Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 23 août 2013

Espionnage: l’arme de séduction massive


Les espionnes se font parfois pincées, comme la Russe Anna Chapman à New York, arrêtée en 2010 par le FBI avec neuf autres espions. DR


La chair est faible: les services secrets l’ont bien compris, mettant à profit les charmes de leurs plus belles recrues pour espionner l’ennemi. De Mata Hari à Anna Chapman, la tactique reste toujours aussi efficace.

On les nomme souvent «Mata Hari», en référence à l’espionne hollandaise fusillée par la France en 1917. Leurs armes, ce sont leurs charmes. Recrutées par les services secrets, elles séduisent les hommes politiques, les militaires ou les industriels. Elles les espionnent de l’intérieur, leur soutirent des informations secrètes, les influencent dans leurs décisions, nuisent si nécessaire à leur réputation et tentent parfois de les assassiner. Leur vieille tactique du «piège à miel», célébrée dans les polars et les James Bond, a peu évolué depuis la Première Guerre mondiale. Elle reste toujours aussi efficace. Petite plongée dans le monde interlope des espionnes.

Guerres mondiales «Si vous payez bien, je peux cuisiner sur l’oreiller des Allemands importants.» En grande croqueuse d’hommes, la danseuse Margaretha Geertruida Zelle ne craignait pas de mettre ses charmes au service de la France. Egérie flamboyante de la Belle Epoque à Paris, connue sous son nom d’artiste de Mata Hari, qui signifie «soleil» sur l’île de Java, où elle avait appris les danses exotiques, elle accepte contre forte rémunération d’aller espionner un haut commandant allemand. Mais alors qu’elle se trouve en Espagne, où elle est courtisée par de nombreux officiers alliés, les services du contre-espionnage découvrent qu’elle a reçu 20'000 francs du consul allemand aux Pays-Bas. Condamnée pour intelligence avec l’ennemi, elle est fusillée en octobre 1917.

Si ses talents d’espionne restent incertains, une autre espionne de la Grande Guerre se montre beaucoup plus efficace. Marthe Richard, née en Lorraine, avait connu une jeunesse difficile, devant s’adonner à la prostitution avant de pouvoir épouser un riche industriel et devenir aviatrice. Envoyée comme espionne en Espagne, elle réussit à séduire l’attaché naval de l’ambassade allemande à Madrid, Hans von Krohn. Ensorcelé, le vieil homme borgne lui révèle d’importantes informations sur les déplacements des sous-marins germaniques et sur l’utilisation de l’encre sympathique. Il lui donne même l’identité d’un agent infiltré en France.

«L’Alouette» – c’était son nom de code en 1916 – reprendra du service pendant la Seconde Guerre mondiale, cette fois dans les Forces françaises de l’intérieur, faisant profiter la Résistance de son expérience.

Guerre froide Au lendemain du conflit mondial, les services secrets des deux blocs n’abandonnent pas l’espionnage «horizontal». Les pays de l’Est le professionnalisent même davantage, développant toutes sortes d’options, y compris les rencontres homosexuelles. La République démocratique allemande (RDA) crée un service d’«espions Roméo», à l’initiative du dirigeant du service des renseignements extérieurs, Markus Wolf. Leur tâche est de séduire les femmes célibataires qui font carrière en Allemagne de l’Ouest. «La RDA était plutôt douée pour cela», commente Claude Moniquet, ancien agent de la DGSE, le service de renseignement extérieur de la France, cité par «Libération». C’est ainsi que des femmes ont été séduites dans des Cabinets ministériels, dans de grandes entreprises de la Ruhr et même à l’OTAN. Mais le stratagème n’a pas fonctionné longtemps: avec leur coupe de cheveux dégagée sur la nuque, les agents étaient vite repérés!

Divers scandales ont éclaté à cette époque. Le plus connu est peut-être celui qui a conduit le ministre de la Guerre britannique John Profumo à démissionner en 1963, après avoir eu une liaison avec une call-girl nommée Christine Keeler, qui se trouvait être également la maîtresse d’Yevgeny Ivanov, l’attaché principal de la marine à l’ambassade soviétique. L’affaire a eu des conséquences fâcheuses pour le gouvernement conservateur: il a perdu les élections l’année suivante.

Agences américaines Les charmes féminins ont également fait des ravages outre-Atlantique. Fidel Castro, grand amateur de femmes – certaines groupies le surnommaient «Le Lapin» – a d’ailleurs failli laisser sa peau en 1959, après une liaison orageuse avec la jeune Marita Lorenz, d’origine allemande. Econduite après avoir été mise enceinte, elle s’est laissé approcher par la CIA, qui lui a fourni un poison mortel pour tuer le Lider Maximo, raconte Diane Ducret, dans «Femmes de dictateur» (Ed. Perrin, 2011). Mais au dernier moment, le Commandante a su à nouveau la séduire…

Combattantes de l’ombre, les espionnes restent très discrètes. Mais il arrive parfois qu’elles se fassent pincer, comme la Russe Anna Chapman à New York, arrêtée en 2010 par le FBI avec neuf autres espions. Echangée contre d’autres barbouzes, elle a profité de la lumière faite sur elle par les médias pour décrocher des contrats de mannequinat. Elle garde les yeux froids, l’espionne! I



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Le «piège à miel» fonctionne toujours

La séduction reste une arme puissante aujourd’hui. Elle peut même s’avérer dévastatrice. D’éminents représentants du monde politique ou militaire en ont fait la cuisante expérience ces dernières années. Tombés dans le «piège à miel» de femmes «fatales», ils se sont retrouvés empêtrés dans la mélasse de scandales médiatiques retentissants, et parfois même contraints de démissionner.

Ainsi, en 2010, une Mata Hari des temps modernes a séduit plusieurs opposants au Kremlin, en Russie. Parmi eux, le présentateur radio Victor Shenderovich, qui est l’un des premiers signataires de l’appel «Poutine doit partir», le chef du Parti national-bolchévique Edouard Limonov, le leader du mouvement d’extrême-droite contre l’immigration illégale Alexandre Belov-Potkine ou encore le rédacteur en chef de l’édition russe de «Newsweek», Mikhaïl Fishman. Invités dans l’appartement de leur tentatrice – une jeune mannequin brune nommée Katya Gerasimova –, ils ont été filmés à leur insu en pleine action, et parfois sniffant de la cocaïne. Les vidéos de leurs ébats ont été diffusées sur internet.

Victor Shenderovich a aussitôt accusé l’entourage du premier ministre Vladimir Poutine et les services secrets du FSB (ex-KGB) d'être derrière cette machination. Comme le note «Le Figaro», ces situations compromettantes rappellent les opérations «piège à miel» dont était coutumier le KGB à l’époque de l’URSS, lorsque de jolies filles étaient appelées à jouer de leurs charmes pour soutirer des renseignements. Le Gouvernement russe a nié catégoriquement toute responsabilité.

En novembre 2012, c’est l’ancien général américain David Petraeus, qui a dû démissionner de son poste de directeur de la CIA, en raison d’une liaison extraconjugale avec sa «biographe» Paula Broadwell. Son infidélité a été découverte fortuitement par le FBI, qui enquêtait sur la correspondance électronique «inappropriée» d’un autre général, John Allen, à l’époque commandant des forces alliées en Afghanistan, avec une jeune et jolie femme mariée de plus de vingt ans sa cadette, Jill Kelly, hôtesse de fêtes fameuses en Floride. Ce «scandale des généraux» a fait couler beaucoup d’encre, les médias se demandant si les hauts gradés, emportés par la passion, avaient pu trahir des informations «secret défense». Le général John Allen a finalement été innocenté par le Pentagone, mais il a renoncé à briguer le poste de commandant suprême des forces alliées en Europe.

Le Vieux-Continent n’est pas épargné. En février dernier, on apprenait que la Catalogne était touchée par une vaste affaire d’espionnage politique. Tout est parti de confidences de l’ex-maîtresse éconduite d’un fils de l’ancien président de la Généralité de Catalogne, Jordi Pujol. Enquêtant sur une possible évasion fiscale de l’amant, la police judiciaire espagnole a mis la main sur plus de 20'000 fiches touchant toute l’élite politique, économique, culturelle et sportive de la région. Ces renseignements étaient collectés par une agence de détectives barcelonaise, spécialisée dans les filatures et les micros cachés. Les séparatistes n’ont pas manqué d’agiter la théorie du complot, affirmant qu’il s’agissait de manœuvres du Gouvernement espagnol pour ôter la crédibilité au processus indépendantiste catalan.

Cet été encore, c’est la République tchèque qui a été secouée par un scandale de sexe et de corruption. Avec, au cœur de la crise, la plantureuse blonde Jana Nagyova, «femme fatale» à l’origine de la chute du premier ministre Petr Necas, dont elle était la cheffe de Cabinet mais aussi, selon la presse nationale, la maîtresse très influente. «Sa force était directement proportionnelle à la faiblesse de Petr Necas», résume l’hebdomadaire tchèque «Reflex». Soupçonnée d’abus de pouvoir, trafic d’influence, corruption de hauts fonctionnaires et espionnage de citoyens – dont l’ancienne femme du premier ministre –, elle a été interpellée en juin en même temps que plusieurs officiers du renseignement militaire et d’anciens députés, les «parrains de Prague». Pour crever l’abcès de pareil drame politique, le parlement tchèque a finalement décidé sa dissolution, mardi dernier.

Pascal Fleury