L'éclaircie aura été de courte durée. Après trois mois d'un timide rapprochement, Pyongyang et Séoul sont de nouveau à couteaux tirés et ont repris leur escalade verbale. Samedi dernier, le régime de Kim Jong-un a mis fin à la détente entrevue depuis l'été en annonçant abruptement le report indéfini des réunions des familles séparées par le rideau de fer qui devaient se tenir quelques jours plus tard. Un coup de poignard pour les 192 familles qui se préparaient fiévreusement à retrouver pour la première fois depuis 60 ans un fils, un frère ou une mère laissés de l'autre côté de la DMZ, cette frontière barbelée qui déchire la péninsule depuis 1953. Une douche froide pour la présidente Park Geun-Hye, qui espérait que ces premières rencontres depuis trois ans marqueraient un progrès, dans le droit-fil de sa "trust politik" visant à rétablir la confiance à petits pas avec le frère ennemi du Nord.
La volte-face de Kim met un terme à l'offensive de charme déployée par le dictateur nord-coréen depuis le début de l'été visant à renouer les liens avec l'extérieur mis à mal par la crise du printemps dernier. Isolé, le "leader suprême" avait multiplié les signes d'apaisement en direction de son parrain chinois, ses adversaires américains et japonais et son rival sud-coréen. Au point d'accepter une relance du parc industriel de Kaesong qu'il avait évacué en plein bras de fer avec Washington et même d'envisager une reprise des pourparlers à six sur le nucléaire que le régime avait pourtant qualifiés de "morts". Aujourd'hui, cette séquence est terminée et un nouveau cycle de tensions menace.
Le régime a rempli ses caisses
Comment expliquer ce brutal changement de ton de Pyongyang ? Première explication possible, et la plus cynique : le régime a empoché les gains qu'il espérait et n'a donc plus intérêt à poursuivre son offensive de charme. L'annonce du report des réunions familiales est tombée quelques jours à peine après la réouverture effective du parc de Kaesong le 16 septembre, un complexe industriel qui apporte de précieuses devises au régime. Dans ce parc situé à une dizaine de kilomètres au nord de la DMZ, 153 entreprises capitalistes du Sud emploient 53 000 ouvriers nord-coréens, versant chaque année 90 millions de dollars dans les caisses du régime. Le retrait unilatéral de ces ouvriers en avril signifiait un sérieux manque à gagner pour un régime à court de cash. Et depuis, il devait nourrir cette population désoeuvrée et particulièrement sensible, puisqu'elle avait été en contact avec le monde "capitaliste". En décrochant la réouverture de Kaesong, Kim a effacé sa seule perte tangible enregistrée durant son bras de fer avec la communauté internationale.
Autre facteur stratégique : le refus des États-Unis de revenir à la table des négociations sur le nucléaire en dépit des appels du pied de Kim. L'administration Obama a fait comprendre à Pyongyang qu'elle exigeait d'abord des gestes tangibles, tels l'arrêt de son programme nucléaire et le retour des inspecteurs de l'ONU sur le site de Yongbyon, avant de commencer les discussions. Une approche ferme aux antipodes des négociations "sans conditions" proposées par le négociateur nord-coréen Kim Kye-gwan, à la mi-septembre. Le fossé s'est encore creusé depuis, puisque le régime semble avoir remis en service son réacteur de Yongbyon, capable à terme de grossir ses maigres réserves de plutonium.
La méfiance de Washington est un revers pour Pékin qui a raisonné son protégé ces derniers mois pour le convaincre de jouer la carte de l'apaisement. Ce dialogue de sourds risque de déclencher un nouveau chapitre de tensions. "La Corée du Nord a fait tout ce que la Chine lui demandait de faire. Si les États-Unis persistent dans leur approche, cela va devenir très compliqué", juge Moon Chung-in, professeur à l'université Yonsei, à Séoul. Déjà les experts s'attendent à ce que Pyongyang affiche bientôt de façon provocatrice sa détermination à renforcer son arsenal nucléaire pour convaincre l'administration Obama d'entamer des négociations. Un nouveau cycle, familier, de confrontation guette la péninsule, mais les diplomates sont à court d'idées pour enrayer l'engrenage.
Sébastien Falletti