Le narcotrafiquant "le plus puissant du monde" a été arrêté samedi à l'issue de 13 ans de cavale.
L'arrestation de Joaquin «Chapo» (le trapu) de par sa petite taille (1,60 m) Guzman dans une station balnéaire du Mexique est le fruit d'une collaboration entre les forces mexicaines et américaines. Figure du narcotrafic, sa fortune est estimée à un milliard de dollars.
Le président mexicain Enrique Peña Nieto a frappé un grand coup samedi dans sa guerre contre le trafic de drogue en effectuant l'arrestation la plus significative depuis une dizaine d'années. Les forces de l'ordre ont capturé dans une station balnéaire du pays le narcotrafiquant le plus puissant et le plus recherché au monde: Joaquin «Chapo» Guzman, chef du cartel de Sinaloa. Empereur de la cocaïne et de la marijuana, exportant ces substances aussi bien en Amérique qu'en Asie et en Europe, il avait été surnommé le nouvel ennemi numéro 1 depuis Al Capone par les autorités de Chicago. Joaquin Guzman a amassé une fortune estimée à un milliard de dollars et est soupçonné de contrôler un vaste réseau de tueurs à gages de la frontière américaine à l'Amérique centrale. Washington offrait 5 millions de dollars pour son interpellation, le Mexique 3,2 millions.
Celle-ci s'est déroulée sans un seul coup de feu. L'opération a duré moins de huit minutes et les voisins n'ont compris qu'elle avait eu lieu que lorsqu'ils ont entendu l'hélicoptère qui emmenait Guzman. Ce qui tient du miracle quand on sait que le baron de la drogue, en cavale depuis treize ans, employait plus de 300 personnes pour assurer sa sécurité. Il disposait dans sa résidence de Mazatlán, la station balnéaire où il a été arrêté en compagnie d'une femme, d'un arsenal d'une centaine d'armes à feu (dont plus de 30 revolvers), de deux lance-grenades, d'un lance-roquettes, de 43 véhicules notamment 19 blindés. Les médias s'amusaient d'ailleurs que sa capture ne soit non pas survenue au terme d'un long siège mais après une fête bien arrosée.
La traque de Joaquin Guzman, est le fruit d'une collaboration étroite entre les autorités américaines et mexicaines. Des premières informations ont émergé, il y a cinq ans, lors d'un raid antidrogue mené en Arizona. Plusieurs membres liés au cartel de Guzman avaient été interpellés. Depuis plusieurs mois, la pression s'accentuait sur l'organisation: des lieutenants de «Chapo» ont été capturés ou abattus par les forces de l'ordre mexicaines qui ont mis la main sur des données et des numéros de téléphone. Les choses se sont accélérées en début d'année. Plusieurs occasions d'arrêter Guzman se présentent mais le narcotrafiquant se volatilise au dernier moment ou se trouve dans des lieux trop fréquentés.
Un réseau de tunnels sous ses demeures
S'il est resté aussi longtemps insaisissable, c'est que Joaquin «Chapo» Guzman est une figure des cartels hors du commun. Il avait acheté bon nombre de politiciens et de policiers. À Mazatlán, il possédait sept maisons reliées entre elles par des tunnels raccordés aux égouts de la ville. Chacune des portes de ces résidences était renforcée d'acier pour ralentir ceux qui voudraient les enfoncer et laisser le temps à «Chapo» de disparaître. Un système identique était en place à ses autres domiciles. Le trafiquant avait amassé pas moins de quatre fermes et seize propriétés. Pour éviter tout risque de dénonciation, on assure que lorsqu'il dînait en ville à Mazatlán, il réglait l'addition de tous les convives du restaurant. Le New York Times raconte même qu'à l'annonce de son arrestation, plusieurs hommes d'affaires locaux sont partis précipitamment de la terrasse des cafés, craignant des représailles. L'un a même confié que «cette interpellation était une mauvaise nouvelle pour la station balnéaire, Guzman y faisant régner le calme».
LE PLUS IMPORTANT CARTEL DU MEXIQUE
Né le 4 avril 1957 à La Tuna, un hameau pauvre perché dans les montagnes de l'Etat de Sinaloa, berceau du narcotrafic mexicain, ce fils de paysan est quasi analphabète. Mais son esprit vif lui permet de vite gravir les échelons du puissant cartel de Guadalajara, avant sa dissolution, en 1989.
Dans un relatif anonymat, « el Chapo » participe alors à la création d'une fédération de parrains, baptisée le cartel de Sinaloa. En lutte contre ses concurrents pour le contrôle des routes de la drogue vers les Etats-Unis, M. Guzman échappe de justesse à un attentat, le 24 mai 1993, avant de fuir au Guatemala. Il y sera arrêté le 9 juin 1993 puis condamné au Mexique à vingt ans de prison.
Enfermé dans le pénitencier de Puente Grande dans l'Etat mexicain de Jalisco (ouest), M. Guzman s'évade, le 19 janvier 2001 dans un chariot de linge sale. Une version contestée par la journaliste d'investigation, Anabel Hernandez, qui assure qu'« el Chapo » a quitté le lendemain la prison à pied, déguisé en policier, grâce à la complicité du gouvernement du président Vicente Fox (2000-2006), dont l'entrée en fonctions avait marqué l'alternance politique du Parti action nationale (PAN, droite).
Depuis, le fugitif, père de neuf enfants de trois épouses différentes, a bâti le plus important cartel du Mexique, contrôlant 25 % du narcotrafic aux Etats-Unis. Ses tentacules s'étendent des pays andins jusqu'au Canada avec de récentes visées sur l'Europe et l'Asie. « Son pouvoir et sa capacité financière vont bien au-delà de ce qu'Al Capone aurait pu rêver », déclarait en février 2013, Art Bilek, vice-président de la commission du crime de Chicago (Illinois), en désignant « el Chapo » « ennemi public numéro un » de la ville.
Le 22 février, M. Peña Nieto a été le premier à confirmer l'arrestation d'« el Chapo » sur son compte Twitter, avant que l'événement soit le plus commenté sur les réseaux sociaux mondiaux. « C'est une grande victoire pour M. Peña Nieto, alors que sa stratégie sécuritaire est critiquée pour son manque d'efficacité », souligne Jorge Chabat, spécialiste du crime organisé au Centre de recherche et d'enseignement économiques (CIDE).
L'arrestation de M. Guzman sonne-t-elle le glas du cartel de Sinaloa ? « Non, répond M. Chabat. La succession prévue de son bras droit, Ismael Mario Zambada, dit “El Mayo”, devrait préserver la puissance de l'organisation. » Telles les têtes de l'hydre de Lerne, les barons de la drogue arrêtés ou tués sont immédiatement remplacés.
TF121