Ils inspirent crainte et terreur, mais leur puissance et leurs ramifications restent largement inconnues. Un reportage lève le voile sur les Frères musulmans.
Le président égyptien Mohamed Morsi, son vice-président (à gauche), son Premier ministre et le grand cheikh d'al-Azhar (à droite), en août 2012. © Egyptian Presidency / Sipa
Dans le cadre d'une soirée consacrée aux révolutions du monde arabe, France 3 diffusait le 22 mai, un document réalisé par Michaël Prazan présentant une remarquable enquête sur les Frères musulmans. On connaît mal cette "confrérie" ayant accédé au pouvoir dans certains pays ou en train d'y parvenir, dans la dynamique du Printemps arabe et des élections qui l'ont suivi. Les journalistes ont réussi à obtenir des entretiens avec des personnalités majeures de ce mouvement, tenant des discours souvent très différents mais dont se dégage un fil rouge tout à fait passionnant.
Créée en 1928, après l'effondrement de l'Empire ottoman, cette confrérie souhaite un retour au fondamentalisme religieux et une lutte contre l'occupation occidentale, rejetant le modèle diffusé par les puissances coloniales. Les révolutions arabes ont fait ressurgir le rêve, dont était porteuse son idéologie, d'un nouveau califat islamique. En remontant ainsi aux origines de cette démarche, ce document permet de comprendre comment elle a réussi à tirer profit du vent de liberté qui a soufflé sur ces pays après la chute des chefs de gouvernements totalitaires, Ben Ali, Moubarak et Kadhafi, dont les Frères musulmans furent les victimes, souvent pourchassés et persécutés par leurs régimes.
Implantés dans 80 pays !
Au moment du tournant que représente l'accession au pouvoir de Nasser en Égypte, berceau de la confrérie, s'appuyant sur eux pour ensuite les réprimer, après, il est vrai, un attentat contre lui dont il les soupçonne d'être les commanditaires, on assiste à une certaine radicalisation de penseurs comme Sayyid Qubt, qui propose une interprétation des textes sacrés légitimant le djihad.
Quatre-vingt-cinq ans après sa fondation, la confrérie est implantée dans 80 pays, son expansion ne s'explique pas uniquement par la question palestinienne qui permet surtout de désigner Israël comme l'obstacle au rétablissement d'un vaste califat islamique. Ce conflit israélo-palestinien devient la clef de voûte de cette construction. Pour avoir signé un traité de paix, Anouar el-Sadate en subira les conséquences, assassiné par une mouvance salafiste dont le chef, al-Zawahiri, deviendra numéro un d'al-Qaida à la mort de Ben Laden.
Mais, derrière la complexité des divers courants, on devine la cohérence idéologique qui repose sur une conception unique et absolue de la loi, la loi sacrée,celle de Dieu. C'est elle qui fonde la pratique de la solidarité, permettant l'intervention sociale auprès d'un peuple vivant dans la misère. C'est donc elle qui est à la source de la popularité du mouvement qui lui permet de jouer le jeu de la démocratie et souvent de l'emporter. C'est aussi cette loi qui justifie, tant qu'elle ne sera pas appliquée, que l'on combatte pour son avènement. Si l'on entre dans cette logique, il n'y a pas de limite à ce combat et, pour certains, seul un califat mondial a un sens.
Le rôle important joué par des puissances financières et spirituelles, comme l'Arabie saoudite ou le Qatar, est également esquissé dans cette passionnante enquête. Au terme de ce documentaire particulièrement pédagogique, Michaël Prazan fait part de son inquiétude et s'interroge : la confrérie, portée par son succès humanitaire, va-t-elle choisir la voie démocratique, renonçant à son rêve d'État islamique mondial ? Ou bien...?
Nathalie Rheims