d'affaires polonais, Wojciech Janowski, consul honoraire de Pologne à Monaco. Ils sont tous les deux actuellement entendus par les enquêteurs. La police, qui disposait des captures vidéo des suspects par le biais des caméras de surveillance de l'hôpital devant lequel Hélène Pastor a été assassinée, a réussi à tracer l'origine géographique de ceux-ci grâce à des recoupements.

Malgré la mauvaise qualité des bandes, les enquêteurs ont pu mettre un nom sur les visages des présumés exécutants en cherchant dans leur fichier interne. Très vite, ils identifient l'adresse de plusieurs suspects et les localisent. Mais un élément déterminant va permettre d'accélérer les investigations : un chauffeur de taxi affirme avoir conduit la petite "bande" de Nice à Marseille pour une somme de 500 euros. À cela s'ajoute la déposition d'un réceptionniste d'hôtel qui déclare les avoir pris en charge la veille des faits.

C'est alors que la traque a commencé. Les enquêteurs avaient placé la ligne téléphonique des présumés exécutants sur écoute. Les malfaiteurs, qui utilisaient la technique du toc (une combine, bien connue des dealers, qui consiste à changer en permanence de puce et donc de coordonnées téléphoniques), n'ont pas réussi à duper les enquêteurs. En effet, les différents services de police avaient rapidement identifié les suspects grâce à des éléments concrets, mais ils ont dû attendre le dernier moment pour les appréhender tous ensemble lors de cet impressionnant coup de filet.

La BRI de Rennes, le Raid, le GIPN et la direction interrégionale de Marseille ont collaboré pour mettre au point cette opération exceptionnelle. Les prochaines auditions devraient permettre de retrouver le ou les commanditaires et leur(s) mobile(s). Parmi les individus interpellés se trouvent des guetteurs, les donneurs d'ordres, des exécuteurs présumés, qui sont, pour la plupart, originaires de la cité des Flamants et des Cèdres à Marseille. Une grande partie d'entre eux est issue de la communauté comorienne, d'autres sont d'origine maghrébine, antillaise et haïtienne.

Certains étaient connus des services de police, d'autres seraient même en situation irrégulière sur le territoire. Ils sont tous suspectés d'avoir participé, de près ou de loin, à la fusillade. Selon les premiers éléments de l'enquête, ils auraient exécuté les ordres d'un commanditaire qui pourrait être l'un des membres de la famille Pastor. Brice Robin, le procureur de la République de Marseille, et Christian Sainte, le patron de la police judiciaire, tiendront une conférence de presse mardi à 15 heures.

Aucune piste sur le mobile

Hélène Pastor, 77 ans, et son chauffeur, Mohamed Darwich, 64 ans, avaient été grièvement blessés dans un guet-apens devant l'hôpital L'Archet, dans l'ouest de Nice, par un tireur embusqué. Agissant à visage découvert, l'homme armé d'un fusil de chasse à canon scié avait fait feu à deux reprises à travers les vitres du véhicule avant de prendre la fuite en compagnie d'un complice.

Mohamed Darwich, touché au niveau de plusieurs organes vitaux, a succombé à ses blessures le 10 mai, Hélène Pastor, touchée au thorax, au cou et à la face, est décédée le 21. Les obsèques de cette dernière ont été célébrées dans la plus grande discrétion à Monaco le 28 mai, en présence du prince Albert II, de la famille proche et de quelques anciens employés.

Entendue peu avant sa mort par les enquêteurs, la riche et très discrète héritière, qui se montrait peu dans les événements publics de la principauté, n'avait donné aucune piste sur le mobile du crime, disant ignorer tout des raisons de l'attaque. Femme au caractère bien trempé, Hélène Pastor était très investie dans son travail et consacrait aussi beaucoup de temps à ses deux enfants, selon ses proches.

Au moment de l'embuscade, elle venait d'ailleurs de rendre visite à son fils de 47 ans, victime d'un grave accident vasculaire cérébral, Gildo Pallanca-Pastor, actif dans l'immobilier, mais aussi P-DG du constructeur de voitures de sport Venturi. Hélène Pastor était l'une des héritières d'un empire monégasque de bâtisseurs fondé par son grand-père italien Jean-Baptiste, issu d'une famille pauvre de Ligurie (Italie), et développé ensuite par son père, Gildo.

La famille a largement façonné le paysage de la principauté en bâtissant des immeubles d'habitation et des bureaux au fil des décennies, tout en gardant la propriété extrêmement lucrative de ces constructions. Ce patrimoine, impossible à chiffrer, génère des loyers astronomiques.

Des flux financiers suspects sur les comptes du gendre 

Wojciech Janowski, consul honoraire de Pologne à Monaco (qui ne bénéficie cependant pas de l'immunité diplomatique), vice-président de l'association Monaco Against Autism (MONAA), figure en effet parmi les personnes mises en garde à vue à Nice, Marseille et Rennes. Tout comme son épouse Sylvia Pastor, la fille de la milliardaire. Mais si cette dernière a été arrêtée "pour les nécessités de l'enquête", selon le procureur de la République de Marseille Brice Robin, des "flux financiers suspects" sur les comptes de Wojciech Janowski ont en revanche été repérés, ont expliqué M. Robin et le directeur interrégional de la police judiciaire Christian Sainte lors d'une conférence de presse.

Plus accablant, "des liens sont apparus avec deux individus que je peux qualifier d'intermédiaires en relation directe avec les deux suspects", selon le procureur, même si "aucun lien" direct n'est établi entre ceux-ci et Wojciech Janowski. L'enquête s'oriente cependant bien vers "un cercle restreint" autour de la femme d'affaires plutôt que vers un assassinat mafieux, a précisé le magistrat. Les enquêteurs ont pu remonter la trace des deux principaux suspects "présents sur les lieux de l'assassinat", Alhair Hamadi, 31 ans, et Samine Said Ahmed, 24 ans, des Marseillais d'origine comorienne, déjà connus de la justice, arrêtés à Marseille grâce à "trois éléments majeurs".

Les images de vidéosurveillance de Nice, Marseille et des gares SNCF, l'étude des éléments de téléphonie mobile et des traces d'ADN relevés dans un hôtel de Nice ont permis aux enquêteurs, grâce à "un travail minutieux", de retracer leur itinéraire le 6 mai, jour des faits. Ce jour-là, Hélène Pastor et son chauffeur Mohamed Darwich ont été mortellement atteints par deux coups de fusil à canon scié, reçus au travers la vitre passager avant, devant l'hôpital L'Archer de Nice où la milliardaire venait de rendre visite à son fils, Gildo Pallanca-Pastor, hospitalisé après un AVC. Partis en train de Marseille vers Nice, les deux suspects se sont d'abord rendus dans un hôtel sous un faux nom, avant de se rendre séparément, en taxi, vers le lieu de l'assassinat. Ils ont ensuite pris la fuite à pied, puis en bus pour rejoindre leur hôtel, avant de prendre un même taxi pour retourner à Marseille. Des traces d'ADN de Said Ahmed, recensé au fichier des empreintes génétiques, ont été retrouvées sur un flacon de gel douche de l'hôtel, ont précisé MM. Sainte et Robin. La "géolocalisation téléphonique" a permis "l'identification du premier suspect," ont-ils également détaillé.

"Des sommes d'argent importantes"

Les deux hommes sont en revanche restés évasifs sur la nature exacte des liens entre M. Janowski et les intermédiaires, tout comme sur les flux financiers suspects ou le mobile, renvoyant à une autre conférence de presse vendredi à l'issue des gardes à vue, qui peuvent durer jusqu'à 96 heures. "Des sommes d'argent importantes" ainsi qu'un "sac de sport similaire à celui qui a servi à transporter l'arme" ont été retrouvés aux domiciles des suspects. À Rennes, où l'un d'eux s'était "mis au vert", 10 000 euros ont été saisis, selon le procureur. À une question évoquant des montants de centaines de milliers d'euros versés pour commettre cet assassinat, M. Robin a répondu que c'était "peut-être plus important que ça", renvoyant une fois encore à la conférence de vendredi.

À Monaco, certains proches interrogés par l'AFP semblaient très surpris par la tournure de l'enquête. Claudia Albuquerque, photographe professionnelle de nationalité américaine mais résidente de Monaco, qui connaît la famille depuis des années et était surtout proche d'Hélène Pastor, s'est dite "persuadée que la famille n'est pas dans le coup". La famille "n'a rien à voir" avec ce "drame", a-t-elle assuré, même s'"il est naturel que tout le monde soit suspect et que (les enquêteurs) fassent des recherches". Pour elle, il ne peut s'agir que "d'un coup extérieur", car Sylvia était "très proche de sa mère".
Contrairement à la rumeur qui court sur le Rocher disant qu'il y aurait eu des jalousies entre la fille et le fils d'Hélène Pastor - actif dans l'immobilier et P-DG du constructeur de voitures de sport Venturi -, "frère et soeur s'entendaient très bien", affirme-t-elle.


Armel Mehani 
Aziz Zemouri