Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 27 juin 2013

Ce que Ziad Takieddine a dit au juge


L'intermédiaire montre du doigt Bazire et Donnedieu de Vabres dans le financement de la campagne présidentielle de Balladur, mais dédouane Nicolas Sarkozy.

Ziad Takieddine. © Jacques Demarthon / AFP 


Coup de théâtre dans l'interminable affaire Karachi. L'homme d'affaires Ziad Takieddine, incarcéré depuis un mois, a avoué dans le bureau des juges avoir donné 6 millions de francs en liquide pour financer la campagne d'Édouard Balladur en 1995. Maître Pénin, avocat de l'intermédiaire libanais, explique au Point.fr pourquoi son client reconnaît aujourd'hui ce qu'il s'était toujours entêté à nier.

Le Point.fr : Votre client Ziad Takieddine a reconnu le 20 juin dernier, devant les juges Van Ruymbeke et Le Loire, avoir financé la campagne d'Édouard Balladur à hauteur de 6 millions de francs. Pourquoi cette volte-face ?

Maître Pénin : Il y a longtemps que Ziad Takieddine avait pris la décision de s'expliquer. À la mi-avril, plus d'un mois et demi avant sa mise en détention provisoire, mon client avait demandé à être réentendu dans le dossier Karachi. Il souhaitait, à ce moment-là déjà, faire la lumière sur cette affaire qui lui mine la vie depuis plus de deux ans. Or tourner la page passait aussi par le fait d'avouer les sollicitations financières de la part de politiques dont il avait fait l'objet dans le cadre des différents contrats d'armement.

Quel a été le rôle exact de M. Takieddine dans la campagne présidentielle de 1995 ?

Au départ, Ziad Takkiedine n'a rien à voir avec la campagne présidentielle. Comme il l'a toujours dit, son rôle est celui d'un intermédiaire dans deux contrats d'armement. En 1994, il a débloqué grâce à ses contacts à Riyad la signature du contrat Sawari II qui a permis à la France de vendre trois frégates à l'Arabie saoudite pour 19 milliards de francs. Dans le contrat Agosta signé avec le Pakistan, qui se trouve au coeur de l'enquête sur l'attentat de Karachi, mon client s'est contenté de présenter l'intermédiaire Abdul Rahman el-Assir aux autorités françaises. El-Assir, gendre du milliardaire iranien Khashoggi, était proche de Benazir Bhutto et de son mari Ali Zardari. C'est ce dernier qui a participé en tant qu'intermédiaire à la finalisation du contrat Agosta.

Était-il prévu dès la signature des contrats Sawari II et Agosta des commissions occultes pour les politiques français ?

Pas du tout. Ce qui était prévu dans le contrat Sawari, le seul que mon client ait eu à connaître, c'est qu'il serait rétribué par les Saoudiens pour son rôle d'intermédiaire. Aucun intervenant politique français n'avait posé sur la table la question d'une éventuelle rétrocession d'argent. La première demande de contribution financière, d'un montant de 1,5 million de francs, est arrivée au début de l'année 95, via Thierry Gaubert. Puis il y en a eu deux autres ; si bien qu'au total ce sont 6 millions qui ont été versés à Gaubert sous forme d'échanges de valises à Genève.

Pourquoi Ziad Takieddine aurait-il accepté de payer 6 millions d'euros à Thierry Gaubert si la rétrocession ne faisait pas partie du deal de départ ?

Ce n'est pas lui, mais son associé el-Assir qui a décidé de payer. À l'époque, el-Assir était un intermédiaire très établi, qui servait aussi au Koweit et à Elf. Takieddine, lui, débutait et n'était pas directement partie prenante dans les contrats. Il était rémunéré par el-Assir à hauteur des services rendus. Takieddine a répercuté les demandes de Gaubert à el-Assir, après s'être assuré que c'était bien du directeur de campagne Nicolas Bazire qu'émanaient les ordres, et que l'argent n'allait pas dans la poche de Gaubert.

L'avocat de Nicolas Bazire nie en bloc les accusations de Takieddine. Comment réagissez-vous ?

La défense de Nicolas Bazire, mis en examen dans l'affaire, est tout à fait prévisible. Depuis le début, lui et Thierry Gaubert n'ont eu de cesse que de qualifier mon client de menteur. Nous laissons le soin aux juges Van Ruymbeke et Le Loire de démêler le vrai du faux dans cette affaire.

Lors de ses prochaines auditions devant le juge, Ziad Takieddine fera-t-il d'autres révélations, notamment sur Nicolas Sarkozy ?

Il n'y a pas à aller sur Nicolas Sarkozy, qui était simple porte-parole de la campagne d'Édouard Balladur en 1995. On l'accuse d'avoir mis en place des sociétés off-shore au Luxembourg pour le compte d'Édouard Balladur, mais Ziad Takieddine n'a rien eu à connaître de cela. En revanche, mon client a déjà fait des déclarations sur le rôle de la Libye et de Claude Guéant dans le financement de la campagne de M. Sarkozy en 2007 lors d'une précédente comparution volontaire. Ces déclarations ont donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire qui suit son cours...

Votre client met nommément en cause l'ancien ministre de la Culture Donnedieu de Vabres ?

Renaud Donnedieu de Vabres, déjà mis en examen à deux reprises dans ce dossier, fait en effet partie des personnalités politiques ayant bénéficié des largesses d'el-Assir et Takieddine. Mon client a indiqué avoir financé le loyer de son appartement à Tours au troisième trimestre 95 et avoir donné 250 000 francs en liquide pour sa campagne législative de 1997.

Avec ces aveux, Ziad Takkiedine espère-t-il retrouver prochainement la liberté ?

Non, car sa détention provisoire intervient dans une autre affaire qui n'a rien à voir avec Karachi ou la campagne de 1995. On accrédite l'idée que mon client cherchait à s'enfuir avec un passeport diplomatique dominicain, ce qui relève du pur fantasme. Le juge sait depuis le jour de la perquisition, le 11 avril dernier, que le document dominicain retrouvé dans l'iPad de Ziad Takieddine est un faux grossier. Ce simulacre de passeport est le fruit d'une escroquerie dont mon client est la victime, et non l'auteur. Tout le monde sait que Takieddine ne cherche pas à fuir et qu'il veut aller au bout de ses obligations judiciaires.