Dans l'univers de la protection des témoins, la discrétion est de mise. L'Office fédéral de la police (fedpol) ne révélera donc pas combien de personnes ont été protégées par le programme depuis le début de l'année ou combien ont reçu une nouvelle identité. La Suisse est trop petite pour que de telles données soient rendues publiques, a expliqué à l'ATS Andreas Leuzinger, responsable de la protection des témoins chez Fedpol.
A long terme, dix à quinze cas devraient être traités chaque année, a-t-il cependant ajouté. «Les attentes ont été remplies», indique de son côté Adrian Lobsiger, directeur suppléant de Fedpol. «Nos contacts avec les ministères publics fédéral et cantonaux le montrent.» C'est en effet à ces derniers de faire une demande à la Confédération pour protéger un ou des témoins.
Refuges très éloignés du style de Hollywood
Le service de protection des témoins est encore en développement. A terme, il devrait employer dix personnes à plein temps. Sa mission première: informer et conseiller les polices et ministères publics cantonaux sur la meilleure manière de protéger les personnes en danger ou potentiellement en danger qui ont témoigné ou doivent témoigner dans une affaire criminelle.
Une des mesures les plus courantes consiste à sortir la personne du milieu dans lequel elle court un danger, détaille M. Leuzinger. Le témoin est amené dans un endroit sûr, appelé «safe house», un terme qui rappelle les films américains.
Pour le responsable de la protection suisse des témoins, la comparaison avec Hollywood s'arrête là. «La réalité est très différente.» Pour protéger un témoin, il faut lui apprendre à passer inaperçu, à se fondre dans la masse, peu importe qu'il ait reçu une nouvelle identité ou vive simplement à un nouvel endroit.
Dangers des réseaux sociaux
Les réseaux sociaux et les nouveaux médias représentent un gros défi pour la protection de témoins. «C'est difficile d'interdire à quelqu'un d'utiliser Facebook», reconnaît M. Leuzinger. Poster des images peut toutefois révéler des indices sur son nouveau domicile ou sa nouvelle identité, voire même livrer des données de géolocalisation. Les smartphones peuvent également dévoiler des informations.
Les professionnels donnent quelques conseils simples pour ne pas révéler trop d'informations en ligne, comme ne pas montrer l'entier de son visage sur les photos de profil ou réduire fortement la taille des images avant de les télécharger. Les métadonnées, dates et lieux, doivent être effacées.
Défis interculturels
Les témoins qui ne sont pas familiarisés avec la culture suisse doivent parfois apprendre ce qu'est un comportement «normal», afin de ne pas être repérés dans la rue. Certains ne peuvent d'ailleurs pas rester dans le pays, car ils attireraient trop l'attention. Ils doivent être recueillis à l'étranger, ce qui est prévu dans la loi sur la protection des témoins, explique Andreas Leuzinger.
Protéger un témoin contre son gré n'est pas possible. «Si la personne retourne dans son environnement familier après quelques jours, recourir au programme de protection des témoins n'a pas beaucoup de sens.» C'est pourquoi Fedpol examine attentivement si un témoin convient au programme. Si la personne protégée ne s'en tient pas à ce qui a été convenu et se met en danger, le programme de protection peut se terminer.
Vrais faux papiers d'identité
Pour parfaire une couverture, le service de protection des témoins est autorisé à fournir des documents authentiques, comme un nouveau passeport à un autre nom. Il peut aussi faire modifier des banques de données publiques et privées.
La cellule de Fedpol peut aussi organiser des liens vers l'ancienne vie du témoin, comme préserver ses droits juridiques ou permettre des rencontres avec les membres de sa famille qui ne sont pas dans le programme. C'est plus sûr que si le témoin se mettait en tête de le faire par lui-même, explique M. Leuzinger.
Les tâches quotidiennes du programme sont toutefois plus modestes que la fabrication d'une nouvelle identité. Les agents peuvent ainsi être amenés à sécuriser une porte d'entrée, installer un système d'alarme ou bloquer des données dans les registres officiels.
Un moyen de lutte contre la traite des êtres humains
Le Parlement a décidé fin 2012, presque sans opposition, de créer un service national de protection des témoins, géré par l'Office fédéral de la police (fedpol).
Active depuis le début de l'année, cette structure était nécessaire afin que la Suisse puisse adhérer à la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.
Les membres de la cellule de fedpol sont pour la plupart des policiers qui ont suivi une formation spécialisée en protection des témoins, explique Andreas Leuzinger, responsable de la protection des témoins à fedpol. Pour la création de cette nouvelle entité, la Suisse s'est inspirée d'expériences réussies à l'étranger.
La lutte contre la traite des êtres humains, les crimes d'honneur ou le crime organisé sont au centre de la protection des témoins. La nécessité de la participation du témoin au procès est toutefois évaluée dans chaque cas. «Si les autres moyens de preuves sont suffisants pour faire condamner un criminel, alors l'Etat ne doit pas mettre inutilement une personne en danger en la faisant témoigner», affirme Adrian Lobsiger, directeur suppléant de fedpol.
L'activation du programme de protection pour un témoin est demandée par les ministères publics cantonaux. Le directeur de fedpol Jean-Luc Vez, ou son suppléant, décide ensuite s'il vaut la peine d'y recourir. Des considérations financières sont également prises en compte.
La Confédération met chaque année un million de francs à disposition du programme. Les cantons prennent en compte les frais liés à chaque cas.
Même si la cellule spécialisée n'est en service que depuis cette année, la protection des témoins n'était pas inconnue auparavant en Suisse. Certaines personnes ont ainsi été placées dans d'autres cantons pour les protéger. La Confédération a également servi de refuge à des témoins menacés à l'étranger.