Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mercredi 30 octobre 2013

Otages d'Arlit : les dessous d'une négociation très secrète


On ne connaît évidemment pas aujourd'hui le secret des négociations qui aboutirent, le 29 octobre, à la libération des quatre otages d'Arlit. On sait qu'elles furent longues et difficiles, pleines de rebondissements, pendant les trois ans de captivité des quatre Français enlevés en septembre 2010 dans la cité minière d'Arlit, au nord du Niger. On sait aussi que ce sont les autorités nigériennes qui ont dénoué le dur martyre des captifs du désert. En voyage officiel à Bratislava, François Hollande a remercié chaleureusement Mahamadou Issoufou, le chef de l'État nigérien, de son aide. Plusieurs raisons semblent expliquer le succès du président Issoufou.

La première : Mahamadou Issoufou, très lié à la France (il est diplômé de l'école d'ingénieurs de Saint-Étienne), a fait des libérations un dossier personnel dés son arrivée au pouvoir. Les otages avaient été enlevés au Niger et, pour les forces de sécurité, c'était une humiliation. Le Niger devait laver l'affront.

Deuxième raison : le choix des médiateurs désignés par Mahamadou Issoufou. Le président nigérien a mis immédiatement en place à son arrivée au pouvoir une cellule chargée de leur libération dirigée par l'un de ses conseillers, Mohamed Akotey, un Touareg. Tous ont travaillé étroitement avec la DGSE, les services français. Ancien ministre de l'Environnement passé par la Sorbonne, président du conseil d'administration d'Areva Niger, Mohamed Akotey, homme calme et secret, est un membre important de la communauté touareg des Ifoghas. Lui-même est un ancien rebelle, et il est le neveu de Mano Dayak, Touareg mythique de la rébellion des années 1990. Akotey a des cousins de l'autre côté de la frontière, chez les Ifoghas maliens. Il était donc l'homme idéal pour entrer en relation avec les communautés au nord du Mali, puis ensuite avec les Touareg qui, semble-t-il, ont récupéré les otages ces derniers mois.

C'est la dernière raison du succès nigérien : depuis l'intervention militaire franco-africaine l'hiver dernier au nord du Mali, la situation a beaucoup changé dans la zone saharienne où étaient détenus les otages. L'opération militaire a donné un grand coup de pied dans la fourmilière djihadiste. Les groupes armés ont été affaiblis et Abou Zeïd, le ravisseur des Français d'Arlit et principal chef d'Aqmi, a lui-même été tué en mars. Son élimination a aidé au dénouement du drame. Il réclamait 90 millions d'euros, ne voulait pas transiger, et Mohamed Akotey l'avait rencontré deux fois en vain.

Ag Ghali, un personnage-clé

Abou Zeïd tué, tous se sont inquiétés pour les otages. On ne savait ni où ils étaient ni qui les détenait. En fait, les Algériens et autres étrangers du groupe ont quitté précipitamment le nord du Mali et les otages sont passés au Mali, au moins ces derniers temps, "sous la garde" de jeunes Touareg appartenant au groupe islamiste d'Ansar Dine, dirigé par Iyad ag Ghali, le Touareg islamiste allié à Aqmi et Abou Zeïd. Ag Ghali est un personnage connu. Ancien vice-consul du Mali à Riyad, ex-conseiller de l'ancien président de la République malienne, il a lui-même joué les médiateurs dans des libérations d'otages. Des libérations qui lui ont permis de s'enrichir. Ag Ghali appartient à un des clans touareg de la puissante tribu des Ifoghas. Mohamed Akotey a donc joué de ses relations avec les Ifoghas de la région de Kidal pour intervenir auprès de lui. Il a incité les chefs de clans touareg à lui refuser la possibilité de rester dans leur région s'ils gardaient les Français en captivité.

Les pressions ont abouti. Iyad ag Ghali (ainsi que ses lieutenants) est recherché par l'Algérie dont l'islamiste touareg était hier très proche, recherché par le Mali en tant que chef djihadiste et par le Niger qui craint d'être déstabilisé. Akotey a pu proposer à Ag Ghali de négocier sa sécurité contre la libération des captifs.

Premier point : en mai, alors que l’opération Serval baisse en intensité, le dossier est repris en main par le ministère de la Défense. En ont alors été écartés le colonel Gadoullet, un ancien de la DGSE déjà intervenu dans cette affaire , ainsi que les groupes employeurs des 4 otages. La solution retenue passe par Pierre-Antoine Lorenzi, président de la société de sécurité Amarante et proche de Cédric Lewandowski, le directeur de cabinet de M. Le Drian.

Pourquoi ce choix? Parce que M. Lorenzi travaille avec Mohamed Akotey, lui-même proche du chef de l’Etat nigérien et président du conseil d’administration d’Imouraren SA, la filiale d’Areva au Niger. Or, il se trouve qu’il était un “intermédiaire privilégié”, écrit Le Monde, d’Abou Zeïd. Et cela, jusqu’à la mort de ce dernier, tué par une frappe française dans l’Adrar des Ifoghas (Nord-Mali). Apparemment, l’ancien ministre nigérien aurait pu garder des contacts avec les anciens lieutenants du chef terroriste, notamment avec un certain Choureb.

Quoi qu’il en soit, et malgré, apparemment, les réticences de Bernard Bajolet, le directeur de la DGSE, à verser une rançon aux ravisseurs, conformément d’ailleurs à la ligne fixée par le président Hollande à ce sujet, un accord a ainsi pu être trouvé. Toujours selon Le Monde, qui s’appuie sur des sources proches du renseignement français, une équipe de 18 personnes, composée de français et de touareg, est partie de Kidal, le 21 octobre, pour rejoindre une zone près des frontières mauritanienne et algérienne, à l’extrême-nord du Mali.

Si cette petite équipe est partie chercher les otages sans matériels de communication afin d’éviter de se faire repérer, elle a renvanche emporté avec elle au moins 20 millions d’euros pour payer les ravisseurs. Du moins, c’est qu’a affirmé, au Monde, une “une source française connaissant les détails de cette opération”. Le quotidien ajoute que “l’argent a été prélevé sur les fonds secrets alloués aux services de renseignement” et qu’il été acheminé “par la DGSE jusqu’à Kidal” avant d’être remis “à Mohamed Akotey et aux hommes d’Amarante. Les services français apportent la logistique (voitures, armes, hélicoptères, avion). Amarante fournit les contacts locaux”.

Le versement d’une rançon de 20 à 25 millions d’euros en échange de la libération des 4 otages enlevés à Arlit a été confirmé, à l’AFP, par une source proche des négociateurs nigériens. Cette somme a “servi à payer les ravisseurs ainsi que les intermédiaires”, a-t-elle ajouté, sans toutefois être en mesure de préciser d’où venait cet argent.

Le journal El Watan a annoncé, sur son site Internet, que les services Algériens ont été mis à contribution lors des négociations pour la libération des otages français. Les journalistes d’El Watan écrivant en effet qu’«il y a deux mois, les Qataris, qui entretiennent de bonnes relations avec les mouvements salafistes en Syrie et en Libye, sont intervenus à la demande des Français, et sont entrés en contact avec des cadres d’Ansar Eddine, affirme une source sécuritaire algérienne. Pour montrer leur bonne volonté, les autorités maliennes ont arrêté leurs recherches contre 20 combattants d’Ansar Eddine.»

Cette décision a été interprétée comme un premier pas pour le chef du mouvement, Iyad Ag Ghaly, ancien leader de la rébellion touareg, qui a donc mobilisé ses réseaux, très importants dans tout le nord du Mali. Pendant ce temps, ajoute la même source, les Algériens, qui voient toujours d’un mauvais œil l’intrusion du Qatar dans les affaires maghrébines, ont aussi mené une opération parallèle. «Il y a quelques jours, Mustapha Ould Chafii, s’est rendu à Alger», assure un cadre des renseignements. Ce Mauritanien, conseiller du président burkinabé Blaise Compaoré, est aussi un homme d’affaires, «déjà sollicité lors des pourparlers précédents pour la libération d’otages au Mali».

Toujours d’après les services de renseignements algériens, le chef terroriste Abou Zeid, responsable de l’enlèvement des otages français, a été tué en mars dernier lors d’une opération pour libérer les otages, qui visait précisément son groupe, la katiba Tariq Ibn Zyad. Les négociations ont été menées par son successeur, l’Algérien Saïd Abou Moughatil, et le Tunisien Abou Mohamed, un cadre du groupe, qui maîtrise plusieurs langues et auquel Abou Zeid avait souvent recours lors des négociations. La source du journal précise enfin que les quatre otages français ont été libérés en contrepartie de prisonniers islamistes au Mali.

Mohamed Akotey, l'homme derrière la libération des otages 



Mohamed Akotey, 46 ans, figure touareg et ex-ministre nigérien, est le grand artisan de la libération mardi des quatre otages français capturés en 2010 par al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Né à Tidène, dans une vallée à 80 kilomètres au nord d'Agadez, le négociateur de Niamey est connu comme un homme de réseau, que sa naissance dans une grande famille touareg et ses études - interrompues - en France ont favorisé. L'épais carnet d'adresses de cet homme à la peau claire, souvent coiffé d'un turban, lui "ouvre toutes les pistes et les secrets du désert", commente l'un de ses cousins, Rhissa Feltou, le maire d'Agadez, la grande ville du Nord nigérien.

Dans l'affaire des otages français, son principal atout est son appartenance à la tribu Ifoghas, un groupe touareg minoritaire au Niger, que l'on retrouve également au Mali voisin, notamment dans la zone de Kidal, et dont Iyad Ag Ghali, le chef du mouvement islamiste Ansar Dine (défenseurs de l'islam), est issu. "Ses relations composées d'ex-rebelles touareg maliens et des membres de la tribu Ifoghas ont été déterminantes dans la réussite de cette mission", estime Ibrahim Mohamed, un ex-chef rebelle nigérien.

"Discret et très efficace"

Décrit par ses proches comme un homme "pacifique, discret et très efficace", Mohamed Akotey est tout d'abord l'un des hommes-clés des accords de paix de Ouagadougou en 1995, qui mettent un terme à la première révolte touareg contre Niamey. Il devient ensuite notamment conseiller en sécurité (1996-1999) du général Ibrahim Baré Maïnassara, ancien président du Niger, puis ministre de l'Environnement de son successeur Mamadou Tandja (2007-2009).

Areva le nomme en 2009 président du conseil d'administration d'Imouraren SA, sa filiale dans la région d'Agadez, un poste qu'il occupe encore aujourd'hui. Il assiste depuis cette position à l'attaque par Aqmi du site du géant nucléaire français à Arlit (nord), qui aboutit à la capture de sept otages, dont les quatre Français libérés mardi. Les trois autres séquestrés, la femme de l'un otages, un Togolais et un Malgache, sont relâchés en février 2011 en "territoire nigérien".

D'après plusieurs sources touareg, Mohamed Akotey entretient de "bonnes relations" avec le président du Burkina-Faso, Blaise Compaoré, qui avait permis la libération de plusieurs otages occidentaux enlevés par Aqmi (notamment en juillet 2012 avec la libération de trois otages européens - deux Espagnols dont une femme et une Italienne - enlevés en octobre 2011 en Algérie). "Toutes ces qualités lui ont conféré une vraie stature et une certaine expérience en matière de négociation", relève l'un des ses amis.

Les militaires français de Serval ont sécurisé l'expédition

Il leur fallait rassembler les quatre otages gardés en des lieux dispersés. Les militaires français de Serval ont sécurisé leur expédition. Les otages ont été rassemblés sur Kidal, la "capitale" des Ifoghas, à l'extrême nord du Mali, avant que tous ne s'envolent vers Niamey dans un hélicoptère français.

La France a-t-elle payé une rançon contre la libération des otages? Officiellement, non. Et c'est probablement vrai de la part de l'État français. Mais il a fallu dédommager de nombreux intermédiaires. Il y a eu des "compensations financières", en argent ou sous la forme de différents matériels, de voitures 4x4..., selon des informations recueillies par le correspondant de RFI à Niamey, Serge Michel. Elles ont probablement été réglées par les sociétés qui employaient les Français avant leur enlèvement, Areva, Vinci, Satom. Le schéma est identique pour chaque libération.

Le Monde affirme pour sa part mercredi qu'une rançon a bel et bien été versée. Citant une source française connaissant les détails de l'opération, le quotidien précise que la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) a remis aux ravisseurs de Pierre Legrand, Daniel Larribe, Thierry Dol et Marc Féret "plus d'une vingtaine de millions d'euros".

Les quatre otages français étaient (avaient été localisés depuis longtemps?) dans le Nord Mali

Petites phrases sur Europe 1 de Jean-Yves Le Drian, avant le décollage de l'avion qui ramène les quatre otages français de Niamey vers Paris:

"Ils ont fait part des conditions de détention qui ont varié au fur et à mesure des mois et des événements, parce qu'ils n'ont pas toujours été au même endroit (...). Mais ils déclarent avoir été bien traités, autant qu'on puisse l'être dans des conditions aussi rudes que sont les environnements désertiques du Nord Mali."

Toujours selon Jean-Yves Le Drian, ils ont été détenus de bout en bout par le même groupe d'Aqmi.

Le président du Niger, Mahamadou Issoufou, a lui confirmé que les otages "ont été récupérés au nord du Mali par nos propres équipes nigériennes."

Et le ministre français de la Défense d'ajouter sur RTL que les forces françaises étaient à deux doigts de trouver et libérer les otages au printemps dernier au Mali.

TF121