Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mercredi 1 mai 2013

Qui en veut à Barack Obama ?


Un corbeau a envoyé au président Obama, à un sénateur et à une juge trois lettres contenant de la ricine et signées "Je suis KC et j'approuve ce message".

Everett Dutschke devant sa maison de Tupelo, le 23 avril 2013. © Thomas Wells/AP/SIPA 


Ça ressemble à un (mauvais) polar. Le 8 avril, trois lettres contenant de la ricine, postées du Tennessee, sont envoyées au président Obama, au sénateur du Mississippi Roger Wicker et à Sadie Holland, une juge du même État. Toutes contiennent de la ricine, une substance terriblement toxique qui n'a pas d'antidote connu. Au Sénat et à la Maison-Blanche, les lettres sont interceptées lors du tri, mais la juge ouvre la sienne sans, semble-t-il, que sa santé en soit affectée. L'affaire ajoute à la panique générale, car les courriers sont découverts à peu près au moment des attentats du marathon de Boston, ce qui fait croire un temps à un lien entre les deux évènements.

La lettre adressée au président contient le passage suivant : "Voir le mal et ne pas l'exposer, c'est devenir un complice silencieux", et toutes les missives sont signées : "Je suis KC et j'approuve ce message". Le FBI fait diligence et arrête deux jours plus tard Paul Kevin Curtis chez lui à Corinth, un bled du Mississippi. Cet homme de 45 ans, père de cinq enfants, qui pendant un temps s'est produit sur scène en imitant Elvis Presley, souffre de problèmes psychiatriques. À la fin des années 90, il travaille comme homme de ménage dans un hôpital lorsqu'il ouvre un frigo et découvre une série d'organes et de membres humains. Il en conclut aussitôt qu'il s'agit d'un trafic illégal d'organes malgré les dénégations de l'hôpital, et se met à inonder les autorités de lettres et de courriels qu'il signe toujours de la même manière : "Je suis KC et j'approuve ce message". Cela devient une telle obsession que sa femme demande le divorce.

À l'annonce de son arrestation, sa famille clame que Curtis, même s'il a fait de la prison pour de petits délits, n'est pas un type violent ou dangereux. Son avocat affirme qu'il s'agit d'un coup monté et que l'auteur des lettres s'est contenté d'imiter le style de Curtis sur les réseaux sociaux. Cinq jours plus tard, le FBI fait machine arrière et relâche l'imitateur d'Elvis en admettant qu'il n'a pas de preuves concrètes. Mais l'affaire devient alors plus étrange encore. Les agents se concentrent sur une autre piste qui les amène non loin de là, à Tupelo, une autre petite ville, chez James Everett Dutschke. Ce spécialiste d'art martial de 41 ans, qui tient une salle de taekwondo, connaît bien Curtis. Depuis des années, les deux hommes sont en conflit permanent pour des raisons obscures.

Harcèlement

En 2007, Dutschke travaille dans une agence d'assurances gérée par le frère de Curtis. La première confrontation survient lorsqu'il refuse de publier, dans une gazette qu'il produit, les accusations de ce dernier sur l'hôpital. Dutschke ne veut pas se mettre à dos l'établissement, car il a l'intention de se présenter aux élections du Congrès local, explique-t-il. Ce qui ne l'empêche pas de se faire battre à plate couture par le représentant démocrate sortant, Steve Holland, fils de la juge qui a reçu la ricine. À partir de ce moment, les prises de bec en ligne se multiplient entre les deux hommes. James Everett Dutschke, qui a fondé un groupe de musique, aurait appelé plusieurs fois des salles où Curtis devait se produire en répandant des rumeurs mensongères. Il attaque violemment Curtis lorsque celui-ci prétend en ligne appartenir à "Mensa", un groupe de personnes à très haut QI. Curtis l'accuse de le harceler sur la Toile.

Après avoir fouillé sa maison, le FBI a arrêté Dutschke le week-end dernier pour possession et usage de ricine. S'il est condamné, il risque la prison à vie et 250 000 dollars d'amende. Parallèlement, il fait l'objet d'une autre plainte : en janvier il a été arrêté pour agression sexuelle sur trois filles âgées de 7 à 16 ans qui fréquentaient sa salle. Au tribunal, il avait signé sa déclaration d'un émoticone souriant.

Est-ce cette fois le bon coupable ? L'Amérique se rappelle les lettres pleines d'anthrax envoyées il y a douze ans, juste après le 11 Septembre, à différents médias et deux sénateurs démocrates, qui ont tué cinq personnes. Le FBI avait alors terriblement cafouillé, soupçonnant d'abord Steven Hatfill, un spécialiste des armes biologiques, avant d'accuser Bruce Ivins, un scientifique qui a fini par se suicider, laissant planer un doute sur sa réelle culpabilité.

Hélène Vissière