Dix ans après le renversement de Saddam Hussein, le pays sombre dans un sanglant chaos et devient une place forte des djihadistes.
"Mission accomplie !" Revêtu d'un blouson d'aviateur, bombant le torse face aux caméras, George W. Bush proclamait ce jour-là sur le pont du porte-avion Abraham Lincoln la fin victorieuse de l'expédition d'Irak. En ce 1er mai 2003 la guerre était encore fraîche et joyeuse. Les néoconservateurs qui s'étaient emparés du cerveau présidentiel après les attentats du 11 Septembre triomphaient. Venus de l'extrême gauche, ils avaient renié à peu près toutes leurs convictions, mais gardé de leur passé marxiste le goût des systèmes, des constructions idéologiques, des réponses théoriques.
L'Orient compliqué allait leur infliger la plus cruelle des humiliations, mettre en déroute leurs certitudes. Car, dix ans plus tard, l'affaire se solde par un désastre absolu. Jeudi 2 janvier, deux villes irakiennes, Fallouja et Ramadi, situées au coeur du pays sunnite, étaient partiellement sous le contrôle des combattants de l'État islamique en Irak et au Levant, une succursale locale franchisée d'al-Qaida. D'autres quartiers étaient aux mains de tribus armées rétribuées par le régime du Premier ministre chiite Nouri al-Maliki.
Pour les chrétiens, la valise ou le cercueil
Les sunnites, qui s'estiment, à juste titre, persécutés et marginalisés, sont majoritairement en révolte larvée ou ouverte contre Maliki le chiite. La communauté chrétienne se réduit comme peau de chagrin, préférant la valise au cercueil. En 2013, 9 475 civils sont morts dans des violences, 759, au cours du seul mois de décembre. En dix ans, plus de 180 000 Irakiens ont perdu la vie dans des combats ou attentats. À ce bilan il faut ajouter 4 400 Américains tués et plusieurs centaines de soldats de la coalition. 18 000 médecins ont fui l'Irak.
Si le coût humain est dramatique, le coût financier est vertigineux : le magazine Foreign Policy a calculé que l'ardoise s'élevait à 1 700 milliards de dollars, chiffre qu'il faut majorer de mille milliards de dollars pour tenir compte des intérêts des prêts destinés à financer la guerre.
Sur le plan stratégique le bilan est simplement apocalyptique. L'effondrement de l'Irak a pulvérisé la frontière historique entre l'Iran chiite et le monde sunnite. Elle a ouvert un boulevard à Téhéran. Avant 2003, il n'y avait aucun terroriste islamiste en Irak. Saddam avait en effet la déplorable habitude de les expédier préventivement au paradis des mille vierges promis aux martyrs de la cause. Aujourd'hui, les compagnons de route d'al-Qaida, aidés par certains groupes fondamentalistes syriens, ont constitué des sanctuaires. Le chaos en Syrie et la perméabilité des frontières leur ouvrent un champ de manoeuvre inespéré.
Quant à Nouri al-Maliki il s'efforce de persuader la communauté internationale qu'il n'est pas seulement une marionnette de l'Iran où il a jadis vécu en exil et où il se trouvait en voyage officiel début décembre. Il tente de gouverner un pays en pleine anarchie sous la protection d'une garde prétorienne de 6 000 hommes, les "Fedayin al-Maliki" qui n'a rien à envier à celle de Saddam. Beau résultat !
La moitié de la ville de Falloujah est sous le contrôle de combattants liés à al-Qaïda
En novembre 2004, à l’issue d’un peu plus 20 jours de combats, l’armée américaine avait réussi à prendre le contrôle de la ville de Falloujah, alors contrôlée par plusieurs groupes de la mouvance jihadiste, avec l’engagement de 45.000 hommes contre un adversaire fort d’environ 3.000 combattants. La configuration de cette cité était favorable à la guérilla, d’où le volume de forces et les moyens engagés.
Presque 10 ans plus tard, et sans les mêmes moyens que ceux mis en oeuvre par l’armée américaine, les forces de sécurité irakiennes sont à nouveau confrontées à des combattants liés à al-Qaïda ayant pris le contrôle de la moitié de la ville. Même chose à Ramadi, chef-lieu de la province (sunnite) d’al-Anbar. D’ailleurs, c’est dans les environs de cette ville que tout a commencé, le 30 décembre.
Ce jour-là, un camp de protestataires anti-gouvernementaux, présenté comme un “repaire d’al-Qaïda”, a été démantelé sans ménagement par les forces de sécurité irakienne. Depuis, des heurts ont éclaté et se sont propagés à Falloujah et Ramadi. Le 1er janvier, le commissariat principal de Falloujah a été attaqué par des hommes armés, lesquels ont ainsi fait évader une centaines de détenus. Quant aux policiers, ils ont pris la fuite.
La moitié de Fallouja est entre les mains de l’EIIL (l’Etat islamique en Irak et au Levant, un groupe lié à Al-Qaïda, ndlr) et l’autre partie est sous le contrôle” de membres de tribus armés a ainsi expliqué un reponsable du ministère irakien de l’Intérieur.
Bien évidemment, il est impensable pour Bagdad de laisser cette situation en l’état. Les forces spéciales irakiennes ont été envoyées sur place. “Nous sommes entrés dans Fallouja, ville de la province d’Al-Anbar située à 60 km à l’ouest de Bagdad, et des combats acharnés s’y déroulent”, a commenté leur commandant, le général Fadel al-Barwari. A Ramadi, ce sont des policiers alliés à des tribus locales qui combattent les insurgés, notamment à l’est de la ville, om des dizaines de camions ont acheminé des hommes lourdement armés appartenant visiblement à EIIL.
Les combattants liés à la mouvance d’al-Qaïda profitent de la situation en Syrie pour mener des opérations en Irak où l’année 2013 aura été la plus meurtrière depuis 5 ans, avec plus de 9.400 civils tués.