Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 13 avril 2013

La Corée du Nord, une énigme pour les services de renseignement


Pays le plus fermé au monde, la Corée du Nord a des liens extrêmement limités avec le reste du monde. Rares sont les habitants à faire défection.

Face aux postures guerrières de Pyongyang, les États-Unis restent sereins mais peinent à percer les secrets de la Corée du Nord, comme en témoigne la confusion née de la divulgation d'un rapport de renseignement sur sa capacité à lancer des missiles nucléaires. "Je dois dire que la Corée du Nord est et a toujours été la plus difficile des cibles pour le renseignement", a reconnu sans ambages jeudi, lors d'une audition au Congrès, James Clapper, directeur national du renseignement (DNI) et à ce titre patron des 16 agences de renseignement américaines.

Pays le plus fermé au monde, la Corée du Nord a des liens extrêmement limités avec le reste du monde. Rares sont les habitants à faire défection, compliquant le travail sur les sources "humaines". De plus, peu de personnes ont un téléphone portable et un tout petit nombre de personnes ont accès à Internet. Les "grandes oreilles" américaines de la NSA écoutent du silence. Washington doit s'appuyer sur l'imagerie satellite ou l'analyse technique des essais balistiques et nucléaires conduits par le Nord. "Nous n'avons qu'une compréhension limitée des intentions du leadership nord-coréen, ce qui pose problème pour la stabilité à terme", convient le patron des forces américaines en Asie-Pacifique, l'amiral Sam Locklear.

"Experts en ruse et camouflage" (ancien de la CIA)

D'autant que Kim Jong-un, qui n'a pas 30 ans, n'est au pouvoir que depuis un an. "Nous n'avons pas beaucoup d'antécédents sur lui", reconnaît le directeur de la CIA, John Brennan. Pour Bruce Riedel, ancien de la CIA aujourd'hui analyste à la Brookings Institution, la Corée du Nord est "extrêmement difficile" à pénétrer. "Les Nord-Coréens sont experts en ruse et camouflage (...) et disciplinés dans leurs communications. Il est pratiquement impossible d'avoir un espion dans le Nord et de pénétrer l'Etat nord-coréen," explique-t-il à l'AFP.

Mais face aux menaces de "guerre thermonucléaire" brandies par Pyongyang, Washington prend soin d'afficher son calme, le Pentagone rappelant à plusieurs reprises qu'"il n'y a pas beaucoup de mouvements sur le terrain pour appuyer cette rhétorique", même si le risque d'un "accident" ne peut être exclu.

Un parlementaire jette le trouble 

Malgré plusieurs essais balistiques, la Corée du Nord n'a pas de capacité intercontinentale (ICBM) et les Musudan, d'une portée théorique de 4 000 kilomètres, n'ont jamais été testés. Et les trois essais nucléaires conduits depuis 2006 n'augurent en rien de la capacité de Pyongyang à miniaturiser une arme atomique pour la placer sous la coiffe d'un missile, s'accordent la majorité des experts.

Siegfried Hecker, expert nucléaire à qui la Corée du Nord avait révélé l'existence d'une usine d'enrichissement d'uranium en 2010, est catégorique : "Je ne crois pas que le Nord a la capacité d'attaquer les États-Unis avec des armes nucléaires montées sur des missiles, et ne l'aura pas avant de nombreuses années. Sa capacité à frapper la Corée du Sud est également très limitée." Aussi, un parlementaire républicain a jeté le trouble jeudi en dévoilant un passage d'un récent rapport du renseignement militaire américain, la Defense Intelligence Agency (DIA), semblant indiquer le contraire. "La DIA estime avec une assurance modérée que le Nord dispose d'armes nucléaires qui peuvent être fixées sur des missiles balistiques. Cependant leur fiabilité sera faible", a lu ce représentant, Doug Lamborn.

"Équipe de niveau peu élevé"

Une présentation "inexacte" des capacités de Pyongyang, a réagi le Pentagone. "La vision du gouvernement américain sur le programme nucléaire nord-coréen n'a pas changé, les agences de renseignement ne croient pas que Pyongyang dispose d'un arsenal de missiles balistiques dotés de têtes nucléaires et les responsables militaires ne se préparent pas à une guerre imminente sur la péninsule coréenne", a affirmé à l'AFP un haut responsable américain sous le couvert de l'anonymat. Cette phrase tirée d'un rapport classifié est "hors contexte", selon lui.

L'étude a été réalisée par une "équipe de niveau peu élevé" au sein de la DIA et "ne reflète pas" la vision de l'agence ni celle de la "communauté du renseignement" a assuré ce responsable, selon qui le rapport n'a pas été transmis aux "hauts responsables de l'administration".

La Corée du Nord menace le Japon de son feu nucléaire 

Les autorités japonaises ont annoncé vendredi le déploiement pérenne de missiles Patriot à Okinawa. Des déclarations "provocatrices" pour Pyongyang. 

Le secrétaire d'État américain John Kerry a sommé vendredi la Corée du Nord de renoncer à tout tir de missile, en la mettant en garde contre "une énorme erreur", alors que Pyongyang menace désormais le Japon d'une frappe nucléaire. "Si Kim Jong-un décide de lancer un missile, que ce soit à travers la mer du Japon ou dans une autre direction, il choisira délibérément d'ignorer la totalité de la communauté internationale", a déclaré John Kerry lors d'une conférence de presse à Séoul, première étape de sa tournée de trois jours en Asie. "Ce serait une énorme erreur pour lui de faire ça, car cela isolerait encore un peu plus son pays", a-t-il lancé, en jugeant "inacceptable" la rhétorique guerrière de Pyongyang.
Via un éditorial publié vendredi soir par l'agence officielle KCNA, Pyongyang a menacé le Japon de ses "flammes nucléaires". Il a qualifié de "provocatrices" les déclarations de Tokyo sur son intention d'intercepter un missile lancé par Pyongyang et qui menacerait le territoire nippon. "Le Japon est toujours dans la ligne de mire de notre armée révolutionnaire", a prévenu le régime nord-coréen.

Discussions à Six

Le ministère japonais de la Défense n'a pas souhaité commenter, mais a indiqué qu'il allait "prendre toutes les mesures possibles pour répondre à tout type de scénario". En prévision d'un ou plusieurs tirs de missiles de moyenne portée qui pourraient intervenir très prochainement, peut-être dès lundi, jour anniversaire de la naissance du fondateur de la Corée du Nord, Tokyo a donné l'autorisation formelle à l'armée japonaise de détruire tout missile nord-coréen qui menacerait le territoire nippon.
Le secrétaire d'État américain John Kerry a appelé une fois de plus Pékin, où il se rend samedi, à exercer son influence sur son allié nord-coréen. Les dirigeants nord-coréens "doivent se préparer à vivre selon les obligations et les critères internationaux qu'ils ont acceptés", a-t-il déclaré, et Pékin a, selon lui, "un énorme potentiel pour faire la différence à ce sujet". De son côté, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov s'est déclaré favorable à des discussions "à six" sur la Corée du Nord en Suisse, comme Berne l'a proposé.
Ces discussions dites "à six" entre des représentants de la Chine, de la Corée du Sud, de la Corée du Nord, de la Russie, des États-Unis et du Japon, se sont tenues à six reprises de 2003 à 2007. Mais, en 2009, Pyongyang a annoncé son retrait de ce cadre de discussions, suite à des sanctions des Nations unies pour son programme nucléaire. 

Arme nucléaire miniaturisée

Jeudi, un représentant républicain du Colorado (ouest), Doug Lamborn, avait cité un rapport du renseignement militaire américain, la Defense Intelligence Agency (DIA), qui avançait que la Corée du Nord disposerait de la capacité de miniaturiser une arme nucléaire et de la monter sur un missile balistique, mais avec une fiabilité qui "sera faible". Les États-Unis "ne pensent pas" que la Corée du Nord soit en capacité de lancer un missile équipé de têtes nucléaires, a toutefois déclaré peu après à l'AFP un haut responsable américain sous le couvert de l'anonymat. 

Des doutes partagés par le Pentagone et par Séoul. Selon le premier, il serait "inexact de suggérer que le régime nord-coréen a complètement testé, mis au point ou démontré le type de capacités nucléaires évoquées" par un élu. Pour le ministère sud-coréen de la Défense, "la Corée du Nord a conduit trois essais nucléaires, mais il reste douteux que la Corée du Nord ait fabriqué une tête nucléaire suffisamment petite et légère pouvant être montée sur un missile". Mais le Nord "se dirige vers cette étape", a déclaré à la presse le porte-parole, Kim Min-seok.

Construction d'un lien de confiance
Lors de sa conférence de presse, John Kerry a par ailleurs souligné que les États-Unis soutenaient "la vision" du nouveau gouvernement sud-coréen en faveur de la construction d'un lien de confiance avec le Nord. Pendant la campagne électorale, la nouvelle présidente sud-coréenne, Park Geun-hye, s'était distanciée de l'intransigeance caractérisant la politique nord-coréenne du président sortant Lee Myung-bak, qui avait suspendu l'aide humanitaire à Pyongyang.
Mais l'arrivée officielle de Park Geun-hye à la tête de la Corée du Sud (fin février) a coïncidé avec la brusque montée des invectives de Pyongyang, provoquée par un nouveau train de sanctions de l'ONU.