Nicolas Sarkozy dit tout le mal qu’il pense du système helvétique.
Parlant d’«irrespect», Adolf Ogi le coupe
Pour Adolf Ogi (à dr.), pas de doute: Nicolas Sarkozy a manqué de respect envers la Suisse
Image: RDB/Sobli/Sabine Wunderlin, AFP
Vendredi, lors du Swiss Economic Forum d’Interlaken (BE), Adolf Ogi a renvoyé Nicolas Sarkozy à ses études, rapportait SonntagsBlick. Quelle mouche l’a piqué? Joint hier, l’ancien conseiller fédéral nous donne sa version des faits. Les exigences formulées par M. Sarkozy avaient manifestement déjà un brin agacé les organisateurs. Arrivée la veille, sa secrétaire avait ordonné qu’il n’y ait ni caméra ni photos durant l’intervention de l’ancien président. Et aucune question sur la politique intérieure française.
One-man-show de Sarko
Puis, vendredi matin, ce qui devait être un débat a tourné au one-man-show. «M. Sarkozy a fait son numéro. Il a plu, par sa rhétorique, ses mimiques. Il s’est imposé, donnant le spectacle qu’il voulait donner. Mais le pauvre journaliste n’a pas pu poser ses questions. Je commençais à voir le problème arriver», note Adolf Ogi.
Moi aussi, j’ai été président!
L’ex-président français a ensuite pris une heure de repos à l’hôtel. Puis une rencontre était prévue avec des personnalités et sponsors. Une vingtaine de personnes. Là, M. Ogi ne souhaitait pas que Nicolas Sarkozy «kidnappe» de nouveau l’événement. Il a tenu à mettre les points sur les i d’emblée. «En tant que président du Forum, je devais m’assurer que tout se passe bien. Monsieur le président, lui ai-je dit, je ne suis pas journaliste. Je ne souhaite pas entrer dans le petit jeu des questions-réponses. Comme vous, je suis un ancien président. Un ancien président qui avait des relations privilégiées avec vos prédécesseurs, M. Mitterrand comme M. Chirac.»
Adolf Ogi souhaitait indiquer qu’il y avait un pied d’égalité à respecter. Et a donné la parole à Sarko. Qui en a bien profité… Il s’est mis à expliquer que la Suisse devait entrer dans l’Union européenne. Qu’un pays ne peut pas être gouverné par un président qui change chaque année. Ou que notre système avec sept conseillers fédéraux est inefficace, désuet… «Il est allé trop loin. Il fallait dire stop. Je l’ai interrompu», raconte M. Ogi.
«Je ne laisse pas passer»
Estime-t-il que Sarkozy a manqué de respect à la Suisse? «Si vous posez la question de cette manière, je me dois de répondre oui. Si une personne se montre irrespectueuse envers notre pays, je ne laisse pas passer. C’était le cas lorsque j’étais au Conseil fédéral. C’est toujours le cas aujourd’hui. Et ce le sera demain.»
M. Ogi a alors rappelé la richesse de la Suisse, ses quatre cultures, ses 26 cantons, ses plus de 160 ans de paix. Ou que la Confédération reste pour beaucoup un exemple de ce que l’Union européenne essaie en vain de recréer.
Sur le fond, M. Ogi entendait-il démontrer que la «petite» Suisse n’a à courber l’échine devant personne? «J’ai toujours exigé de mes interlocuteurs – y compris les plus puissants – le même respect que je leur accordais. Oui, la Suisse ne doit jamais se laisser marcher sur les pieds. Nous devons discuter d’égal à égal avec tout le monde.»
C’est l’histoire du montagnard qui rabat le caquet au Parisien
Nicolas a fait son Sarkozy. Nicolas a fait son citadin. Nicolas a fait son Parisien. Vendredi matin, Nicolas Sarkozy a oublié qu’il était avant tout à Interlaken, avant d’être à un forum économique. Et Interlaken, dans le canton de Berne, c’est l’air, l’oxygène, l’alpha et l’oméga, bref, le paradis d’Adolf Ogi.
Donc, lorsqu’on vient à Interlaken devant Adolf Ogi, on se tient comme il faut, on essuie ses talonnettes avant d’entrer et on ne pisse pas contre les sapins. Et pourtant Nicolas Sarkozy a fait des caprices. D’accord il parlerait, mais pas de journalistes, pas de questions, pas de photos, pas d’interruptions. Juste sa voix et l’écho des montagnes d’Interlaken. Pourquoi pas, après tout, un caprice est constitutif du potentiel comique d’une star. Seulement voilà, ça s’est gâté un peu plus tard, car Nicolas, ne se sentant plus de joie, a ouvert un large bec et laissé tomber des énormités. En gros, la Suisse pourrait faire mieux politiquement. Et changer de président chaque année, franchement, ce n’est pas sérieux.
Notre formidable Bernois ne l’a pas entendu de cette oreille. Après tout, on est entre anciens. Toi, ancien président de la République française, et moi, ancien président de la Confédération helvétique. Alors Adolf Ogi a mis fin au monologue et au caprice. Il a rappelé l’osmose entre la démocratie directe suisse et son système politique. Bref, il a rappelé que ce qui faisait de ce pays une magnifique exception dans le paysage civique mondial apportait de la sérénité.
Ça fait du bien de savoir qu’il existe encore de vrais patriotes sur le chemin des nationalistes. Le patriotisme, c’est l’amour simple et entier des siens. Tandis que le nationalisme, c’est l’opposition des siens aux autres. Vendredi matin, le président montagnard comme un Parisien l’a clairement démontré au président parisien comme un montagnard.
Stéphane Berney
Rédacteur en chef adjoint