Yilmaz, ancien soldat néerlandais, combat désormais avec al-Qaida en Syrie. Il explique ses motivations dans une interview rare. Dérangeant.
Yilmaz, ancien soldat néerlandais, combat désormais avec al-Qaida en Syrie. © Battlefields of Syria/Tumblr
Son épaisse barbe noire tranche avec ses cheveux rasés à blanc. "Au nom d'Allah", susurre-t-il mécaniquement, avant de faire feu. Le soldat Yilmaz, la trentaine et déjà expert au combat, est membre de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL). Cette branche irakienne d'al-Qaida, composée en Syrie de quelque 5 000 hommes, est engagée depuis 2013 dans la lutte contre Bachar el-Assad. Mais, contrairement à ses compagnons, Yilmaz ne porte pas de cagoule noire. Il arbore, au contraire, fièrement son uniforme de l'armée royale des Pays-Bas.
Yilmaz est un ancien soldat néerlandais. D'origine turque, il fait partie des 120 djihadistes hollandais partis combattre en Syrie, relève le New York Times. Son parcours rocambolesque a alors croisé celui de Roozbeh Kaboly. Ce journaliste néerlandais recherchait activement la moindre information sur ses compatriotes partis mener le djihad en Syrie. Il lui aura suffi de surfer sur Internet pour faire une saisissante découverte. Un compte Instagram, nommé Battlefields of Syria (champs de bataille de Syrie), sur lequel Yilmaz poste au quotidien ses clichés glanés sur le terrain.
"Il s'agit d'ouvrir les yeux" (Yilmaz, djihadiste)
On l'aperçoit poser fièrement sur un char abandonné du régime, exhiber ses nombreuses armes d'assaut, témoigner de la destruction de villes entières ou encore déplier le drapeau noir contenant la "chahada", profession de foi de l'islam selon laquelle "il n'y a d'autre Dieu qu'Allah, et Mahomet est son prophète". Financé par des fonds privés émanant de riches hommes d'affaires du Golfe, l'EIIL se démarque des autres groupes rebelles par le savoir-faire de ses combattants, glané sur les terres de djihad en Afghanistan, en Irak ou dans les Balkans.
Après huit mois de communications quotidiennes avec Yilmaz, le journaliste néerlandais Roozbeh Kaboly réussit finalement à l'interviewer, via un intermédiaire en Syrie. Si le djihadiste accepte, c'est avant tout pour changer le regard porté en Europe sur ces combattants. "Il s'agirait d'ouvrir les yeux, et vous verrez que beaucoup de gens sont venus ici pour une simple et bonne raison : ils ne pouvaient plus supporter que soient sauvagement abattues des milliers de personnes en Syrie", souligne-t-il au cours de l'émission Nieuwsuur, diffusée cette semaine sur la télévision néerlandaise d'État NOS. Et le djihadiste d'interpeller directement le téléspectateur : "Comment pouvez-vous rester assis chez vous ?"
Ancien soldat néerlandais
L'homme a quitté l'armée royale lorsqu'a éclaté la révolution syrienne en mars 2011. "Si les forces néerlandaises avaient envoyé une unité de combattants en Syrie, j'aurais été le premier à signer, assure-t-il aujourd'hui. Mais personne n'a fait quoi que ce soit." Le soldat Yilmaz transmet alors toute son expérience à ses "frères". "Plus de 90 % d'entre eux n'ont jamais tiré une balle de leur vie", explique-t-il.
Cela se vérifie sur les champs de tir improvisés, où les cibles placées au bout de sentiers terreux restent souvent vierges. "Relax, confie Yilmaz à un camarade. Si tu prends ton temps, tu viseras bien mieux." L'heure de la prière a sonné : instinctivement, ce fervent pratiquant place soigneusement une couverture sur le sol poussiéreux, s'agenouille et s'incline. "Nous sommes ici pour une noble cause : combattre aux côtés des opprimés, souligne-t-il. Cela va maintenant faire presque trois ans et personne ne fait rien."
Martyr
Sur Instagram, Yilmaz a également posté des clichés attendrissants. Comme cette photo, datée de janvier 2014, où le membre de l'EIIL porte dans ses bras un bébé syrien. Sur une vidéo diffusée sur Tumblr, le djihadiste filme cette fois les nombreux enfants délaissés ou orphelins d'un camp de réfugiés d'Idleb. Sur d'autres photos, Yilmaz porte sur son fusil de minuscules chatons, rebaptisés "chats des moudjahidin (combattants de la foi, NDLR)".
En première ligne sur le front anti-Assad, ces djihadistes n'hésitent pas à sacrifier leur vie dans des attentats-suicides contre les positions du régime. "Ils s'attellent à toutes les tâches que les autres rebelles ne veulent pas assumer", pointe Mathieu Guidère, professeur d'islamologie à l'université de Toulouse-Le Mirail. Ces jusqu'au-boutistes soumettent les populations civiles, ainsi que les autres groupes rebelles, à leurs lois dans les territoires qu'ils "libèrent".
Charia
"À chaque victoire, ils nomment un gouverneur militaire, un juge islamique ainsi qu'un chef de police", poursuit Mathieu Guidère. "Ils appliquent la charia à la lettre, créent des écoles visant à apprendre le Coran et n'hésitent pas à exécuter de sang-froid comme au Mali." Des pratiques dénoncées par les groupes rebelles plus modérés, qui ont entamé début janvier une "seconde révolution" contre l'EIIL.
Car la percée des djihadistes inquiète au plus haut point les services secrets occidentaux, qui craignent que les djihadistes d'al-Qaida ne représentent une vraie menace dès lors qu'ils rentreront en Europe. Dès 2013, de nombreux services de renseignement ont d'ailleurs repris le chemin de Damas. Une position que le soldat Yilmaz dit ne pas comprendre.
État islamique
"Pourquoi le fait de vouloir aider ces gens et apporter le changement doit-il poser problème ?" demande le djihadiste. Entre les balles, Yilmaz se connecte souvent sur Skype pour parler à sa famille restée aux Pays-Bas. Des proches avec lesquels il rit souvent et fait part de ses rêves. "Le plus important est de ramener le peuple (syrien) chez lui, confie-t-il. Mais il est également très important de créer un État islamique, sous la loi islamique, pour diffuser le message d'Allah qui défend toujours les opprimés."
À tous ceux qui pourraient craindre, malgré tout, le retour du djihadiste en Europe, Yilmaz assure, implacable : "La plupart des frères ici, dont moi-même, sont venus pour mourir."
Armin Arefi