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jeudi 26 septembre 2013

Pourquoi l'ouverture iranienne irrite Israël


Le nouveau visage conciliant présenté par la République islamique enlève à l'État hébreu le principal argument justifiant des frappes militaires.

Le nouveau président iranien, Hassan Rohani, et le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. © Ay-collection/Oded Balilty / Sipa/Sipa 



Les diatribes enflammées de Mahmoud Ahmadinejad ont longtemps été le meilleur allié d'Israël pour dénoncer la menace d'un Iran nucléaire. Mais depuis que le président ultra-conservateur a cédé son fauteuil au "modéré" Hassan Rohani, l'intransigeance de l'État hébreu à l'encontre de la République islamique ne paraît plus aussi justifiée. Un constat renforcé par la récente "opération séduction" initiée par le nouveau président iranien en direction de l'Occident.

Ahmadinejad a appelé à rayer Israël des pages du temps ? Rohani souhaite désormais sur Twitter une bonne année aux juifs du monde entier le jour de Roch Hachana. L'ancien trublion de Téhéran a qualifié l'Holocauste de mythe ? Son successeur prend soin de condamner, sur CNN, "les crimes que les nazis ont commis envers les juifs". Netanyahou répète à l'envi que l'Iran viole au quotidien les droits de l'homme ? Hassan Rohani vient d'obtenir la libération de la plus célèbre avocate du pays, Nasrin Sotoudeh, en compagnie de 13 autres prisonniers politiques arrêtés lors du mouvement vert de juin 2009.

Vedette new-yorkaise

Cerise sur le gâteau, le "mollah modéré" se paie même la tête de son diabolique prédécesseur, en regrettant publiquement que, "ces dernières années, certaines personnes [aient] malheureusement présenté différemment l'image de l'Iran, son amour pour la culture, sa civilisation pacifique et sa quête de progrès". C'est donc en vedette que le nouveau président iranien a été accueilli à New York, à l'occasion de sa première participation à l'Assemblée générale de l'ONU. Signe d'un renouveau diplomatique, celui que l'on surnomme "le cheikh diplomate" a même échangé une poignée de main historique avec François Hollande, avant d'annoncer à la tribune que l'Iran n'était "absolument pas une menace" pour le monde.

Mais l'ouverture iranienne n'a pas fait que des heureux. Rompant avec l'optimisme général, Benyamin Netanyahou, qui qualifie le président iranien de "loup déguisé en mouton", a dénoncé un discours "cynique et totalement hypocrite". Cette intervention "traduit exactement la stratégie iranienne, qui consiste à parler et à gagner du temps pour faire progresser ses capacités à se doter d'armes nucléaires", a martelé le Premier ministre israélien. "Israël est très inquiet de ce qu'il considère comme un jeu iranien", explique Ely Karmon, chercheur en problématique stratégique et en contre-terrorisme au centre interdisciplinaire de Herzliya (Israël). "Ce changement de position est le résultat des sanctions économiques occidentales et du mécontentement populaire en Iran", ajoute l'expert.

Israël se gausse de Rohani

Une crainte que l'ambassade d'Israël à Washington a illustrée d'une bien curieuse manière. Sur son compte Twitter, la représentation israélienne s'est moqué du nouvel atout charme de Téhéran, en publiant une page LinkedIn imaginaire consacrée à Hassan Rohani : "Depuis mon élection, grâce à une série de déclarations, de tweets, d'opérations de communication et de sourires, j'ai réussi à transformer le régime des ayatollahs, ennemi des droits de l'homme, en régime modéré, source d'espoir au sein de la communauté internationale", écrit le président iranien dans ce CV fictif.

"Il est clair que le changement de discours de Téhéran met Israël dans une situation moins confortable qu'il y a un an", souligne Frédéric Encel*, professeur de relations internationales à l'ESG Management School et maître de conférences à Sciences Po Paris. En septembre 2012, Benyamin Netanyahou avait fait polémique en présentant, à la tribune de l'ONU, un croquis représentant une bombe prête à exploser sur lequel il avait tracé une ligne rouge que l'Iran était sur le point de franchir dans sa course à la bombe.

Ligne rouge

Le Premier ministre israélien entendait ainsi justifier l'urgence de frapper militairement les sites nucléaires iraniens, avant que Téhéran ne soit en possession de suffisamment de centrifugeuses à l'abri de missiles israéliens pour se lancer, quand elle le souhaitera, dans la conception de la bombe atomique. Mais Benyamin Netanyahou s'était heurté au refus catégorique de Barack Obama, pour qui toute action militaire contre l'Iran ne saurait être engagée qu'au moment où la République islamique se lancera effectivement dans cette construction. Or, le Premier ministre israélien n'a eu de cesse depuis de repousser l'urgence.

Côté américain, le changement de ton de l'Iran a été accueilli favorablement par Barack Obama, même si celui-ci a réclamé que "les propos conciliants" soient accompagnés par "des actes véritables et transparents". Pour la première fois en trente ans, le secrétaire d'État américain, John Kerry, va rencontrer son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif, à l'occasion d'une réunion des 5+1 (États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni et Allemagne) visant à fixer le cadre d'une reprise des négociations sur le nucléaire.

"Posture" israélienne ?

"Il ne faut pas voir ce réchauffement comme l'abandon des sanctions occidentales contre l'Iran, souligne toutefois Frédéric Encel. Rien ne changera sur le fond tant qu'il n'y aura pas de geste concret de la part de Téhéran." Dans une interview mercredi au Washington Post, Hassan Rohani s'est dit prêt à régler le dossier nucléaire "dans les mois qui viennent". Ce jeudi, le président iranien a toutefois appelé Israël à signer à son tour le traité de non-prolifération nucléaire (TNP), une façon de rappeler que l'État hébreu, qui posséderait entre 100 et 200 ogives nucléaires, se situe dans l'illégalité.

D'après Ely Karmon, "Israël craint qu'un accord Téhéran-Washington sur le nucléaire n'ouvre à l'Iran la porte à un développement de la bombe dès que la pression sera retombée". L'inquiétude israélienne n'est pas dénuée de sens. L'impressionnant rétropédalage de Barack Obama sur la Syrie, le président américain ayant préféré signer un accord avec Moscou sur le démantèlement de l'arsenal chimique de Damas plutôt que d'intervenir, montre que le pensionnaire de la Maison-Blanche n'a aucune envie de s'engager dans un nouveau conflit au Moyen-Orient. Pis, il aura même besoin de la République islamique pour désamorcer la crise syrienne. "Les Iraniens ont très bien su lire dans l'accord russo-américain la position de faiblesse de Barack Obama sur ce dossier", note Ely Karmon.

De là à imaginer l'État hébreu assumer seul des frappes contre la République islamique ? Un scénario qu'écarte Frédéric Encel, pour qui le discours de Netanyahou est avant tout une "posture" visant à faire monter les enchères dans le cadre des prochaines négociations. "Israël est désormais prêt à attendre et donc à accepter l'idée d'un Iran au seuil nucléaire", estime le chercheur. "Depuis l'avènement de la République islamique, la politique étrangère de l'Iran a toujours été marquée par le pragmatisme", rappelle Frédéric Encel. "En accédant au seuil nucléaire, l'Iran pourrait devenir le co-gendarme de la région, mais il ne se risquera pas à aller plus loin, car aucun pays au monde ne veut de la bombe iranienne."
   
(*) Frédéric Encel vient de publier De quelques idées reçues sur le monde contemporain : précis de géopolitique à l'usage de tous (Éditions Autrement).

Armin Arefi