En dépit du terrorisme islamique qui gangrène la société, le pouvoir judiciaire s'affirme : l'ancien dictateur Pervez Musharraf est jugé pour trahison.
L'ancien chef militaire et président pakistanais Pervez Musharraf. © Raveendran / AFP
Il aura tout essayé pour échapper aux juges. Il y a d'abord eu le coup de la bombe. Le 24 décembre, des dizaines de journalistes sont massés dans le tribunal d'Islamabad, où Pervez Musharraf doit comparaître. Le général, qui a régné de 1999 à 2008, est poursuivi pour avoir imposé l'état d'urgence et suspendu la Constitution en 2007. Une manoeuvre qui devait assurer son maintien au pouvoir à l'époque. Un crime de haute trahison aujourd'hui. Il risque la peine de mort. Dans un pays qui a connu quatre dictatures militaires, c'est la première fois qu'un dictateur se présente devant les juges. Mais alors que tout le monde attend Musharraf, la police dit avoir trouvé des explosifs près de la route qu'il devait emprunter. Pour des raisons de sécurité, le général est rentré chez lui. Qu'à cela ne tienne. Le tribunal reporte l'audience au 1er janvier.
Une semaine plus tard, Musharraf remonte dans sa voiture. En route pour le tribunal. Cette fois, le militaire de 70 ans se plaint de douleurs à la poitrine. Direction l'institut militaire de cardiologie. Quelques jours après, les médecins rendent public leur diagnostic : le patient présente une artère bouchée et souffre d'hypertension. Il doit subir une angiographie, un examen de trente minutes qui nécessite une anesthésie locale. Pervez Musharraf affirme qu'il se sentirait plus à l'aise dans une clinique américaine du Texas. Cela lui permettrait de quitter le pays. Et d'échapper aux juges ? Les magistrats lui interdisent de quitter le territoire.
Dernier recours : comparaître devant un tribunal militaire. Le tribunal civil qui doit décider du sort de Musharraf est une cour spéciale, formée par la Cour suprême à la demande du gouvernement. Les avocats de Musharraf font valoir que ce tribunal n'est pas compétent : leur client est un soldat, il doit être jugé par ses pairs. Ce vendredi, les juges rétorquent que Musharraf est en retraite et qu'il ne fait plus partie de l'armée, et ouvrent la voie à son inculpation : il comparaîtra le 11 mars.
La justice s'affirme et, avec elle, l'état de droit
Beaucoup d'analystes pensaient que Musharraf ne serait jamais jugé. Que les juges le laisseraient partir. Les militaires tolèrent mal de voir l'un des leurs traité comme un criminel. Pourtant, la justice suit son cour. Une révolution. Les magistrats ont toujours avalisé les coups d'État militaires au Pakistan. Et puis il y eut Iftikhar Chaudhry. Nommé président de la Cour suprême par Musharraf en 2005, le premier magistrat prend des mesures pour faire respecter la loi. Il s'empare de l'affaire des disparus, ces personnes interpellées pour terrorisme par les services de renseignements et que nul n'a jamais revues. Il se saisit du scandale des législatives de 1990, lorsque l'armée avait financé illégalement l'opposition pour renverser le Premier ministre. L'ancien directeur des renseignements militaires comparaît devant la Cour suprême.
L'entêtement des juges à ne pas laisser Musharraf s'échapper confirme une évolution entamée depuis plusieurs années. La justice s'affirme et, avec elle, l'état de droit. Un phénomène à relativiser néanmoins, alors que le Pakistan vit au rythme des attentats des talibans. Aucun des chefs insurgés n'a jamais été jugé. Les combattants islamistes menacent les juges et les témoins lorsque l'un des leurs est inquiété. Dernier cas : Paul Bhatti, le frère du ministre des Minorités religieuses assassiné par les talibans en 2011, a porté plainte contre deux suspects. Il s'est réfugié en Italie après avoir été menacé. Depuis, le procès des meurtriers est au point mort.