Selon nos informations, le major Jeansac est visé par une enquête des autorités militaires, qui le soupçonneraient d'avoir dévoilé des matériels et des procédures secrets.
L'antenne civile de TDF, à gauche, surmontée d'un radar civil, ainsi que les deux pylônes durcis de l'armée, conçus pour résister au souffle d'une explosion nucléaire. Pierre-sur-Haute, 2008. ©
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L'affaire de la censure ratée de Wikipédia par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) n'a pas fini de rebondir. Selon nos informations, le sous-officier Pierre Jeansac, major lors du tournage d'un reportage de la télévision locale TL7 dans la station hertzienne militaire de Pierre-sur-Haute fin 2004, fait actuellement l'objet d'une enquête conduite par les autorités militaires. Si les règles habituelles sont respectées, ces investigations internes sont conduites par la DPSD (Direction de la protection et de la sécurité de la défense).
Le ministère de la Défense reprocherait au sous-officier d'avoir dévoilé sans autorisation des matériels et des procédures secrets, concernant notamment la chaîne de transmission du feu nucléaire. En réalité, le sous-officier "lampiste" n'est que le dernier élément d'une cascade de défaillances, sans aucune gravité dans ses effets puisqu'aucune information susceptible de mettre en péril quelque élément que ce soit de la dissuasion nucléaire n'a été divulguée. Mais il est vrai qu'en matière nucléaire tout est secret, sans exception, et que chaque maillon, même le plus infime - il s'agirait cette fois d'un simple boîtier aperçu durant quelques millisecondes dans le reportage mis en cause -, a vocation à être protégé.
Communication
La probable mise en cause d'un sous-officier qui n'avait de toute évidence pas été averti de la sensibilité de sa prestation, ni sans doute accompagné comme cela aurait dû être le cas par un officier de communication au fait des us et coutumes de la presse, laisse de côté les responsabilités des autorités militaires, notamment celles de la DIRISI (Direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information) du ministère de la Défense. Celle-ci existe depuis le 31 décembre 2003 et gère les réseaux informatiques et de communication de la défense. Mais il est vrai que la DIRISI a pris plusieurs années pour atteindre sa vitesse de croisière.
Dans le même temps, la DCRI et le parquet antiterroriste de Paris poursuivent leurs efforts pour faire disparaître d'Internet les informations qu'ils considèrent comme sensibles. En vain.
Pour rappel, les policiers de la DCRI ont fait supprimer, de façon cavalière selon la communauté Wikipédia, un article francophone qui donnait des informations précises sur la station hertzienne militaire de Pierre-sur-Haute. La source principale des informations était le reportage de TL7. Résultat de la censure : les internautes se sont défendus en remettant en ligne l'article Wikipédia depuis la Suisse, et en le traduisant en 20 langues. C'est ce qu'on appelle un effet Streisand : le résultat de la censure est l'inverse du résultat escompté.
"Le major a imposé des limites"
Le reportage de Télévision Loire 7 (TL7) avait été autorisé par l'armée, comme le prouvent les documents qui nous avions publiés mardi (voir ci-dessous). "Après avoir sollicité l'aval de l'administration centrale militaire, j'ai le plaisir de vous informer que votre requête est agréée", écrivait le commandement de la base aérienne 942 (à laquelle est rattachée la station de télécommunications), le 8 novembre 2004. Une condition est toutefois posée, oralement : l'armée devra obtenir copie du reportage. Une demande qui avait été honorée immédiatement, accompagnée d'une lettre de remerciement de la part de TL7. L'armée avait donc eu accès au reportage dès sa première diffusion, en 2005.
Interrogé par Le Point.fr, le patron de TL7 déclare "(s)'attendre" à être censuré par la DCRI, car son "reportage (toujours disponible en ligne, NDLR) contient certainement plus d'informations sensibles que l'article de Wikipédia". Paul-Émile Liogier, le journaliste de TL7 qui s'était rendu sur place fin 2004, insiste quant à lui auprès de nous sur le fait que "le major, patron des lieux, avait imposé des limites".
"Nous n'avons pas pu tout filmer, nous avons vu des éléments qu'ils nous ont demandé de ne pas filmer", ajoute-t-il. "Les armoires avec des lumières partout, nous n'avons pas pu les filmer ! Nous n'avons pas parlé du fonctionnement de la station, pas mentionné le nombre de militaires affectés à sa protection ni leur armement, tient-il à préciser. Nous avons insisté sur le rôle de la station, et la découverte de la vie des soldats à bord, car cela ressemble beaucoup à un navire, avec les chambres, le réfectoire, la cuisine ou les coursives." Le chef de la station "avait bien à l'esprit, déjà à l'époque, que l'on puisse envisager une attaque", ajoute Paul-Émile Liogier. Recontacté par nos soins jeudi soir, il s'est montré très ému : "Cela me crèverait le coeur que le major (son grade de l'époque) Jeansac ait des ennuis." Le journaliste ajoute qu'il croit savoir que le militaire a quitté "il y a quelques années" cette affectation.
DOCUMENT. L'autorisation de tournage délivrée par les autorités militaires en 2004 :
Guerric Poncet
Jean Guisnel