Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

lundi 25 novembre 2013

La DGSE a-t-elle cherché à éliminer le prêcheur radical Abou Hamza à Londres?


Les services secrets français opérant à Londres auraient envisagé de kidnapper Abou Hamza al-Masri, l’imam intégriste d’origine égyptienne et de l’emmener secrètement en France pour prévenir toute tentative d’attentat contre la Coupe du Monde de football en 1998.

Six ans plus tard, les Britanniques ont arrêté l’islamiste radical qui régnait sur la mosquée de Finsbury Park où s’étaient ressourcés à ses prêches, violemment anti-occidentales, plusieurs extrémistes dont le Français Zacarias Moussaoui.

Les révélations de deux reporters du Times démontrent le degré d’inquiétude qui régnait à Paris autour de la liberté d’action accordée par Londres aux propagandistes proches d’Al-Qaïda.«Une fois qu’il aura mis son pied dedans, ce sera fait». Ainsi parle Jérôme, un représentant de l’ambassade de France à Londres dont on ne connaîtra que le prénom, lorsqu’il intrigue avec Reda Hassaine, un journaliste algérien chargé par les services secrets français d’espionner les activités des islamistes de la mosquée de Finsbury Park.

Son idée est de sauter sur Abou Hamza dans une rue isolée, le pousser dans une camionnette, rouler jusqu’au port de Douvre, monter à bord d’un ferry français et livrer l’imam aux prêches haineuses à un juge anti-terroriste parisien.

 L’échange entre les deux hommes a lieu en mars 1998, à quelques mois du coup d’envoi du Mondial au Stade de France.«Ce que les Français projetaient de faire n’était pas moins que d’enlever un citoyen britannique en plein Londres et de l’emmener devant la justice française», écrivent Sean O’Neill et Daniel McGrory dans «The Suicide Factory», publié en feuilleton et dont la parution est prévue pour le 19 juin prochain.

 «Le scandale pouvait dépasser le retentissement de l’affaire du Rainbow Warrior (…) Mais la frustration des autorités françaises à l’égard de la Grande-Bretagne avait atteint un tel degré qu’aucune option n’était écartée», expliquent-ils.

A l’époque, les autorités françaises reprochaient à leurs homologues d’Outre-Manche ce que les deux auteurs appellent le «pacte faustien» conclu avec les islamistes réfugiés à Londres. Les extrémistes avaient toute liberté de s’organiser, prêcher ou diffuser leur propagande anti-occidentale aussi longtemps qu’ils ne provoquaient pas de troubles sur le sol britannique.
  Le ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement en perdait jusqu’à son sommeil; Paris vivait sous la menace d’une attaque terroriste et craignait tout particulièrement une action meurtrière des groupuscules algériens.
 
L’opération audacieuse restera au stade du scénario et les Bleus remportèrent avec Zinedine Zidane la Coupe du Monde face au Brésil au Stade de France. De son côté Abou Hamza bénéficiera de la permissivité des Britanniques jusqu’à leur revirement dans la lutte anti-terroriste en 2003.

Il fut arrêté en mai 2004 et condamné en février dernier à sept ans de prison pour incitation la haine raciale et au meurtre. Celui que la presse britannique a baptisé «Capitaine crochet» en raison de son appendice métallique est réclamé par les Etats-Unis qui veulent le juger pour des actes terroristes.
 
 

LA BOMBE

Jérôme, de son vrai nom Gilles Gérard, le chef d’antenne de la DGSE mais officiellement premier secrétaire de l’ambassade de France en Grande Bretagne, est sous le choc.
 
Il devait être profondément déçu. Il a dû comprendre à quel point Paris avait tort de me « congédier » comme elle croyait l’avoir fait, avec si peu d’élégance.
 
« Paris voudrait rompre avec vous… » M’avait-il dit quelques mois plus tôt. Mais Paris s’est-elle seulement posée la question si Réda Hassaïne, lui, voudrait rompre avec elle ? S’est-elle interrogée un seul instant si celui qu’elle croyait être l’agent  de ses services d’espionnage n’est en fin de compte qu’un journaliste curieux qui a décidé un jour d’infiltrer ce monde mystérieux de l’espionnage ? A l’ambassade de France à Londres, c’est le branle bas de combat.

Dans le bêtisier des Services secrets que j’ai eu à découvrir en six années d’investigations, je retiendrai cet épisode comme étant celui du mépris et de l’arrogance. Ils méritent bien l’oscar de la goujaterie, eux, les maîtres du raffinement et de la délicatesse.

Quel paradoxe ! Mon expérience dans ce milieu m’a appris qu’en plus de leur gaucherie, la majorité des agents secrets ne sont ni des artistes, ni des stratèges. Ce ne sont que des Poulets 1er choix, avec une légère variation sur le taux de sottise. Ils sont loin d’avoir le glamour qu’on leur suppose quand on songe à tous les play-boys qui leur ont prêté leur image.  

Quand je pense à ce provincial du MI5 !… Kévin, l’officier traitant des agents secrets de sa majesté la reine Elizabeth II, devait être fou de rage. « Mais pourquoi tu as fait ça, Réda ? » ne cessait-il de répéter.« Please, keep your mouth shut ![1] » Il me suppliait d’enterrer le reste de mon histoire. Il voulait acheter mon silence pour le prix dérisoire de… 500 livres Sterling !

C’est ce qu’on appelle l’humour anglais…quoi ! Lui, aussi, ignorait tout de ma curiosité journalistique qui m’a poussé de forcer un jour les portes verrouillées des services secrets.

Quelle aventure, mon Dieu ! Que de chemin parcouru ! Que de mystères levés ! Que d’énigmes résolues ! Finalement ce monde de l’espionnage et du secret j’ai fini par le pénétrer. Il fallait user de beaucoup d’intelligence doublée de malice et saupoudrée d’audace. Cela n’a pas été de tout repos pour le gamin de Bab El Oued, ce quartier populaire et populeux d’Alger.
 
Combien de fois, au cours de ces six années, je me voyais, à bout de force, me résoudre à mettre fin à l’aventure. Le journaliste que je suis a toujours été démangé par le virus de la communication.

« Il est temps d’en finir avec cette histoire. Il est temps de livrer au public ma récolte » m’étais-je dit très souvent. Mais, le tourbillon du monde secret ne connaît pas de fin. Jusqu’au jour où…  

Le mercredi 4 octobre 2000, au soir, j’ai envoyé à David Leppard, chef de la rubrique « Insight » du Sunday Times une demande de recrutement à titre permanent au sein de son journal. Ma demande était accompagnée d’un CV bien rempli. Je dois noter à ce sujet qu’en Angleterre, le mieux pour un journaliste c’est de se spécialiser.
 
Pour un étranger comme moi, je ne pouvais écrire sur le sport ou la politique, les Anglais s’y débrouilleraient certainement mieux que moi. Il me fallait trouver une spécialité où les journaux ont des lacunes, comme c’était le cas pour la compréhension de l’islamisme. J’avais donc pris la précaution d’axer mon CV autour de cet aspect.

David Leppard me connaissait bien sûr. Il avait été très satisfait du travail que j’avais fait pour son équipe quand j’avais aidé le reporter Jason Burke à réaliser son enquête sur le réseau des vidéocassettes subversives. Je devais reprendre mon boulot de journaliste. Je devais sortir de l’anonymat et user de ma plume comme j’ai toujours aimé le faire.
 
Avant de renouer avec le stylo, pardon, le clavier et avant de me mettre à chercher le scoop, c’est moi qui devait faire l’événement en révélant successivement dans le Sunday Times et The Observer quelques bribes de cette incroyable histoire qui ont fait la une de ces deux grands journaux britanniques sur l’infiltration des services secrets français et britanniques. C’était la fin d’une aventure pas comme les autres…  
           
Après une période difficile et un séjour de deux mois dans un hôpital londonien, je prends la décision d’approcher les services secrets français.  

Mai 1997, dès que j’ai repris mes forces, je suis allé rendre une petite visite de courtoisie à l’attaché de presse de l’ambassade de France, Charles Fries. Comme il me fallait un prétexte, je lui ai fait part de mon désir de réintégrer la nationalité française.
 
Etant natif avant le 5 juillet 1962, date de l’indépendance de l’Algérie, sur un territoire qui était considéré français, je suis, donc, français par les liens …du sol. Bien que mon argument ne manquait pas de consistance, j’ajoute une petite touche du genre « je vous aime, donc je vous fait des confidences ».
 Je lui glisse une grosse puce à l’oreille en lui faisant comprendre que j’avais des informations de toute première importance sur les attentats de Paris de juin 1995 et que j’avais des tuyaux sur les auteurs de ces attentats.   Cela ne manqua pas de le surprendre. Il est perplexe. Très vite, il mord à l’hameçon. Il me prie de lui laisser mon numéro de téléphone.

Le lendemain, il m’appelle pour m’inviter de me présenter au consulat de France où je serais reçu par Patrick Audaire, chargé de l’état civil. Je comprends tout de suite que ce M.Audaire était plutôt vice-consul spécialisé dans l’état civil des islamistes. Il me reçoit avec beaucoup de courtoisie. De suite, il entame la conversation sur les islamistes basés à Londres.

Il oublie complètement l’objet de ma prétendue visite, à savoir ma demande de réintégration à la nationalité française.   M.Audaire ne s’embarrasse pas de faux alibis, les sous-entendus et les clins d’œil valent mille papiers officiels. Pour ma réintégration, il est clair « cette loi est dépassée, mais on peut faire autre chose pour vous »me glisse-t-il avant d’ajouter « il va falloir rencontrer quelqu’un de l’ambassade qui prendra contact avec vous par téléphone. »

Il me fait comprendre que je pourrais acquérir la nationalité française si j’acceptais de jouer le jeu. Autrement dit, je serais français pour services rendus.   M.Audaire m’a promis qu’on me rappelle dans quarante-huit heures. Promesse tenue. Deux jours plus tard, mon téléphone sonne. Au bout du fil un nouveau correspondant. C’est Jérôme. Il me demande de passer à l’ambassade de France pour affaire me concernant.  

Le lendemain, par une journée printanière digne d’un mois de mai, à dix heures sonnantes je me présente devant la porte de l’ambassade de France à Knightbridge dans le quartier chic où se trouve le célèbre magasin Harrods de Mohamed El Fayed, cet égyptien qui a failli être le beau père de la princesse Diana.

Mon arrivée coïncidait avec celle de son excellence l’ambassadeur Daniel Bernard. Je devais m’effacer le temps de le laisser pénétrer l’imposante bâtisse qui abrite la représentation diplomatique française auprès de sa majesté la reine d’Angleterre.   En franchissant le seuil de la bâtisse, je salue le gendarme qui est en faction dans sa loge de réception et l’informe que je suis attendu par M. Jérôme. Un nom qui ne semblait pas dire grand chose au gendarme.

C’est normal. Ce n’est qu’un pseudonyme d’agent secret. Il jette un coup d’œil sur un registre et me fit signe d’entrer.   Un homme de type méditerranéen, une moustache barrant un visage bien rasé, élégant dans un costume de couleur anthracite vint à ma rencontre et me serra la main. Il m’invita à le suivre jusqu’à la dernière porte située au bout d’un large  couloir.

Il m’invita à entrer dans une immense salle de réunion où trônait une très grande table autour de laquelle étaient rangées une vingtaine de chaises. Tout en traversant le couloir qui m’amenait vers la salle de réunion, je ne cessai de penser au boulot qui m’attendait. Et quel boulot ! Je dois, tout d’abord, connaître le véritable nom de cet homme qui me reçoit en agissant sous le sceau de l’anonymat.

Ensuite, il va falloir découvrir le fonctionnement de ces services d’espionnage français et tout ce qui va avec.  
D’une corpulence ordinaire, Jérôme n’a rien du James Bond au corps d’athlète qu’on voit dans les films d’espionnage. Les lunettes qu’il portait lui donnait plutôt l’air d’un intellectuel. Il est loin d’être cet homme d’action qui dégaine à la première alerte ou qui peut vous envoyer en l’air d’une prise de judo ou vous assommer d’un coup de poing dont vous vous souviendrez longtemps.

Finalement, cet espion français n’a rien d’extraordinaire. Il est comme le commun des mortels. Il était loin de m’impressionner. Bien au contraire, je me suis senti avoir des ailes devant lui du moment que dans ma tête c’était moi qui tenait le gouvernail. Je venais pour une mission précise. Infiltrer les services de renseignements français.  

La conversation est vite entamée. Le courant passe bien entre nous deux, malgré le fait que j’étais agacé de ne pas pouvoir fumer. Jérôme enclenche sur le sujet de l’acquisition de la nationalité française. Il ignorait qu’au fond de moi, je n’en avais nullement besoin. Et si c’était une question de papier, j’ai déjà une vraie-fausse carte d’identité française qui m’ouvrait toutes les portes.  

« Vous savez, Monsieur Hassaine, pour la nationalité française, il suffit que je mette une lettre de recommandation dans votre dossier pour que celui-ci passe en priorité. S’il est en bas, il sera d’un coup là » en tapant avec force sa main sur la table, comme pour me convaincre.    « Et que dois-je faire pour que vous me fassiez cette lettre de recommandation ? » ai-je demandé sur un ton naïf.
 
« La France est sous la menace d’attentats terroristes, vous connaissez le milieu, , leurs habitudes, leur façon de réfléchir, leur façon de communiquer, vous parlez leur langue . Vous êtes tout désigné pour pouvoir accomplir cette mission qui est celle d’infiltrer le hard core du GIA en Grande Bretagne et plus précisément à Londres » me répond-il avec un sourire en coin.
 
Et sans tergiverser, il me lance : « Connaissez-vous les milieux islamistes à Londres ? » Je réponds « bien sûr. » Et je commencé à lui citer quelques noms parmi les plus connus. J’en profite pour faire un peu mon cinéma. Histoire de l’impressionner. A la fin, je conclus : « Vous savez que ce sont les Services algériens qui sont derrière les attentats de Paris ? »

Ce qui m’a permis d’avancer cette allégation c’est qu’à la veille des attentats de la station de métro St-Michel en France, une réunion très importante s’était tenue à l’ambassade d’Algérie à Paris. J’étais au courant de la tenue de cette réunion pour avoir su que le colonel Ali chef du bureau de sécurité de l’ambassade d’Algérie à Londres s’y était rendu.

Mais, l’ordre du jour était autre que les attentats de Paris que les Algériens étaient loin d’imaginer. Le principal point à l’ordre du jour de ce conclave portait sur la préparation des élections présidentielles qui allaient se dérouler en Algérie en 1995 avec une fraude à grande échelle pour assurer une majorité confortable au candidat le General Zeroual Cette réunion était présidée par le chef d’antenne des Services algériens à Paris. Alors, pure coïncidence ?
 
Pour Jérôme, oui. Il me rétorque : « Oh que non, vous avez tout faux. Ce sont bel et bien les purs et durs du GIA qui les ont commis. »    Il enchaîne pour me demander si je pouvais le rencontrer dans les jours à venir « dans un autre lieu que je vous indiquerai plus tard. »  -Pas de problème, Monsieur Jérôme. Je suis à votre disposition. J’attends votre coup de fil.
 
Je prends congé du chef des espions français au Royaume Uni tout en réfléchissant à notre prochaine rencontre. Le match sera chaud. Qui de nous deux piègera l’autre ?   Trois jours plus tard, nous nous retrouvons « Chez Victor », un restaurant français dans le quartier de Knightbridge. Nous nous attablons dans la salle du sous-sol loin des regards indiscrets. La discussion a du mal à démarrer.
 
Ce n’est qu’après un deuxième verre de vin rouge que mon interlocuteur semble se décoincer. Nous évoquons longuement ces chères relations algéro-françaises et notre éternelle passion où s’alternent amours et désamours. A l’occasion, l’homme a tenu à dénier aux généraux algériens toute accointance avec les cercles de décision parisiens.

A l’appui de sa réflexion, Jérôme fait remarquer que ce sont précisément ceux qui ont le mieux connu la France parmi ses anciennes colonies qui sont devenus ses pires ennemis, que ce soit en Algérie, au Cambodge, au Vietnam ou ailleurs. « Ce sont justement ceux qui connaissent bien la France qui la détestent le plus. » professe-t-il avec conviction.

Tout au long de la conversation, j’avais l’impression que je me livrais à une véritable partie de jeux d’échec avec Jérôme. Je me gardais de lui donner une quelconque information autre que ce que je voulais. Je retrouve ma nature de journaliste en jouant  à l’intervieweur.

Je le bombarde d’une série de  questions sur l’Algérie et les relation franco-algériennes. Ses réponses sont directes et reflètent sa parfaite maîtrise de la situation en Algérie. Les quelques verres de vin rouge ingurgités au cours d’un copieux repas ont donné de la verve à Jérôme.
 
Est-il si vulnérable à la boisson ou est-ce une volonté de sa part de vouloir m’impressionner en faisant étalage de ses connaissances sur les différents sujets abordés ? C’est ce que je chercherais à savoir lors de nos prochaines rencontres.      Nous en sommes restés à ces premiers contacts. L’été et les vacances nous ont imposé une rupture momentanée. Le soleil étant une denrée rare, il fallait en profiter. Comme quoi, même les Services secrets ont le droit de partir en vacances.    

Vers la fin du mois de septembre 1997, Jérôme est revenu à la charge. On avait rendez-vous devant l’hôtel Sheraton, juste en face de l’ambassade de France. Nous nous rendons à pied à la Pizzeria « On the green » pas loin de  Hyde Park. Lors de cette rencontre, celui qui se présentait comme simple diplomate finit par m’avouer son appartenance aux services de renseignements français.

Il me demande solennellement de travailler pour la D.G.S.E après m’avoir appris que Paris a donné son feu vert pour mon recrutement. Feignant d’être ravi de cette aubaine, je joue à l’exigeant. Chez nous, il y a un proverbe dit : « On n’achète pas le poisson tant qu’il est à la mer. »    

Je commence par poser une première condition en lui disant:  « vous me demandez d’intégrer la DGSE, je suis d’accord à la condition que vous acceptiez ma réintégration à la nationalité française. » -      

«  Ce n’est pas si facile que ça pour obtenir la nationalité française. Une fois que vous auriez fait vos preuves avec des résultats probants, je serais en mesure de faire cette lettre de recommandation et de taper sur la table » me répond Jérôme. -        

Et pour la rémunération. Comment et combien vous allez me payer ? » - c’est à la pièce  - Comment ça, à la pièce ? -        

Pour le comment ça sera par cash. Par enveloppe. Et pour le combien c’est en fonction de l’information et de ce qu’on vous demande de faire. Lors de chaque rencontre, vous me remettez un rapport d’information et je vous remets une enveloppe.        

Là, c’est autre chose que vous me demandez. Ecrire, ça va coûter cher. Moi, je pense que je dois me limiter à vous livrer mes informations verbalement.

Et c’est à vous de les écrire. -  D’accord,Vous aurez une rémunération qui varie entre 200 et 300 Livres Sterling par enveloppe. Vous aurez à signer une décharge.  -      
 
Marché conclu. Vous voulez alors, quoi  ? Vous cherchez qui et quoi ? Quelles sont vos intentions ?   Son objectif était clair : infiltrer le GIA. Donc, il voulait infiltrer la mosquée de  Abou Qatada et il voulait infiltrer celle de Abou Hamza les deux plus virulents prêcheurs d’un islamisme radical et chefs spirituels des organisations terroristes.
 
Il commence par me citer des noms, des dizaines de noms. Ils ne me revenaient pas. Je lui ai demandé leurs photos. Là, j’ai fait le malin. Je faisais semblant de reconnaître quelques têtes sur les photos en commentant : « Celui-là, je l’ai déjà vu quelque part… Il s’appelle comment déjà ?… Ah oui, ça me revient, parce qu’avant, il avait une barbe plus large, un look différent ».

Et j’enregistrais ainsi une foule d’informations que Jérôme me fournissait, élargissant par là même ma banque de données.   Les français étaient obnubilés par la nébuleuse islamiste à la veille de l’organisation de la coupe du monde de football. Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’intérieur, ne fermait pas l’œil de la nuit, me disait Jérôme.

Dans son sommeil, le spectre des attentats n’avait de cesse de le tarauder.   Oui, les Français avaient une peur…bleue des islamistes. Ils étaient littéralement sidérés par cet attrait pour la mort qui est le propre des kamikazes d’Allah.

« Ces gens-là ne reculent devant rien », disent-ils. « Ils n’ont pas peur de la mort. Au contraire, ils sont heureux de mourir. » La crainte des Français ira empirant en ayant la confirmation qu’une vague d’attentats menaçait sérieusement de leur gâcher la fête durant cet été 98. Ils se sont alors décidés à mettre les islamistes sous surveillance au cheveu près.  

Cette peur se justifiait par le fait que les Français avaient une autre expérience des islamistes. Jusque-là, les organisations terroristes se réclamant de l’islam n’avaient commis aucun attentat en Angleterre. Elles y avaient tout intérêt. Les Anglais avaient fondé toute leur stratégie sécuritaire sur un deal.
 
Un deal tacite qui disait : « faites ce que vous voulez. Ecrivez ce que voulez. Insultez qui vous voulez. Mais, pas d’attentat sur notre territoire. » Pour eux, ce qui se passait ailleurs était l’affaire intérieure des pays concernés. Leur affaire à eux c’était de juguler ce fléau à leur manière. On avait beau dénoncé le cynisme anglais en la matière, force est de reconnaître que leur stratégie a plutôt été payante.

Les britanniques ont compris que les islamistes avaient bien besoin d’une zone de repos. Une zone de vie. Ils se sont arrangés pour ramasser tous les opposants islamistes chez eux. A la condition que cela ne fasse pas désordre.

C’était évidemment, avant le 11 septembre et le coup de force US qui a remis de l’ordre dans la maison Europe par-dessus la tête de chacune de ses nations et leurs politiques de sécurité respectives.  
 
En France, le topo est sensiblement différent. Il faut d’abord noter qu’avec deux millions d’Algériens dans l’Hexagone, sans compter les autres composantes de la diaspora arabo-musulmane, les islamistes avaient des relais communautaires très solides en France.

La communauté maghrébine est une véritable caisse de résonance de tout ce qui se passe en Algérie et dans le Maghreb. On ne serait, dès lors, pas étonnés que le GIA ait une «filiale » naturelle outre Méditerranée. Nous en avons eu la preuve par neuf à travers les attentats de Paris de 1995.    

Outre cet événement, les intérêts français en Algérie ont été, d’entrée, des cibles de choix des groupes terroristes. On peut citer, en l’occurrence, tout une série noire entamée par l’assassinat de plusieurs membres du personnel diplomatique français en 1993.
 
On se souvient particulièrement de l’émoi provoqué par le massacre des sept moines trappistes du monastère de Tibhirine en 1996. Mais l’acte culminant aura sans doute été cette spectaculaire prise d’otage de passagers d’Air France le 24 décembre 1994 quand un commando du GIA avait pris d’assaut un Airbus de ladite compagnie à même le tarmac de l’aéroport Houari Boumediene d’Alger.
 
Autant d’événements qui permettent aujourd’hui de dire que les Français avaient tout intérêt à prendre ces menaces au premier degré et à considérer le terrorisme comme l’ennemi numéro un de leur sécurité.    

A l’issue de cette entrevue, Jérôme me demande de vérifier une information dans la mosquée de Brixton. Je dis « OK, mais il me faut £200 pour les frais de déplacement. » Dans cette mosquée prêchait un imam algérien qui s’appelait Cheikh Mokrane. Les Français l’appelaient « l’imam queue de cheval », allusion à la manière dont il s’attachait les cheveux.

En fait, ce n’était pas une mosquée. C’était une salle de sport que louaient les fidèle, le vendredi jour de prière collective. Dans le hall de cette dite mosquée on  trouve des jeunes qui vendent des baskets, des Lévi’s, des objets volés qu’ils essayent de fourguer et tout le toutim.  En un mot, c’est le souk hebdomadaire des trafiquants de tous genres qui n’ont rien à voir avec l’Islam.
 
Les £200 me sont promises pour la prochaine rencontre. Il n’avait pas sur lui la décharge que je devais lui signer. Il faut dire qu’en France mêmes les services secrets sont régis par la bureaucratie. Et elle leur joue, souvent, de très mauvais tours. C’est leur point faible dans la course au renseignement dès qu’ils sont en concurrence avec d’autres rivaux.

On se quitte, donc, sur une commande que venait de me faire le boss de la DGSE au Royaume Uni.  

Jérôme était content. Il croyait avoir réussi à recruter un agent qui lui servira d’infiltrer les milieux islamistes en Angleterre. De mon côté, je ne pouvais que me féliciter d’avoir réussi à infiltrer les services de renseignements d’une des plus grandes puissances de la planète.