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vendredi 31 janvier 2014

Pour le renseignement américain, la Syrie est un “aimant énorme” pour les jihadistes


Le président Obama a tenu des propos pouvant sembler contradictoires lors de son discours sur l’état de l’Union, le 29 janvier. “Les Etats-Unis ont mis al-Qaïda sur le chemin de la défaite” a-t-il dit, avant d’ajouter que “la menace a évolué et des groupes affiliés s’enracinent ailleurs, comme au Yémen, en Somalie, en Irak et au Mali”.

“Au Yémen, en Somalie, en Irak et au Mali, nous devons continuer à travailler avec nos partenaires pour affaiblir ces réseaux et les rendre inopérants”, a encore déclaré le président américain. S’agissant de la situation malienne, M. Obama aurait pu préciser que les forces françaises engagées dans l’opération Serval, ont sévèrement mis à mal les groupes jihadistes liés à al-Qaïda depuis janvier 2013… Ou encore citer d’autres zones à risques, comme le Sinaï, la Syrie ou encore les zones tribales pakistanaises.

D’ailleurs, même si, selon le locataire de la Maison Blanche, que le “coeur” d’al-Qaïda (désigné outre-Atlantique par l’acronyme AQSL, pour al-Qaeda Senior Leadership) au Pakistan “n’est plus que l’ombre de lui-même” après la neutralisation de plusieurs de ses responsables, dont son chef historique, Oussama Ben Laden, il n’en reste pas moins qu’il a avancé l’argument des opérations anti-terroristes pour justifier le maintien de troupes américaines en Afghanistan après la fin de la mission de l’Otan, en décembre 2014.

Si, effectivement, le commandement central d’al-Qaïda a subi des revers majeurs au cours de ces dernières années, l’idéologie qu’il promeut se propage, notamment depuis les attentats du 11 septembre 2001. Desormais, de nombreux groupes terroristes lui ont fait allégeance (comme le GSPC algérien devenu, depuis 2007, AQMI, pour al-Qaïda au Maghreb islamique) ou s’en réclament.

“Les félicitations qui avaient été échangées il y a deux ans à la suite de l’annonce de la mort d’al-Qaïda étaient prématurées et sont aujourd’hui discréditées”, avait récemment affirmé, lors d’un colloque, le général James Mattis, ancien chef de l’US CENTCOM, le commandement militaire pour l’Asie centrale et le Moyen Orient. “Al-Qaïda est résiliente, elle s’adapte. Ses dirigeants ont été frappés très dur mais le mouvement est toujours en expansion. Il profite d’un nombre croissant de sanctuaires”, avait-il poursuivi.

“Al-Qaïda a contribué à la croissance du jihadisme. Elle l’incarne désormais, symboliquement, tandis que la réalité de la menace est portée par près d’une dizaine de mouvements majeurs imaginatifs, patients, résolus, tirant profit des hésitations ou des incohérences de leurs adversaires, auxquels aucune réponse politique, à supposer qu’il en existe une, n’est apportée”, écrit Yves Trottignon, un analyste senior au sein de Risk&Co passé par la DGSE où il a suivi de près les affaires de terrorisme, dans une note publiée le 9 janvier par le Centre de doctrine et d’emploi des forces (CDEF).

Ce constat est partagé par le général James Clapper, le directeur national du renseignement américain (DNI), qui s’en est expliqué lors d’une audition au  Congrès, le 29 janvier. Ainsi, ce dernier a évoqué une “dissémination” de par le monde de groupes proches ou liés à al-Qaïda. Plusieurs régions demandent une attention particulière, comme la Syrie.

Selon le DNI, ce pays, en proie à une guerre civile depuis bientôt 3 ans, est devenu “un aimant énorme” pour les jihadistes. Le renseignement américain évalue le nombre de rebelles syriens entre 75.000 et 110.000, dont 26.000 sont considérés comme “extrémistes”. Parmi eux, 7.000 sont des combattants étrangers, venus d’une cinquantaine de pays, essentiellement d’Europe et du Moyen-Orient.

“Nous assistons maintenant à l’apparition de complexes d’entraînement en Syrie pour former les gens et les renvoyer vers leur pays et, bien sûr, perpétrer davantage d’actions terroristes”, a prévenu James Clapper. Cela “nous inquiète beaucoup, en particulier pour le risque d’attaques terroristes conduites en Occident et émanant” du territoire syrien, a précisé Matthew Olsen, le directeur du Centre national contre-terroriste, également auditionné.

Toujours au sujet de la Syrie, James Clapper a évoqué, pour la première fois, une “capacité limitée” du régime syrien en matière de production d’armes biologiques, alors que Damas vient d’accepter la destruction de son arsenal chimique. Par ailleurs, il a estimé (mais il n’est pas le seul) que la poursuite du conflit en Syrie “va probablement exacerber les tensions régionales et confessionnelles”, notamment au Liban, mais aussi en Irak, où l’organisation jihadiste “Etat islamique en Irak et au Levant” (EIIL) a pris le contrôle de Falloujah et de Ramadi, à 60 km au nord de Bagdad.

Et pour le DNI, l’avenir de l’Irak, où la violence a atteint des niveaux comparables à ceux constatés en 2007/2008,  va “lourdement dépendre de la façon dont le gouvernement irakien fait face au défi croissant d’Al-Qaïda”. Et le pari est encore loin d’être gagné… La même chose est valable au Yémen, où Sanaa est confronté à un risque d’instabilité causé par la résurgence d’al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), les revendications séparatistes dans le sud du pays ainsi que la rébellion Houthiste (branche du chiisme) dans le nord.

Pour la Libye, le constat n’est guère plus optimiste. “La menace terroriste contre les intérêts occidentaux et gouvernementaux reste aiguë, surtout dans l’Est du pays”, a souligné James Clapper. La difficulté de contrôler les frontière ainsi que les “quantités massives d’armes en circulation déstabilisent davantage le pays, le Maghreb et la région sahélienne”, a-t-il expliqué.

La Somalie, où les Etats-Unis ont récemment mené plusieurs opérations, en particulier dans le secteur de Barawe, est “devenue un incubateur” pour les groupes jihadistes, qui sont à l’origine d’attaques de “plus en plus meurtrières”, comme celle lancée l’an passée au Kenya par les Shebabs.

Quant au Sahel, “les gouvernements de la région, particulièrement le Tchad, le Niger, le Mali et la Mauritanie, courent le risque d’attaques terroristes, essentiellement en représailles à leur soutien à l’intervention française” Serval, a avancé M. Clapper, qui a pu avoir un apeçu complet de la situation grâce à Jean-Yves Le Drian, le ministre français de la Défense, en déplacement à Washington la semaine passée. Pour l’anecdote (rapportée par le Journal du Dimanche), le DNI lui aurait même proposé un poste d’analyste au sein de ses services…